Pour alléger le texte, j'utiliserai régulièrement l'abréviation FdM pour les Fleurs du Mal et SdP pour le Spleen de Paris. Les poèmes extraits des Fleurs du Mal sont toujours indiqués par leur numéro dans l'édition de 1861.

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C'est parti

Le texte

L'invitation au voyage

 

Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur D'aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes.

 

Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l'ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l'âme en secret Sa douce langue natale.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l'humeur est vagabonde ; C'est pour assouvir Ton moindre désir Qu'ils viennent du bout du monde. - Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D'hyacinthe et d'or ; Le monde s'endort Dans une chaude lumière.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.

Comment interpréter L'invitation au voage de Baudelaire ?
Tableau d'Henri Matisse : "Luxe, calme et volupté". (1904)

Présentation, et première évocation

L’invitation au voyage , vu en cours de francais, est la 53ème pièce (LIIIe) des Fleurs du Mal dans l'édition de 1861, incluse dans la 1ère partie : Spleen et Idéal. Ce poème fut publié pour la première fois le 1er juin 1855 dans la Revue des Deux Mondes. Il appartient au cycle Marie Daubrun. Notons tout d’abord que si ce poème est atypique, c’est grâce à sa forme :

  • inventée par Baudelaire, elle pourrait s'apparenter à la chanson, avec trois couplets séparés par un refrain.
  • Les vers sont impairs (deux vers de cinq pieds > pentasyllabes, alternant quatre fois avec un vers de sept pieds > heptasyllabe, puis un distique d'heptasyllabes formant le refrain).
  • Dans les couplets, les pentasyllabes ont des rimes masculines et les heptasyllabes ont des rimes féminines.
  • Dans le distique qui forme le refrain, les heptasyllabes ont des rimes masculines.

 

De la musique avant toute chose

Or les vers impairs sont rarement utilisés par Baudelaire. On trouve des pentasyllabes dans Le serpent qui danse, La musique, L'Amour et le Crâne et des heptasyllabes dans Le poison, Chanson d'après-midi, À une mendiante rousse, soit six poèmes seulement sur près de 150. Ce choix n’est pas sans nous rappeler l'Art poétique de Paul Verlaine (1844-1896), notamment très célèbre pour cet extrait :

De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l'Impair Plus vague et plus soluble dans l'air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

De la musique, c'est sans aucun doute ce que voulait faire Baudelaire. On notera que sur les six poèmes comprenant des vers impairs, trois d'entre eux, Le Serpent qui danse, La musique et Chanson d'après-midi font directement référence à la musique. Pour ma part, le rythme de l'Invitation au voyage m'évoque une barcarolle, ce chant des gondoliers vénitiens et j'imagine des barques mollement balancées sur les eaux grises des canaux. C'est évidemment subjectif, chacun mettra ce qu'il voudra selon sa sensibilité et les musiciens entendront peut-être plutôt une valse, tant il est évident pour une oreille musicale que le rythme est ternaire.

À quelle musique peut nous faire penser l'invitation au voyage de Baudelaire ?
Source : hdfonsdecran.com

Une véritable incantation

Par son rythme monotone, par la répétition de son refrain et son aspect musical, le poème s'apparente à la mélopée, à l'incantation. Notons que l'incantation est une invitation - préfixe in, idée d'entrée, de venue - par le chant, dont la racine verbale vient du latin cantare. C'est une forme d'en-chantement, mot construit sur la même étymologie. Nous verrons plus loin comment la sorcellerie évocatoire permet de créer un effet hypnotique et lénifiant, une sorte de thérapie magique qui permet au poète de calmer les souffrances de son spleen.

Le titre

Le titre appelle une remarque. S'agit-il vraiment d'une invitation au voyage ? Selon le Littré, le voyage, c'est le chemin qu'on fait pour aller d'un lieu à un autre lieu qui est éloigné. Le voyage suppose un cheminement parsemé de découvertes, d'imprévus, de contretemps, de bonnes ou de mauvaises rencontres, de surprises et de fatigues. Le voyage est une aventure. Ici, nous ne voyageons pas. Nous sommes d'emblée transportés, comme par un coup de baguette magique, dans un « là-bas » idéalisé et imprécis, sans que nous ayons eu à supporter les fatigues et la poussière du chemin. Il s’agit ainsi plutôt d’une invitation au dépaysement, ou d’une invitation au rêve, ce qui serait plus juste.

La marque de voyages passés

« Voyage, voyaage », chantait Desireless... À la moindre connotation un tant soit peu exotique, au premier signe de dépaysement, on ne manque jamais d'évoquer les impressions que Baudelaire a gardées de son voyage en Orient entre mai 1841 et février 1842. Le poète a vingt ans et inquiète sa famille par son esprit d'indépendance et ses fréquentations douteuses. Pire encore, il manifeste l'intention de vivre de sa plume, de quoi désespérer le général Aupick, son beau-père. Une lettre de Mme Aupick à Charles Asselineau, écrite en 1868, indique les motifs de ce voyage : « Nous avons eu alors la pensée, pour donner un autre cours à ses idées, et surtout pour rompre quelques relations mauvaises, de le faire voyager. » Il est donc décidé de l'envoyer aux Indes, comme on y envoyait les jeunes gens sans fortune et les jeunes aristocrates turbulents. Or ce voyage a sans nul doute contribué à développer la sensibilité artistique de Baudelaire, car on peut découvrir à plusieurs reprises dans Les Fleurs du mal et dans les Poèmes en prose, quelques traces des impressions qu'il avait reçues des pays lointains et des cieux inconnus contemplés pendant son voyage.

Où est parti Baudelaire en voyage ?
Source : association des amis du musée maritime de la Rochelle. Extrait d'un carnet de voyage

Mais des voyages écourtés

Néanmoins il faut se garder d'en exagérer l'importance. D'une part, parce que Baudelaire n'a sans doute mis pied à terre qu'un petit mois sur l’ensemble de son trajet, compte tenu de la lenteur de la navigation à l'époque, et d'autre part parce que le poète, incorrigible casanier, n'a tiré aucun plaisir et apparemment aucun enseignement de ce périple. Dans une de ses biographies, publiée par Albert de la Fizelière en 1867, Baudelaire écrit : « Voyages dans l'Inde : première aventure, navire démâté ; Maurice, Île Bourbon, Malabar, Ceylan, Indoustan, Cap ; promenades heureuses ». A-t-il seulement poussé jusqu'à la côte de Malabar et jusqu'à Ceylan ? Rien n'est moins sûr. Celui-ci aurait préféré rester sans nul doute ; mais, sans témoigner de répugnance, il s'est laissé faire. C'est ainsi que le jeune Charles a été confié aux soins du capitaine Saliz, homme honorable, gai et de beaucoup d'esprit. Ce capitaine partait pour Calcutta ; un voyage qui devait durer dix-huit mois. Mais très vite, Baudelaire fut pris du mal du pays et tomba dans un état de tristesse qui inquiéta le capitaine. S'il parlait, ce n'était que pour émettre le désir de retourner en France. Ainsi l'aventurier n'avait nullement le goût de l'aventure. Le voyage a donc été écourté. L'écrivain et dramaturge Ernest Prarond (1821-1909), qui collabora avec Baudelaire pour l'écriture d'Idéolus, une pièce de théâtre inachevée, témoigne dans le même sens : « La vérité vraie est que Baudelaire, embarqué malgré lui, brûla la politesse à l'Inde, peut-être même au navire qui l'emportait, aussitôt qu'il le put. Dans tous les cas, il ne nous parlait jamais de ce voyage. […] Il est certain que la pièce l'Albatros lui fut suggérée par un incident de sa traversée. Il nous la récita dès son retour. À part cette pièce et le souvenir d'une négresse qu'il avait vu fouetter, à l'île Maurice, tout ce journal de sa pénitence maritime semblait page blanche. » (Cité dans Œuvres posthumes et correspondances inédites - 1887). Mais gageons que Baudelaire, heureux de retrouver les miasmes de la capitale, n'y a pas pleuré des cocotiers absents les fantômes épars. Un peu d'air pur : « Je répète [écrivait Baudelaire dans les notes destinées à Me Chaix d'Est-Ange, l'avocat chargé de défendre les Fleurs du Mal] qu’un Livre doit être jugé dans son ensemble. À un blasphème, j’opposerai des élancements vers le Ciel, à une obscénité des fleurs platoniques (Œuvres posthumes- 1887). Lire les Fleurs du Mal comme on lit un roman, en passant sagement de la page 1 à la page 2, peut effectivement entraîner l’impression de boire un grand bol d'air pur en abordant l'Invitation au voyage. Ici, plus de poison, plus de cadavres, pas de charognes ni de vampires, pas de tombeaux, mais de la douceur, de l'harmonie, du calme et de la beauté, le doux bercement d'un rythme de gondole baigné dans une chaude lumière. Les voilà, les fleurs platoniques. Ceci, c'est la première impression, celle qui s'imprime d'emblée dans l'esprit du lecteur. Ce n'est qu'en relisant, en creusant davantage, qu'il s'apercevra que ce poème, sous des dehors séducteurs, sensuels et chatoyants, est un poème de l'échec, de l'impuissance, du narcissisme et de l'incommunicabilité. Un drame dans une carte postale ?

Pourquoi comparer Le spleen de Paris avec L'invitation au voyage ?
"La Madeleine à Paris", tableau de Pierre Saez, peint vers 1900. Source : www.pierre-saez.fr

Une très grande proximité avec Le Spleen de Paris

J'ai consacré cette page au poème des Fleurs du Mal. Mais il y a deux Invitations au voyage, puisqu'on trouve un texte portant le même titre (N° 18) dans le recueil des Petits poèmes en prose : Le Spleen de Paris (N° XVIII), publié en 1857 dans une revue. On sait que ces Petits poèmes en prose furent écrits après les Fleurs du Mal. Ils complètent, explicitent et élargissent nombre de poèmes. Aussi, tout au long de cette étude, je ferai régulièrement allusion à ces deux invitations. Voici un extrait de ce texte en prose : Il est un pays superbe, un pays de Cocagne, dit-on, que je rêve de visiter avec une vieille amie. Pays singulier, noyé dans les brumes de notre Nord, et qu’on pourrait appeler l’Orient de l’Occident, la Chine de l’Europe, tant la chaude et capricieuse fantaisie s’y est donné carrière, tant elle l’a patiemment et opiniâtrement illustré de ses savantes et délicates végétations. Un vrai pays de Cocagne, où tout est beau, riche, tranquille, honnête ; où le luxe à plaisir à se mirer dans l’ordre ; où la vie est grasse et douce à respirer ; d’où le désordre, la turbulence et l’imprévu sont exclus ; où le bonheur est marié au silence ; où la cuisine elle-même est poétique, grasse et excitante à la fois ; où tout vous ressemble, mon cher ange. […] Oui, c’est là qu’il faut aller respirer, rêver et allonger les heures par l’infini des sensations. Un musicien a écrit l’Invitation à la valse ; quel est celui qui composera l’Invitation au voyage, qu’on puisse offrir à la femme aimée, à la sœur d’élection ? Oui, c’est dans cette atmosphère qu’il ferait bon vivre, – là-bas, où les heures plus lentes contiennent plus de pensées, où les horloges sonnent le bonheur avec une plus profonde et plus significative solennité. […] Des rêves ! toujours des rêves ! et plus l’âme est ambitieuse et délicate, plus les rêves l’éloignent du possible. Chaque homme porte en lui sa dose d’opium naturel, incessamment sécrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous d’heures remplies par la jouissance positive, par l’action réussie et décidée ? Vivrons-nous jamais, passerons-nous jamais dans ce tableau qu’a peint mon esprit, ce tableau qui te ressemble ? […] Ainsi ces poèmes, bien qu’ils soient sous des formes différentes, ont des thématiques et des points communs flagrants :

  • L’évocation et la description d’un pays idéal, imaginaire, et d’influence orientale
  • La référence à une femme aimée
  • L’importance de la notion de « luxe », intégrée dans les deux poèmes
  • La description d’une chambre et de ses meubles
  • La dimension onirique

Il peut alors être utile et révélateur d’aller encore plus loin en comparant certaines formules du poème des Fleurs du Mal avec leur correspondance et leur développement dans le poème en prose du Spleen de Paris :

L'invitation au voyageLe Spleen de Paris
Mon enfant, ma sœurune vieille amie
à la femme aimée, à la sœur d’élection
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble
Oui, c’est dans cette atmosphère qu’il ferait bon vivre, – là-bas, où les heures plus lentes contiennent plus de pensées, où les horloges sonnent le bonheur avec une plus profonde et plus significative solennité.
Aimer à loisir
Aimer et mourir
C’est là qu’il faut aller vivre, c’est là qu’il faut aller mourir !
Au pays qui te ressembleIl est une contrée qui te ressemble
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pays singulier, noyé dans les brumes de notre Nord, et qu’on pourrait appeler l’Orient de l’Occident
Là tout n'est qu'ordre et beauté
Luxe, calme et volupté.
Un vrai pays de Cocagne, où tout est beau, riche, tranquille, honnête ; où le luxe a plaisir à se mirer dans l’ordre ; où la vie est grasse et douce à respirer ; d’où le désordre, la turbulence et l’imprévu sont exclus
Des meubles luisants
Polis par les ans
Les meubles sont vastes, curieux, bizarres, armés de serrures et de secrets comme des âmes raffinées
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Moi, j’ai trouvé ma tulipe noire et mon dahlia bleu ! Fleur incomparable, tulipe retrouvée, allégorique dahlia, c’est là, n’est-ce pas, dans ce beau pays si calme et si rêveur, qu’il faudrait aller vivre et fleurir ?
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Les miroirs, les métaux, les étoffes, l’orfèvrerie et la faïence y jouent pour les yeux une symphonie muette et mystérieuse ;
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde ;
Ces énormes navires qu’ils charrient, tout chargés de richesses, et d’où montent les chants monotones de la manœuvre,
- Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or ;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.
Les soleils couchants, qui colorent si richement la salle à manger ou le salon, sont tamisés par de belles étoffes ou par ces hautes fenêtres ouvragées que le plomb divise en nombreux compartiments.

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Alexandra

Ex professeure de français reconvertie en rédactrice web, je crois fondamentalement aux pouvoirs du chocolat, aux vertus de la lecture, et à la magie des envolées d’Edouard Baer !