Voici le BAC session 2009. Entraînez-vous ! On peut supposer que le théâtre ne tombera pas cette année, n'est-ce pas ? Rien n'est moins sûr ! Ne faites pas l'impasse. Dans l'ensemble, le sujet était difficile, les textes longs et compliqués et l'énoncé de la question, me semble-t-il, peu clair !

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BACCALAURÉAT GÉNÉRAL SESSION 2009

ÉPREUVE DE FRANÇAIS SÉRIES ES-S

Durée de l'épreuve : 4 heures Coefficient : 2

L'usage des calculatrices et des dictionnaires est interdit.

Le candidat s'assurera qu'il est en possession du sujet correspondant à sa série.

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Objet d'étude

Le théâtre : texte et représentation

Le sujet comprend :

Texte A - Molière, La Critique de L'Ecole des femmes (1663), scène 5

Texte B - Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac (1897), acte I, scène 3

Texte C - Paul Claudel, Le Soulier de satin (1929), Première journée, scène 1

Texte D - Jean Anouilh, Antigone (1944), Prologue

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TEXTE A – Molière, La Critique de L'Ecole des femmes

La Critique de L'Ecole des femmes met en scène un débat entre des personnagesadversaires et partisans de la pièce L'Ecole des femmes, " quatre jours après " lapremière représentation. Quand Dorante entre en scène, la discussion est en cours.

SCÈNE V

DORANTE, LE MARQUIS, CLIMÈNE, ÉLISE, URANIE.

DORANTE

Ne bougez, de grâce, et n'interrompez point votre discours. Vous êtes là sur une

matière qui, depuis quatre jours, fait presque l'entretien de toutes les maisons de

Paris, et jamais on n'a rien vu de si plaisant que la diversité des jugements qui se

font là-dessus. Car enfin j'ai ouï condamner cette comédie à certaines gens, par les

mêmes choses que j'ai vu d'autres 5 estimer le plus.

URANIE

Voilà Monsieur le Marquis qui en dit force mal.

LE MARQUIS

Il est vrai, je la trouve détestable ; morbleu ! détestable du dernier détestable ; ce

qu'on appelle détestable.

DORANTE

Et moi, mon cher Marquis, je trouve le jugement détestable.

LE MARQUIS

10 Quoi ! Chevalier, est-ce que tu prétends soutenir cette pièce ?

DORANTE

Oui, je prétends la soutenir.

LE MARQUIS

Parbleu ! je la garantis détestable.

DORANTE

La caution n'est pas bourgeoise1. Mais, Marquis, par quelle raison, de grâce, cette

comédie est-elle ce que tu dis ?

LE MARQUIS

15 Pourquoi elle est détestable ?

1 Remarque moqueuse : une garantie était dite " bourgeoise " quand elle était fournie par une

personne solvable. Le marquis est un aristocrate.

DORANTE

Oui.

LE MARQUIS

Elle est détestable, parce qu'elle est détestable.

DORANTE

Après cela, il n'y a plus rien à dire : voilà son procès fait. Mais encore instruis-nous,

et nous dis les défauts qui y sont.

LE MARQUIS

Que sais-je, moi ? je ne me suis pas seulement donné la peine 20 de l'écouter. Mais

enfin je sais bien que je n'ai jamais rien vu de si méchant2, Dieu me damne ; et

Dorilas, contre qui3 j'étais, a été de mon avis.

DORANTE

L'autorité est belle, et te voilà bien appuyé.

LE MARQUIS

Il ne faut que voir les continuels éclats de rire que le parterre4 y fait : je ne veux point

25 d'autre chose pour témoigner qu'elle ne vaut rien.

DORANTE

Tu es donc, Marquis, de ces Messieurs du bel air5, qui ne veulent pas que le parterre

ait du sens commun, et qui seraient fâchés d'avoir ri avec lui, fût-ce de la meilleure

chose du monde ? Je vis l'autre jour sur le théâtre6 un de nos amis, qui se rendit

ridicule par là. Il écouta toute la pièce avec un sérieux le plus sombre du monde ; et

30 tout ce qui égayait les autres ridait son front. A tous les éclats de rire, il haussait les

épaules, et regardait le parterre en pitié ; et quelquefois aussi le regardant avec

dépit, il lui disait tout haut : " Ris donc, parterre, ris donc ! " Ce fut une seconde

comédie, que le chagrin7 de notre ami. Il la donna en galant homme à toute

l'assemblée8, et chacun demeura d'accord qu'on ne pouvait pas mieux jouer qu'il fit.

35 Apprends, Marquis, je te prie, et les autres aussi, que le bon sens n'a point de place

déterminée à la comédie ; que la différence du demi-louis d'or et de la pièce de

quinze sols9 ne fait rien du tout au bon goût ; que, debout et assis, on peut donner un

mauvais jugement ; et qu'enfin, à le prendre en général, je me fierais assez à

l'approbation du parterre, par la raison qu'entre ceux qui le composent il y en a

40 plusieurs qui sont capables de juger d'une pièce selon les règles, et que les autres

en jugent par la bonne façon d'en juger, qui est de se laisser prendre aux choses, et

de n'avoir ni prévention aveugle, ni complaisance affectée, ni délicatesse ridicule.

2 méchant : mauvais, sans valeur.

3 contre qui : à côté de qui.

4 le parterre : les spectateurs, qui n'appartenaient pas à l'aristocratie, s'y tenaient debout.

5 le " bel air " : les belles manières, celles des gens " de qualité ". Expression qui, après avoir été

à la mode, s'employait souvent ironiquement.

6 Certains spectateurs, appartenant à l'aristocratie, prenaient place sur des chaises, de chaque

côté de la scène.

7 chagrin : mauvaise humeur.

8 Remarque moqueuse : en homme de bonne compagnie, puisqu'il s'offre lui-même en spectacle

au public.

9 Fait allusion au prix payé par les spectateurs assis aux places " sur le théâtre ", et par ceux qui

sont debout, au parterre.

LE MARQUIS

Te voilà donc, Chevalier, le défenseur du parterre ? Parbleu ! je m'en réjouis, et je ne

manquerai pas de l'avertir que tu es de ses amis. Hai ! hai ! hai ! hai ! hai ! hai !

DORANTE

Ris tant que tu voudras. Je suis pour le bon sens, et ne saurais souffrir 45 les ébullitions

de cerveau de nos marquis de Mascarille10. J'enrage de voir de ces gens qui se

traduisent en ridicules, malgré leur qualité ; de ces gens qui décident toujours et

parlent hardiment de toutes choses, sans s'y connaître ; qui dans une comédie se

récrieront aux méchants endroits, et ne branleront pas à ceux qui sont bons ; qui

50 voyant un tableau, ou écoutant un concert de musique, blâment de même et louent

tout à contre-sens, prennent par où ils peuvent les termes de l'art qu'ils attrapent, et

ne manquent jamais de les estropier, et de les mettre hors de place. Eh, morbleu !

Messieurs, taisez-vous, quand Dieu ne vous a pas donné la connaissance d'une

chose ; n'apprêtez point à rire à ceux qui vous entendent parler, et songez qu'en ne

55 disant mot, on croira peut-être que vous êtes d'habiles gens.

10 Mascarille : ce valet, dans Les Précieuses ridicules, singeait les marquis, ainsi ridiculisés par

Molière.

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TEXTE B – Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac  Le premier acte est intitulé : " Une représentation à l'Hôtel de Bourgogne ". La didascalie initiale indique : " en 1640 ".

[…]

LA SALLE

Commencez !

UN BOURGEOIS, dont la perruque s'envole au bout d'une ficelle, pêchée par unpage de la galerie supérieure.

Ma perruque !

CRIS DE JOIE

Il est chauve !...

Bravo, les pages !... Ha ! ha ! ha !...

LE BOURGEOIS, furieux, montrant le poing.

5 Petit gredin !

RIRES ET CRIS, qui commencent très fort et vont décroissant.

Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha !

(Silence complet)

LE BRET, étonné.

Ce silence soudain ?...

Un spectateur lui parle bas.

Ah ?...

LE SPECTATEUR

La chose me vient d'être certifiée.

MURMURES, qui courent.

10 Chut ! - Il paraît ?... - Non ! - Si ! - Dans la loge grillée.

- Le Cardinal ! - Le Cardinal ? - Le Cardinal1 !

UN PAGE

Ah ! diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal !...

On frappe sur la scène. Tout le monde s'immobilise. Attente.

LA VOIX D'UN MARQUIS, dans le silence, derrière le rideau.2

Mouchez cette chandelle3 !

UN AUTRE MARQUIS, passant la tête par la fente du rideau.

Une chaise !

Une chaise est passée, de main en main, au-dessus des têtes. Le marquis la prend

et disparaît, non sans avoir envoyé quelques baisers aux loges.

UN SPECTATEUR

15 Silence !

1 Le cardinal Richelieu, qui assistait parfois aux spectacles, et qui faisait régner son autorité sur les

lettres et les arts.

2 Certains spectateurs, appartenant à l'aristocratie, prenaient place sur des banquettes et des

chaises, de chaque côté de la scène.

3 L'éclairage aux chandelles exigeait qu'on les éteigne et qu'on les remplace fréquemment.

On refrappe les trois coups. Le rideau s'ouvre. Tableau. Les marquis assis sur les

côtés, dans des poses insolentes. Toile de fond représentant un décor bleuâtre de

pastorale. Quatre petits lustres de cristal éclairent la scène. Les violons jouent

doucement.

LE BRET, à Ragueneau, bas.

Montfleury4 entre en scène ?

RAGUENEAU, bas aussi.

Oui, c'est lui qui commence.

LE BRET

Cyrano n'est pas là.

RAGUENEAU

J'ai perdu mon pari5.

LE BRET

Tant mieux 20 ! tant mieux !

On entend un air de musette, et Montfleury paraît en scène, énorme, dans un

costume de berger de pastorale, un chapeau garni de roses penché sur l'oreille, et

soufflant dans une cornemuse enrubannée.

LE PARTERRE, applaudissant.

Bravo, Montfleury ! Montfleury !

4 Montfleury : cet acteur a véritablement existé, jouant notamment à l'Hôtel de Bourgogne, puis dans

la troupe de Molière.

5 Ragueneau a parié que Cyrano, qui avait interdit à Montfleury de se produire " pour un mois ",

viendrait le chasser de la scène. Et, en effet Cyrano va faire bientôt son entrée.

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TEXTE C – Paul Claudel, Le Soulier de satin

PREMIÈRE JOURNÉE

[…]

Coup bref de trompette.

La scène de ce drame est le monde et plus spécialement l'Espagne à la fin du XVIe,

à moins que ce ne soit le commencement du XVIIe siècle. L'auteur s'est permis de

comprimer les pays et les époques, de même qu'à la distance voulue plusieurs

lignes de montagnes séparées ne sont qu'un seul horizon.

Encore un petit coup de trompette.

Coup prolongé de sifflet comme pour la

manoeuvre d'un bateau.

Le rideau se lève.

SCÈNE PREMIÈRE

L'Annoncier1, le Père Jésuite.

L'ANNONCIER - Fixons, je vous prie, mes frères, les yeux sur ce point de l'Océan

Atlantique qui est à quelques degrés au-dessous de la Ligne2 à égale distance de

l'Ancien et du Nouveau Continent. On a parfaitement bien représenté ici l'épave d'un

navire démâté qui flotte au gré des courants. Toutes les grandes constellations de

l'un et de l'autre hémisphères, la Grande Ourse, la Petite Ourse, 5 Cassiopée, Orion, la Croix du Sud, sont suspendues en bon ordre comme d'énormes girandoles3 et

comme de gigantesques panoplies4 autour du ciel. Je pourrais les toucher avec ma

canne. Autour du ciel. Et ici-bas un peintre qui voudrait représenter l'oeuvre des

pirates – des Anglais probablement – sur ce pauvre bâtiment espagnol, aurait

10 précisément l'idée de ce mât, avec ses vergues et ses agrès5, tombé tout au travers

du pont, de ces canons culbutés, de ces écoutilles6 ouvertes, de ces grandes taches

de sang et de ces cadavres partout, spécialement de ce groupe de religieuses

écroulées l'une sur l'autre. Au tronçon du grand mât est attaché un Père Jésuite,

comme vous voyez, extrêmement grand et maigre. La soutane déchirée laisse voir

15 l'épaule nue. Le voici qui parle comme il suit : " Seigneur, je vous remercie de

m'avoir ainsi attaché... " Mais c'est lui qui va parler. Écoutez bien, ne toussez pas et

essayez de comprendre un peu. C'est ce que vous ne comprendrez pas qui est le

plus beau, c'est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c'est ce que vous

ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle.

(Sort I'Annoncier.)

1 L'Annoncier : " devant le rideau baissé ", ce personnage, " un papier à la main ", a annoncé le titre

de la pièce, " Le Soulier de satin ou Le Pire n'est pas toujours sûr, Action espagnole en quatrejournées ".

2 la Ligne : l'équateur.

3 " girandoles " a ici le sens de guirlandes lumineuses.

4 panoplie : à l'origine, armure complète d'un chevalier, ici ensemble d'objets de décoration.

5 Les " vergues " servent à porter la voile ; les " agrès " désignent l'ensemble de ce qui concerne

la mâture d'un navire.

6 écoutilles : ouvertures pratiquées dans le pont d'un navire pour accéder aux entreponts et aux cales.

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TEXTE D – Jean Anouilh, Antigone  Un décor neutre. Trois portes semblables. Au lever du rideau, tous les personnages sont en scène. Ils bavardent, tricotent, jouent aux cartes. Le Prologue se détache et s'avance.

LE PROLOGUE1

Voilà. Ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone. Antigone, c'est la petite

maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle

pense. Elle pense qu'elle va être Antigone tout à l'heure, qu'elle va surgir soudain de

la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans

la famille et se dresser seule en face du monde, seule en face 5 de Créon, son oncle,

qui est le roi. Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait

bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle

joue son rôle jusqu'au bout... Et, depuis que ce rideau s'est levé, elle sent qu'elle

s'éloigne à une vitesse vertigineuse de sa soeur Ismène, qui bavarde et rit avec un

10 jeune homme, de nous tous, qui sommes là bien tranquilles à la regarder, de nous

qui n'avons pas à mourir ce soir. Le jeune homme avec qui parle la blonde, la belle,

l'heureuse Ismène, c'est Hémon, le fils de Créon. Il est le fiancé d'Antigone. Tout le

portait vers Ismène : son goût de la danse et des jeux, son goût du bonheur et de la

réussite, sa sensualité aussi, car Ismène est bien plus belle qu'Antigone, et puis un

15 soir, un soir de bal où il n'avait dansé qu'avec Ismène, un soir où Ismène avait été

éblouissante dans sa nouvelle robe, il a été trouver Antigone qui rêvait dans un coin,

comme en ce moment, ses bras entourant ses genoux, et il lui a demandé d'être sa

femme. Personne n'a jamais compris pourquoi. Antigone a levé sans étonnement

ses yeux graves sur lui et elle lui a dit " oui " avec un petit sourire triste…

20 L'orchestre attaquait une nouvelle danse, Ismène riait aux éclats, là-bas, au milieu

des autres garçons, et voilà, maintenant, lui, il allait être le mari d'Antigone. Il ne

savait pas qu'il ne devait jamais exister de mari d'Antigone sur cette terre et que ce

titre princier lui donnait seulement le droit de mourir. Cet homme robuste, aux

cheveux blancs, qui médite là, près de son page, c'est Créon. C'est le roi. Il a des

25 rides. Il est fatigué. Il joue au jeu difficile de conduire les hommes. Avant, du temps d'OEdipe, quand il n'était que le premier personnage de la cour, il aimait la musique, les belles reliures, les longues flâneries chez les petits antiquaires de Thèbes. Mais OEdipe et ses fils sont morts. Il a laissé ses livres, ses objets, il a retroussé ses manches et il a pris leur place.

1 Dans la tragédie grecque, le Prologue précédait l'entrée du choeur. De manière originale, Anouilh

utilise le mot pour désigner un personnage et la première partie de la pièce.

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ÉCRITURE

I – Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez d'abord à

la question suivante (4 points) :

Quelles attitudes de spectateur ces textes proposent-ils ? Vous répondrez de façon

organisée et synthétique.

II – Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :

1. Commentaire

Vous commenterez le texte de Molière (texte A).

2. Dissertation

Dans quelle mesure le spectateur est-il partie prenante de la représentation

théâtrale ?

Vous répondrez en faisant référence aux textes du corpus, aux oeuvres étudiées en

classe, et à celles que vous avez vues ou lues.

3. Invention

Dans Cyrano de Bergerac, avant le lever de rideau, " Tout le monde s'immobilise.Attente. " Vous allez assister à la représentation d'une pièce que vous connaissez.

Les lumières s'éteignent progressivement. Vous découvrez alors l'espace scénique.

Faites part de vos réactions, de cette expérience des premiers instants du

spectacle.

Attention, il ne s'agit ni de raconter la pièce, ni de la résumer.

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Sources : n'importe où sur le web

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Agathe

Professeur de langues dans le secondaire, je partage avec vous mes cours de linguistique !