Date: lun. 4 mai 2015 21:24:18
Bonjour,
Ce chapitre est loin d'être inutile, il est même au cœur du débat économique mondial, et deviendra de plus en plus crucial au fil des décennies à venir.
La soutenabilité n'est pas un plan, c'est une notion, et c'est plutôt un objectif. L'idée est que nous ne sommes pas les derniers terriens, qu'il y aura des générations après les nôtres, et que si l'on veut que l'espèce humaine ne disparaisse pas de la surface du globe et continue à évoluer vers toujours plus de bien-être (mais est-ce vraiment ce qu'elle fait, d'ailleurs ?), il faut assurer à nos descendants les moyens d'y parvenir. L'ennui, c'est que personne n'est vraiment d'accord sur ces moyens à mettre en œuvre pour atteindre l'objectif, ils restent donc des objets de débat, des sujets de discorde, arbitrés par d'énormes enjeux financiers, politiques et environnementaux.
Deux grandes thèses s'affrontent depuis quelques décennies et proposent deux voies :
la première est l'idée que peu importe qu'on épuise toutes les ressources de la planète, car les progrès scientifiques, techniques et industriels parviendront à compenser ce qui manquera dans le futur. C'est la théorie de la "soutenabilité faible". Le jour où il n'y aura plus d'eau sur terre, c'est bien le diable si l'homme ne parvient pas à fabriquer de l'eau artificielle. S'il n'y a pas assez de céréales pour nourrir la planète, on inventera des produits de substitution (les cultures transgéniques sont un premier pas). Lorsque la houille s'est épuisée, on l'a remplacée par le pétrole. Le pétrole s'épuisera un jour, on trouvera bien une autre source d'énergie (le gaz de schiste semble une alternative possible). Donc, dépensons sans compter, n'économisons pas, ne rationnons pas, s'il y a de moins en moins de ressources naturelles, elles seront compensées par de plus en plus de richesses technologiques, industrielles, scientifiques, financières, ce qui fait que les deux plateaux de la balance, au pire resteront en équilibre, au mieux pencheront du côté du toujours plus de capital, naturel ou artificiel. Et si nous ne léguons pas de thons à nos enfants parce qu'il n'y en a plus un seul dans la mer, au moins nous leur lèguerons les plans de la machine à fabriquer les thons avec des cellules souches et de la betterave.
La deuxième thèse, celle de la "soutenabilité forte", postule que certaines ressources naturelles ne sont pas "substituables", ne peuvent pas être remplacées, et que le jour où elles manqueront, ce sera définitif. Et que leur disparition pourrait compromettre l'équilibre de la planète et modifier dramatiquement "l'empreinte écologique". Il serait donc indispensable de se rationner et ne pas consommer plus que ce que peut produire la nature. C'est une position notamment défendue par le "Club de Rome" et de nombreux analystes, certains allant même jusqu'à préconiser un arrêt de la croissance, voire une "décroissance".
Aujourd'hui, la quasi totalité de la planète est plutôt sur un modèle de soutenabilité faible. Dans une économie libérale planétaire, c'est le modèle censé permettre la croissance à tout prix, cette croissance infinie et éternelle que les politiques et les économistes semblent croire possible (et qui est un leurre. Une chose infinie dans un monde fini n'est pas rationnelle). Les contraintes environnementales étant évidemment des obstacles à la croissance (et aux profits des grandes industries), on comprend bien qu'elles ne constituent pas une priorité dans beaucoup de pays, notamment les pays émergents.
On voit bien la difficulté pour un État à choisir un de ces deux modèles, et les implications idéologiques et économiques qu'ils impliquent. Mais on peut tout de même pointer du doigt les effets dramatiques que peut avoir un modèle de soutenabilité faible : l'île de Nauru. Cette toute petite île du Pacifique possédait un formidable gisement de phosphate. Devenue république en 1968, elle exploita ses mines et exporta son phosphate à des prix astronomiques. Grâce à ce commerce, la population devint une des plus riches du monde, avec un PIB par habitant trois fois supérieur à celui des USA. Donc, selon la théorie de la soutenabilité faible, le capital restait constant, et même augmentait, puisque les ressources en phosphate qui disparaissaient étaient largement compensées par des millions de dollars qui rentraient. Mais lorsque les gisements de phosphate ont été épuisés, l'île a connu un véritable cauchemar. L'argent amassé par le commerce n'a pas été bien investi. Économiquement, l'île est en faillite, 90% de la population est au chômage, et au niveau écologique : "Aujourd'hui, la quasi-totalité du territoire de Nauru ressemble à un désert de pierres. La surexploitation du phosphate sur l’île a dégradé l’environnement : 80% de la surface du territoire a été creusée et la déforestation a tué des espèces entières d’oiseaux." Cette phrase est extraite d'un article de FranceTvInfo que tu pourras lire ici :
[geopolis.francetvinfo.fr]
Dans un rapport "Planète vivante 2010", le WWF (Fonds mondial pour la Nature) écrivait : "Si chaque habitant de la planète vivait comme un habitant moyen des États-Unis ou des Émirats arabes unis, il faudrait une biocapacité équivalente à plus de 4,5 planètes pour répondre à la consommation de l'humanité et absorber les émissions de CO2".
Et le WWF constatait qu'en 2010, l'humanité utilisait déjà l'équivalent d'une planète et demie pour subvenir à ses besoins (ou à ses envies), et que si la tendance se maintenait, il faudrait l'équivalent de deux planètes en 2030.
Alors, tu te situes où ? Plutôt du côté de la soutenabilité faible ou de la soutenabilité forte ? Attention, la soutenabilité forte, ça veut dire des restrictions, des serrages de ceinture, moins de consommation, moins de téléphones portables, moins d'ordinateurs, moins de bœuf dans le hamburger, moins de godasses, moins de fringues (je n'en revenais pas, j'ai lu qu'il fallait utiliser 10.000 litres d'eau pour fabriquer un jean), bref, moins de tout. Alors que la soutenabilité faible, tu peux y aller, tu peux te goinfrer, la science et la technique veillent au bien-être et à l'avenir de la planète.
Cordialement,
PMV
Modifié 2 fois. Dernière modification le 05/05/15 08:48 par PMV.