Une classe de collégiens d’Antibes a passé une journée dans l’ancien camp d’extermination, libéré par l’armée soviétique il y a aujourd’hui soixante-quatre ans. Une confrontation bouleversante et salutaire.

Reportage. Oswiecim (Pologne), envoyé spécial.

Lorsque l’autocar dans lequel ont embarqué, une heure avant à l’aéroport de Cracovie, les troisièmes du collège Bertone d’Antibes, aborde la plaine brumeuse et hérissée de bouleaux squelettiques d’Oswiecim (connu dans le monde entier sous son nom allemand d’Auschwitz) chacun ouvre grand les yeux et retient son souffle. « Là je sens que je vais bientôt pleurer », dit la brune Charlène à sa blonde copine Manon qui masque son trac par un beau sourire nerveux. Pourtant, comme la quinzaine de leurs camarades de collège, elles ont été préparées à ce « voyage de la mémoire » organisé et financé pour la quatrième année consécutive par le conseil général des Alpes-Maritimes. Ainsi que l’explique leur professeur de français, Anne Mainguy : « La Seconde Guerre mondiale a été abordée en avance sur le programme de l’année et des films comme Nuit et Brouillard ou la Vie est belle ont été visionnés en classe. De plus, chaque élève a dû rédiger une lettre de motivation pour être de ce voyage. » Il n’empêche que les cœurs se serrent lorsque l’on devine les premiers miradors du camp AuschwitzII-Birkenau puis qu’apparaît la monumentale porte d’entrée de cette usine de mort grande comme cent soixante-quinze terrains de football où ont été assassinés plus d’un million d’hommes, femmes et enfants pour la plupart juifs mais aussi tziganes, slaves, homosexuels et handicapés. Avant de commencer la visite -Birkenau le matin, AuschwitzI l’après-midi, le camp de travail AuschwitzIII de la société allemande IG Farben ayant disparu-, la guide polonaise Sophie prévient : « À Auschwitz on a toujours froid et pas seulement à cause de l’hiver. »

Ce n’est pas en fait, sous un petit soleil chauve d’hiver, la déambulation entre les hauts barbelés sur une esplanade herbue et sillonnée par une double voie de chemin de fer qui glace le sang. Les autorités polonaises ont fait des vestiges de Birkenau, c’est-à-dire des installations que les SS n’ont pas eu le temps de détruire avant l’arrivée de l’armée Rouge, un musée à ciel ouvert, très proprement entretenu. D’ailleurs Charles Gottlieb déporté ici même, le 13août 1944 à l’âge de dix-huit ans, qui en est à son quatorzième voyage d’accompagnement de jeunes Azuréens, s’efforce de restituer un peu l’ambiance effroyable de l’époque. Dans un baraquement reconstitué : « Le plus humiliant c’est de faire ses besoins à côté de quelqu’un d’autre. » Le long d’un mur de barbelés autrefois électrifiés : « Ici, tous les matins, on décrochait des suicidés. » Près d’un fossé : « Vous êtes en train de marcher sur des centaines de cadavres. » Ou encore : « Imaginez des milliers de femmes pataugeant toute la journée dans la boue, traitées comme des bêtes. » Mais rien n’y fait, le début de la visite est clinique. D’une voix monocorde, la guide Dorothée n’oublie aucun chiffre, aucune date. Du quai de débarquement des wagons à bestiaux aux ruines de la chambre à gaz, les jeunes demeurent silencieux parce qu’on leur a dit et répété « qu’ils marchent dans un cimetière ». Mais « on n’arrive pas à imaginer l’inimaginable », dit l’un d’entre eux qui semble plus effaré que les autres.

La première émotion palpable au sein de ce groupe formé de cent trente collégiens accompagnés par leurs professeurs, d’élus locaux et de représentants d’associations de handicapés, ne se produit pas durant la « prière œcuménique » imposée par les organisateurs devant le mémorial aux victimes de la barbarie nazie. « Prière des morts » légitime, prononcée en hébreu et français par le jeune rabbin niçois Avichaï Nakache. « Notre Père », dit par le vicaire épiscopal Jean-Marie Lopez, beaucoup plus contestable en ce lieu, compte tenu de l’attitude pour le moins controversée de l’Église de Rome vis-à-vis de l’extermination des juifs.

Non, le premier frisson de cette journée particulière vient de la lecture, par une jeune fille, du poème de Primo Levi qui ouvre son chef-d’œuvre Si c’est un homme.

N’oubliez pas que cela fut/Non, ne l’oubliez pas/ Gravez ces mots dans votre cœur/ Pensez-y chez vous, dans la rue… »

Primo Levi qui écrivait aussi : « Le seul fait qu’un Auschwitz ait pu exister devrait interdire aujourd’hui à quiconque de prononcer le mot Providence Charles Gottlieb le dit à sa manière en franchissant, en début d’après-midi, le portail d’AuschwitzI surmonté du cynique slogan nazi « Le travail rend libre » : « Avant d’être déporté je n’étais pas très pratiquant ; depuis je ne peux plus croire du tout en Dieu ».

Mais plus qu’à entamer un débat théologique avec les élèves c’est à raconter la vie quotidienne dans ce camp édifié à partir d’anciennes casernes en briques de l’armée polonaise à quoi s’applique inlassablement celui qui porte encore sur son avant-bras gauche, tatoué, le numéro B 9664. Il dit les appels, debout dans le froid, qui pouvaient durer quatre heures. Le SS qui lançait au kapo de son commando : « Vous partez travailler à 120, revenez à 100… alors il en mourait 20 dans la journée ». Mais, comme tout le monde, il se tait, saisi d’effroi, devant les vitrines du musée d’Auschwitz où l’on a entassé des milliers de paires de lunettes, une montagne de valises, des tonnes de cheveux de femmes qui, phase ultime de l’exploitation du corps humain, servaient à la fabrication de couvertures. « C’est cette déshumanisation qui m’a le plus frappé », disent, à peu de choses près, Charlène qui a voulu être de ce voyage parce que « (son) père est juif » et Manon qui, elle, « s’intéresse beaucoup à l’histoire ». Yohann, dont le grand-oncle, républicain espagnol, a été déporté « quelque part en Pologne » tout comme Charles dont le grand-père, résistant, est mort durant un transport vers un camp de concentration ont plutôt été touchés par cette immense photo d’un adolescent hongrois de quatorze ans au corps martyrisé. Quant à Alexandre et Kevin, ils ont été émus par le sort des enfants transformés en esclaves lorsqu’ils n’étaient pas tués dès leur arrivée au camp.

Mais la nuit tombe -trop vite- dans les allées d’Auschwitz. Fatiguée, bouleversée, la petite troupe antiboise flanche et se disperse. Tant pis pour la remarquable exposition sur la déportation réalisée par des historiens français et Serge Klarsfeld, parcourue en quelques minutes seulement. Néanmoins les professeurs sont satisfaits : « Ce voyage sera utile. Les émotions ressenties ici devraient provoquer chez les élèves une réflexion à partir de laquelle je voudrais leur faire écrire un récit historique sur la guerre et la déportation », explique Anne Mainguy. Devant la chambre à gaz et les fours crématoires, Charles Gottlieb leur donnera pour finir cette visite au pas de course, matière à réflexion justement, en expliquant que sur sa tenue rayée étaient cousus un triangle rouge et un jaune. Le rouge, car arrêté à Lyon comme résistant politique (du groupe FTPF Carmagnole Liberté). Le jaune, parce que, dit-il « je suis devenu juif à Auschwitz ». Plus qu’une religion le judaïsme était une culture en Pologne d’où la famille de Charles était originaire. Six millions de juifs ont été exterminés dans les camps nazis. Eux et leurs descendants manquent cruellement à l’Europe des peuples qui pour ces jeunes d’Antibes ou de Cracovie reste à construire.

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Olivier

Professeur en lycée et classe prépa, je vous livre ici quelques conseils utiles à travers mes cours !