La figure de l’entrepreneur dans l’économie

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Introduction

 

En janvier 2009 a été adopté le régime de l’auto entrepreneur visant à favoriser l’emploi et faciliter la création d’entreprises, à travers de nombreux avantages sociaux et fiscaux. Selon le domaine d’activité, l’auto entrepreneur doit ainsi s’acquitter d’un prélèvement unique allant de 13 à 23%.

Cette mesure devait permettre de « libérer les énergies créatrices » des individus, qui par leur volonté et leur imagination, imposeraient leur produit ou leur service sur le marché.

Cette conception héroïque et individualiste de l’entrepreneur n’est pas nouvelle : si elle prédomine dans la philosophie politique américaine (mythe du self-made man), elle a été théorisée par Joseph Schumpeter qui en fait l’élite du capitalisme.

En effet, grâce à son innovation, l’entrepreneur perturbe l’équilibre économique, fait preuve de courage face à l’incertitude du profit et surtout ne répond pas à des motivations purement économiques.

La simple joie de créer peut être l’une des raisons qui pousse l’entrepreneur à innover.

La figure de l’entrepreneur fait pourtant l’objet d’une évolution paradoxale. Longtemps ignoré par les économistes, il est désormais un personnage bien installé dans l’organisation économique, symbole de la réussite économique. Dans son édition du 27 novembre 2010, Le Monde Magazine explique ainsi que « le bonheur est dans les PME »  (dossier « La tête de l’emploi : portraits d’entrepreneurs heureux ») tandis que Mark Zuckerberg, co-fondateur du site Facebook, tend à devenir le Bill Gates du XXIe siècle et a même fait l’objet d’un film, The Social Network.  Symbole du darwinisme capitaliste, l’entrepreneur est paré de toutes les vertus :

Schumpeter évoque ainsi « un matériel humain d'une qualité supérieure à la normale »[1]. Cette vision est cependant quelque peu idéalisée : quelle place prend le profit dans la logique de l’entrepreneur ?

Ne doit-il pas faire pression sur les consommateurs pour qu’ils soient convaincus du bien-fondé de son innovation ? Loin d’être un héros, l’entrepreneur est aussi celui qui provoque une crise dans le secteur concurrencé. Sa logique se baserait avant tout sur les occasions de profit comme l’explique l’économiste américain Israel Kirzner. Dans le même temps, la figure de l’entrepreneur semble menacée par l’évolution du capitalisme. Dans un contexte de financiarisation et de concentration entrepreneuriale, l’entrepreneur-agent apparaît presque archaïque.

L’émergence des grandes entreprises et l’influence croissante de l’actionnariat pèsent sur son existence même : l’innovation est désormais reléguée à des services ad hoc, favorisant un entrepreneur-collectif. Dès lors, faut-il voir dans l’entrepreneur un agent purement désintéressé permettant l’équilibre du marché ou bien un individu profitant de ses failles pour son propre profit ?

La figure de l’entrepreneur a mis du temps à s’imposer avant d’être consacrée par Schumpeter (I) tandis que son rôle exact dans l’économie diffère selon les auteurs (II) et que son avenir semble incertain dans un capitalisme de trust, en proie à une financiarisation croissante (III).

*

L’apparition de l’entrepreneur dans le schéma économique est relativement tardive (A) mais il est définitivement théorisé par Joseph Schumpeter (B).

 

               L’entrepreneur est une figure relativement récente dans l’économie. Ce n’est qu’avec la sophistication des moyens de production et le développement du capitalisme qu’il a pu s’imposer. L’instauration d’un ordre concurrentiel a logiquement entraîné un cycle d’innovation porté par certains agents. L’entrepreneur « bouscule » le marché en offrant un produit inédit. Les économistes s’intéressent ainsi tardivement à l’entrepreneur car il n’apparaît pas comme un acteur en tant que tel.

Difficilement cernable et différenciable du simple producteur, l’entrepreneur ne constitue pas un sujet d’étude. Il faut attendre le XVIIe siècle et les écrits de  Richard Cantillon pour qu’il soit clairement identifié. Au chapitre XIII de son Essai sur la nature du commerce en général (1755), le physiocrate franco-irlandais Richard Cantillon tente de définir ce qu’est un entrepreneur en s’appuyant  sur des métiers existants.

Au-delà de la longue liste qu’il en tire, il propose une définition basée sur le salariat et l’incertitude : « Tous les autres sont Entrepreneurs, soit qu’ils s’établissent avec un fond pour conduire leur entreprise, soit qu’ils soient Entrepreneurs de leur propre travail sans aucuns fonds, et ils peuvent être considérés comme vivant à l’incertain » (Partie I, chapitre XIII). L’entrepreneur s’oppose ainsi aux agents ayant une rente financière fixe (courtisan, domestique).

Il est un individu isolé aux « gages incertains » qui par son courage  entretient une dynamique dans l’économie. La figure de l’entrepreneur chez Cantillon n’est toutefois pas aussi positive que celle de Schumpeter : les « gueux » et les « voleurs » sont eux-aussi considérés comme des entrepreneurs.  Près de cinquante ans plus tard, Jean-Baptiste Say s’intéresse à son tour à cette figure nouvelle. S’il conserve la notion d’ « incertitude », il s’attache à démontrer son rôle particulier dans la production. Il explique ainsi : « Dans quelle classe mettez-vous les banquiers, les courtiers, les commissionnaires en marchandises, qui travaillent pour compte d'autrui ? Dans la classe des entrepreneurs parce qu'ils exercent leurs fonctions par entreprise, se chargeant de trouver les moyens d'exécution, et les employant à leurs frais »[2]. De fait, Jean-Baptiste Say en fait une figure essentielle dans le processus de production : « Il est l'intermédiaire entre le capitaliste et le propriétaire foncier, entre le savant et l'ouvrier, entre toutes les classes de producteurs, et entre ceux-ci et le consommateur.

Il administre l'œuvre de la production; il est le centre de plusieurs rapports » (Traité d’Economie Politique, II, 7). L’entrepreneur apparaît en revanche en retrait dans les écrits de Karl Marx. Pour lui, il est une figure naturelle du capitalisme et ne dispose pas de caractéristiques particulières. Il rémunère le travail, dégage une plus-value et permet donc l’exploitation capitaliste.

Dans sa Théorie de l’évolution économique (1912), Joseph Schumpeter expose pour la première fois sa théorie de l’entrepreneur. Il définissait ce dernier par sa fonction essentielle qui était d’innover, c’est-à-dire mettre en œuvre des combinaisons nouvelles : « Son rôle consiste à réformer ou à révolutionner la routine de production en exploitant une invention ou plus généralement une possibilité technique inédite ».

 Il complète l’approche individualiste en l’inscrivant dans un processus économique global bien défini. Surtout, l’entrepreneur apparaît désormais comme un agent « positif », aux nombreuses qualités. L’entrepreneur schumpétérien est avant tout désintéressé. Contrairement à l’homo economicus, l’entrepreneur ne cherche pas le profit en tant que tel et ses motivations ne sont pas forcément rationnelles. Sa conduite économique peut s’expliquer par une volonté de puissance, une volonté de succès et ou la simple joie de créer. De par son rôle, l’entrepreneur est une « force productrice » qui s’apparente presque à une élite. Schumpeter explique d’ailleurs que tous les agents ne peuvent pas être des entrepreneurs : « Il existe une classe qui, par le jeu du processus de sélection dont elle est issue, contient un matériel humain d’une qualité supérieure à la normale ».

Les entrepreneurs ne constituent cependant pas une « classe sociale », une « classe en soi », puisqu’être entrepreneur n’est pas une condition permanente : « Nobody ever is an entrepreneur all the time, and nobody can ever be only an entrepreneur » (Business Cycles: a Theoretical, Historical and Statistical Analysis of the Capitalist Process, I, 103).

Ainsi, Henry Ford est un entrepreneur lorsqu’il imagine et conçoit la Ford Model T en 1909 mais ne l’est pas en 1903, lorsqu’il est simple chef d’entreprise. Schumpeter distingue aussi l’entrepreneur de l’inventeur : l’entrepreneur fait la découverte et surtout l’introduit sur le marché. Face au conservatisme ambiant, il doit posséder certaines qualités : une certaine intuition, un jugement hors du commun, un goût pour l’action plus que pour la logique : « Ici tout dépend du "coup d'oeil", de la capacité de voir les choses d'une manière que l'expérience confirme ensuite, même si elle ne saisit pas l'essentiel et pas du tout l'accessoire »[3].

La rationalité apparaît même néfaste au processus d’innovation : « Un travail préliminaire et une connaissance approfondie, l'étendue de la compréhension intellectuelle, un talent d'analyse logique peuvent être suivant les circonstances, des sources d'insuccès ». Par la théorie qu’il fait de l’entrepreneur, Schumpeter s’oppose quelque peu à ses prédécesseurs.

En effet, l’entrepreneur schumpétérien ne supporte pas le risque, élément clef chez Cantillon.

Ce n’est pas lui qui prend des risques mais bien le banquier en lui avançant des fonds sans savoir si projet est viable économiquement.

Car si l’entrepreneur s’apparente à une élite, il est susceptible de connaître des échecs. S’opposant cette fois-ci à l’entrepreneur comme « manager » (combinaison de facteurs de production chez Jean-Baptiste Say), Schumpeter explique qu’il n’assure pas une fonction d’organisation et qu’entreprendre et organiser sont deux activités bien différentes.

 

*          *

L’entrepreneur est le moteur de l’économie chez Schumpeter (A) mais son rôle se révèle plus complexe, faisant apparaître une opposition entrepreneur-perturbateur et entrepreneur-régulateur (B).

 

Dans la théorie schumpétérienne, l’entrepreneur agit comme un élément perturbateur dans l’économie. Dans le cadre d’un capitalisme concurrentiel, son innovation lui permet de faire la différence par rapport aux autres entreprises. L’état de concurrence pousse naturellement aux investissements et aux nouvelles découvertes. Une économie capitaliste ne peut demeurer stationnaire. Elle est constamment révolutionnée soit par de nouvelles structures productives soit par de nouveaux produits. Seul l’entrepreneur a la capacité de provoquer ces changements en faisant de nouvelles combinaisons de facteurs.

Dans une économie évolutive, la force provient donc de l’offre : c’est le producteur qui initie les changements.

De fait, l’entrepreneur doit faire en quelque sorte « l’éducation » du consommateur et créer un besoin qui n’existait pas auparavant : « the great majority of changes in commodities consumed has been forced by producers on consumers who, more often that not, have resisted the change and have had to be educated up by elaborate psychotechnics of advertising » [4]. Schumpeter définit l’innovation dans un premier temps comme l’exécution d’une « combinaison nouvelle » de facteurs. Par la suite, c’est la « mise en œuvre d’une nouvelle fonction de production ».

De l’innovation découle un mouvement cyclique à deux phases : prospérité et récession. Dans un premier temps, l’entrepreneur dégage un profit grâce à la nouveauté du bien et du fait de sa position initiale de monopole, ce profit est maximal.

Le cadre concurrentiel de l’économie pousse cependant d’autres entreprises à copier le produit en vue de réaliser des profits supplémentaires. C’est le processus de diffusion de l’innovation, correspondant à la phase de prospérité. Dans un second temps, la concurrence amène les entreprises imitatrices à diminuer le prix du bien, réduisant la marge du premier entrepreneur. Il se produit alors ce que Schumpeter appelle l’auto déflation. Les entreprises innovatrices remboursent les prêts bancaires ce qui équivaut à une destruction de monnaie, venant accentuer les difficultés.

Les prix continuent de baisser : c’est la récession. Ce mouvement de l’économie est appelé destruction créatrice et explique la disparition de certains secteurs et le développement d’autres: « Chaque profit individuel se tarit, l’économie de concurrence ne tolère pas de plus-values durables ».

Les « grappes d’innovations », c’est-à-dire le développement des innovations, expliquent les mouvements longs de Kondratiev qui modèlent la croissance à long terme de la société.

Dans Les grands cycles de la conjoncture, l’économiste russe établit en effet l’existence de cycles de croissance d’une durée de 45 à 50 ans. Dans la Théorie de l’évolution économique, Schumpeter distingue cinq cas d’innovations : la fabrication d’un bien nouveau, l’introduction d’une nouvelle méthode de production, l’ouverture d’un nouveau marché, la conquête d’une nouvelle source de matières premières et l’apparition d’une nouvelle organisation (trusts, cartels, monopole).

L’entrepreneur schumpétérien est donc d’abord un entrepreneur-innovateur. Son rôle essentiel est de déstabiliser l’économie en concevant un produit nouveau et en le présentant sur le marché. Cette approche, liant entrepreneur et innovation, n’est pourtant pas la seule. A côté de la théorie de l’entrepreneur-perturbateur, le postulat premier, celui de Cantillon et de Say, fait de l’entrepreneur un créateur d’ordre. Son objectif étant de produire, il combine différents facteurs de production de la façon la plus efficace en fonction des ressources existantes. Il a un rôle d’équilibre dans l’organisation économique. De fait, une opposition peut être posée entre les deux théories. Pour Sophie Boutillier et Dimitri Uzunidis, si l’entrepreneur est conçu comme un régulateur, alors « [il] intervient lorsque les opportunités de profit se présentent lesquelles sont générées par les mouvements de l'économie (croissance et crise) nourris par la marchéïsation continue des besoins humains. […]

L'entrepreneur ne crée pas ex nihilo, mais en tirant profit de circonstances particulières où entrent en jeu à la fois l'état du marché, des technologies, le niveau d'éducation, les rapports de forces entre les entreprises, des rapports personnels, etc. »[5]

Cette capacité de percevoir les rapports de force économique est appelée « capacité de jugement » chez Say et « vigilance » (alertness) chez Israel Kirzner. Pour ce dernier, l’entrepreneur a une fonction d’arbitrage dans le jeu économique et son existence est liée à la possibilité de profit. Lorsqu’un mauvais prix s’établit sur le marché, il intervient. Le professeur d’économie et spécialiste de l’entrepreneur Jean-Pierre Brechet écrit ainsi : « Kirzner appréhende de manière différente la dynamique entrepreneuriale à laquelle il prête une vertu équilibrante alors que Schumpeter la conçoit comme un facteur de déséquilibre ». [6]

La notion de risque, déjà présente chez Cantillon (« ils peuvent être considérés comme vivant à l’incertain », Essai sur la nature du commerce en général, Partie I, chapitre XIII), est aussi remise en cause par certains auteurs.

Chez Cantillon, l’entrepreneur est un agent qui achète à des prix certains pour les vendre à  des prix incertains : « [les entrepreneurs] en donnent un prix certain suivant celui du lieu où ils les achètent, pour les revendre en gros ou en détail à un prix incertain » (Partie I, chapitre XIII). Il existe bien un risque de perte d’argent dans l’activité entrepreneuriale.

L’économiste Frank Knight distingue lui le « risque » de « l’incertitude » dans son ouvrage Risk, Uncertainty and Profit, paru en 1921.

Selon lui, le profit rémunère les décisions prises par l’entrepreneur  dans un environnement incertain, où le risque n’est pas assurable. Ce n’est donc pas le risque, prévisible et assurable, mais l’incertitude qui est donc au fondement de la fonction entrepreneuriale. Cette distinction reste cependant mineure dans la philosophie globale de l’entrepreneur. Déjà l’économiste allemande Thünen, au XIXe siècle, expliquait que le gain entrepreneurial représentait la rémunération d’un risque non-susceptible d’être pris en charge par les compagnies d’assurance. Knight ne fait donc que préciser une caractéristique principale.

Enfin, dans son article "Entrepreneur and development"[7], paru dans l’American Economic Review, H. Leibenstein identifie trois rôles principaux pour l’entrepreneur : il améliore les flux d’informations sur les marchés (intermarket operator), compense les insuffisances du marché (gap-filling) et comme chez Schumpeter, réalise de nouvelles combinaisons de facteurs de production (input-completer).

*          *

*

Si l’entrepreneur semble menacé dans le capitalisme de trust (A), cette vision « évolutionniste » assimile en réalité évolution à disparition (B).

Dans les écrits de Cantillon, l’entrepreneur est également appelé « marchand », signe d’un capitalisme encore balbutiant. Il ne devient un agent « en soi » qu’avec la complexification du capitalisme.

De fait, Schumpeter distingue deux grands types de capitalisme : concurrentiel et de trust. Le capitalisme concurrentiel renvoie à une situation économique où de petites entreprises se font concurrence.

Le second, qui lui succède, est marqué par la prédominance de grandes entreprises et un mouvement de concentration. L’évolution du capitalisme a logiquement un impact sur la figure de l’entrepreneur.

Schumpeter est d’ailleurs assez pessimiste sur son avenir : l’émergence d’une bureaucratie au sein des grandes entreprises entraîne une routinisation de l’activité économique, synonyme de mort du dynamisme porté par les entrepreneurs dans un capitalisme concurrentiel. La rationalisation excessive de l’organisation économique aurait donc pour conséquence la fin du capitalisme lui-même. Ses différentes évolutions ont fait varier la figure de l’entrepreneur dans le temps : pour François Perroux, quatre types d’entrepreneurs schumpétériens ont pu se succéder : le fabricant-commerçant, le capitaine d’industrie, le directeur et le fondateur. Il critique par ailleurs les critères qui servent le plus souvent à mesurer le progrès, le plus souvent des « indicateurs de structures » (Théorie Générale du Progrès Economique). Dans une telle approche, les individus sont « broyés » tandis que l’accent est mis sur la dynamique des structures.

L’entrepreneur n’y aurait aucune place. Le capitalisme de trust tend également à supprimer l’existence de l’entrepreneur comme agent singulier.

En effet, si le capitalisme concurrentiel lie innovation à création d’entreprise, ce n’est pas le cas dans les grandes entreprises.

L’innovation n’appartient plus à une seule personne mais à un groupe.

L’innovation devient collective. Le poids des actionnaires dans les décisions de l’entreprise empêche toute prise de risque jugée irrationnelle.

Cette part d’instinct, ce « coup d’œil » si chère à Schumpeter, disparaît du fait de la prise de pouvoir de l’actionnariat et de la bureaucratisation de l’entreprise. Ce scepticisme quant au futur de l’entrepreneur est extrêmement fort puisqu’il écrit : « Comme l'initiative capitaliste, de par ses réussites mêmes, tend à autonomiser les progrès, nous conclurons qu'elle tend à se rendre elle-même superflue […]. L'unité industrielle géante parfaitement bureaucratisée n'élimine pas seulement […] les firmes de taille petite ou moyenne, mais, en fin de compte, elle élimine également l'entrepreneur »[8]. L’action de l’entrepreneur entraînerait donc sa propre perte.

Cette perspective évolutionniste doit cependant être nuancée. Si l’entrepreneur en tant qu’individu peut amener à disparaître, le processus d’innovation n’a pas vocation à cesser. Il y aurait une reconfiguration de l’entrepreneur dans le cadre d’un capitalisme de trust. Ainsi, J.K. Galbraith explique que le capitalisme de trust est loin de rompre avec le supposé dynamisme du capitalisme concurrentiel : « La direction assigne leurs tâches à des comités d'où émergeront les décisions : ce faisant, elle rompt avec la routine dans laquelle l'organisation risquerait de s'enliser.

Elle choisit les hommes qui composent les groupes qui prendront les décisions, et elle constitue et reconstitue ces groupes à mesure que changent les besoins. C'est peut-être sa fonction la plus importante. Dans une économie où l'intelligence organisée est l'agent de production décisif, la sélection de l'intelligence ainsi organisée est d'une importance capitale »[9]. L’appui de petites entreprises (externalisation) permet aussi de maintenir la  « réactivité traditionnelle ».

Loin de supprimer l’entrepreneur en tant que tel, les grandes entreprises ne font que l’adopter aux nouvelles conditions de l’organisation économique.

Par ailleurs, la figure de l’entrepreneur a elle aussi subi des changements. Le terme « entrepreneur » n’évoque plus uniquement le héros schumpétérien. Le régime de l’auto entrepreneur évoqué précédemment montre bien que l’entrepreneur actuel est d’abord souci de créer son propre emploi plutôt que de bouleverser l’économie. S’inscrivant un contexte local, il développe des relations complexes avec d’autres entreprises pour développer ses projets.

 

 

 

Signe de la vivacité du mythe schumpétérien, l’entrepreneur reste une figure majeure dans l’économie. Symbole de réussite, il répond aux logiques internes du capitalisme.

S’il n’apparaît que tardivement dans les écrits scientifiques, c’est que son existence est liée à l’avènement d’un capitalisme suffisamment « mature », fondé sur une organisation concurrentielle. Ce modèle économique appelle logiquement à rompre avec l’état stationnaire et développer de nouvelles innovations. Si l’entrepreneur est désormais clairement identifié comme agent économique, son rôle peut varier selon les auteurs.

L’entrepreneur-perturbateur reste cependant la vision la plus partagée : à l’origine des cycles de croissance, il stimulerait l’économie en obligeant ses concurrents à s’adapter. Ce pouvoir d’entraînement doit être nuancé.

S’il est vrai que certains individus ont pu marquer par leur réussite économique, le rôle des entrepreneurs dans  la diversification des formes de capitalisme reste marginal. Dans Civilisation matérielle, économie et capitalisme, l’historien Fernand Braudel écrit ainsi : « la vérité observée montre, dix fois pour une, que le novateur est porté par le flot de la marée montante ». Si pour Schumpeter l’entrepreneur est bien l’initiateur d’une dynamique de croissance, il serait en réalité un individu, certes doté de nombreuses qualités, mais uniquement à l’affût des failles de marché dans l’espoir d’un profit.



[1] Cité in « Entrepreneur et accumulation chez Schumpeter », Laboratoire Redéploiement Industriel et Innovation, Université du Littoral côte d’Opale, n°59, Novembre 2002, Fabrice Dannequin

[2] Cité in « La théorie de l’entrepreneur chez Jean-Baptiste Say et la tradition Cantillon-Knight », L’actualité économique, Vol. 73, n°4, 1997, p. 611-627, Philippe Steiner

[3] Cité in « Entrepreneur et accumulation chez Schumpeter », Laboratoire Redéploiement Industriel et Innovation, Université du Littoral côte d’Opale, n°59, Novembre 2002, Fabrice Dannequin

[4] Idem, cf. 3

[5] In « L’utilité marginale de l’entrepreneur », Innovations, 1/2001, n°13, p. 17, Sophie Boutillier & Dimitri Uzunidis

[6] In « Entreprendre et innover dans une économie de la connaissance », 6ème Congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat, 2009, Jean-Pierre Brechet

[7]« Entrepreneur and development », American Economic Review, Vol. LVIII, n°2, 1968, H. Leibenstein

[8] In « Entrepreneur et accumulation chez Schumpeter », Laboratoire Redéploiement Industriel et Innovation, Université du Littoral côte d’Opale, n°59, Novembre 2002, Fabrice Dannequin

[9] Idem, cf. 8

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Alban

Professeur en Economie Gestion (Comptabilité/Finance) accompagne étudiants filière expertise comptable en comptabilité, finance, contrôle de gestion