« Rien n'était si beau (…) l'avaient traité de même ».

Voltaire consacre le chapitre 2 au fonctionnement quotidien de l'armée : enrôlement, entraînement des soldats, discipline, sanction... La guerre apparaît au chapitre 3 et met en valeur la fameuse description des deux armées. Candide va assister à la grande bataille entre le Roi de France et le roi de Prusse travestis respectivement en roi des Abares et des Bulgares. Alors que le texte apparaît comme un éloge de l'armée et du combat, l'ironie et le réalisme en font un violent réquisitoire contre la guerre.

→ Comment l'ironie, en transformant la guerre en spectacle, dénonce-t-elle la folie des hommes ?

I : Un discours apparemment favorable à la guerre.

1 : Un registre épique au service de l'éloge.

2 : Une vision esthétique de la bataille ( une parade, une fête ).

3 : Justification de la guerre par diverses considérations.

4 : Minimisation du caractère meurtrier de la guerre.

II : Un discours en réalité accusateur.

1 : Une succession de clins d'oeil ironiques qui créent un décalage.

2 : La représentation macabre et pathétique des victimes ( cf : réalisme ) : guerre horrible et absurde.

3 : Satire de la lâcheté de Candide et des Philosophes / Satire des pouvoirs politiques et religieux.

I :

1 – NB : l'épique est un registre caractérisé par l'amplification des êtres et des choses grâce à l'hyperbole et parfois à l'intervention du merveilleux. L'histoire aussi bien que les personnages font l'objet d'une simplification de nature symbolique.

L'amplification est un procédé littéraire qui consiste à développer une idée pour lui donner plus d'éclat et de force ou de portée.

Le discours développée semble favorable à la guerre de par le registre épique utilisé pour en faire l'éloge : on note un grand nombre d'occurrences en relation avec le héros : « héroïque », « les héros », « quelques héros ». La description des actions en relation avec la guerre participe de cette dimension épique « renverser, « ôter », « aller », « gagner ». Enfin, les hyperboles chiffrées « six mille », « dix mille », « quelques milliers », « trentaine de mille »... Ainsi que l'utilisation des pluriels et des nombreuses énumérations renforcent la dimension hyperbolique du discours.

2 – Justifications morales : le terme religieux « te deum » est utilisé pour accompagner la préparation à la guerre et donc pour légitimer en quelque sorte l'acte guerrier ( ligne 13 ).

Justification philosophiques : le raisonnement accrédite la guerre comme l'indique la reprise d'un terme de philosophie de Leibniz « la raison est suffisante » ( ligne 7 ), « des effets et des causes » ( ligne 14 ), « meilleur des mondes » = formule de Pangloss.

Justification d'ordre légal : « droit public » ( ligne 17 ) = l'acte guerrier est une fois de plus légitimé par une référence au droit international qui régit les relations entre états.

3 – Une vision esthétique de la bataille : une parade, une fête.

La présence d'un lexique évaluatif conséquent donne à la description de la guerre une dimension esthétique : c'est une sorte de parade, de fête. Un grand nombre de termes laudatifs sont utilisées « beau, leste, brillant, ordonné » ( ligne 1 ) associés à l'intensif « si » de la première phrase.

Une guerre sur un fond musical : l'harmonie auditive est suggérée par des instruments de musique associés au canon : « trompettes, fifres, hautbois, tambour » / « canon ». ( ligne 2 et 3 ).

On en vient même à se demander si on n'a pas affaire à un jeu de quilles : « les canons se renversèrent ». Ceci attribue peu d'importance à la vie humaine.

La description qui est faite de la guerre a donc une connotation laudative complétée par une justification de la guerre et une minimisation de ses conséquences.

4 – Minimisation meurtrier de la guerre.

La guerre est présentée sous ses « avantages » : elle « nettoierait » du « mauvais ». On peut en juger par le vocabulaire dépréciatif utilisé pour désigner les victimes : « coquins » ( ligne 6 ), « infecter » ( ligne 7 ).

Enfin, la vision de la guerre passe par cet euphémisme assez choquant : « ôta du meilleur des mondes ». L'acte est présenté de façon atténuée, et non pas dans sa dimension cruelle.

II : 1 – Une succession de clins d'oeil ironiques.

L'utilisation du registre épique est détournée : les héros sont des violeurs, l'action « héroïque » est en fait « une boucherie ». ( voir « boucherie héroïque » ).

On note aussi les antiphrases « si beau, si leste... » ( voir l'accumulation d'adjectifs qui vise aussi le ridicule par l'exagération ), « harmonie », « meilleur des mondes » ( alors qu'il s'agit d'une scène de bataille ! ).

= l'ensemble de ces procédés basé sur antiphrase et oxymore, confère au texte un registre ironique qui vise à ridiculiser la situation en soulignant volontairement le caractère absurde de la scène.

2 – La représentation macabre et pathétique des victimes ( cf : réalisme ) : une guerre horrible et absurde.

On relève d'abord le caractère hyperbolique des données chiffrées : nombre de tués dans le premier paragraphe, considérable pour l'époque « trentaine de mille ». ( ligne 9 ).

Les victimes sont par ailleurs « femmes, enfants et vieillards » . C'est donc un massacre d'innocents, des victimes avant tout vulnérables.

A noter aussi le champ lexical de l'horreur et notamment les détails anatomiques : « criblés de coups », « égorgés », « sanglantes », « éventrées ». Voir aussi le champ lexical du corps « cervelles, bras, jambes, mamelles ». Enfin le substantif « Enfer » insiste sur le caractère particulièrement meurtrier et violent de la bataille.

3 – Satire de la lâcheté de Candide et des philosophes / Satire des pouvoirs ( politiques et religieux ).

On note tout d'abord la comparaison « comme un philosophe » ( ligne 10 ) qui a une valeur d'antiphrase : le philosophe se définit par la maîtrise de ses émotions. Mais peut on parler alors de manque d'engagement ?

A noter aussi la parodie de la philosophie par l'emploi de termes spécifiques utilisés dans un contexte qui en fait voir ironiquement le caractère inadapté et décalé : « meilleur des mondes » est prouvé par un carnage, « la raison suffisante » qui est le principe leibnizien, est employé de manière comique, « des effets et des causes » est associé à la baïonnette. ( Voltaire a toujours considéré la guerre comme l'incarnation de l'existence du mal sur terre ; Candide y est donc très vite confronté dès qu'il quitte la château ).

L'accent est mis sur l'individualité et non sur la communauté qui régit les pouvoirs en place : voir le pronom indéfini « chacun », le déterminant possessif « son ». Les rois n'œuvrent pas pour l'intérêt commun ni pour le bien du peuple. A noter aussi les approximations quant au nombre de victimes « à peu près », « environ ». Il n'y a pas de considération pour le peuple.

Enfin, la religion est au service de la guerre, qui cautionne, encourage les troupes, voir « Te Deum ». Ce sont des actions qui vont à l'encontre des préceptes religieux « aimer son prochain ».

CONCLUSION : Comme souvent dans les textes de Voltaire, il ne faut pas se fier à l'apparence d'une première lecture élogieuse. Le caractère hyperbolique de la description de la guerre, montrée comme une sorte de parade bon enfant, faussement légitimée par des arguments simplistes, cache en réalité une très forte critique de la guerre et de ce qu'elle implique. C'est la satire de l'optimisme auquel se livre Voltaire, dénonçant le patriotisme belliqueux qui pousse un pouvoir égoïste à sacrifier d'innocentes victimes..

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Agathe

Professeur de langues dans le secondaire, je partage avec vous mes cours de linguistique !