Chapitres
- 01. Présentation de la pièce
- 02. Résumé de la pièce
- 03. Les personnages
- 04. Pistes d'analyse
- 05. Citations
Présentation de la pièce
En attendant Godot est une pièce de théâtre, comprenant deux actes, publiée en 1952 aux Editions de Minuit. Si Samuel Beckett est Irlandais de naissance, né à Dublin en 1906, il adopte rapidement la langue française comme langue d'écriture, vivant à Paris dès 1938, après avoir déjà été lecteur à l'Ecole normale supérieure de Paris.
En conséquence, En attendant Godot est une pièce écrite en français. Elle est particulière en ceci qu'elle n'indique aucune scène, ni ne les décompte. Cela se rapporte à de « l'anti-théâtre », qui cherche à remettre en cause les normes traditionnelles du genre.
« J'ai commencé d'écrire Godot pour me détendre, pour fuir l'horrible prose que j'écrivais à l’époque, la sauvage anarchie des romans », déclara l'auteur.
En attendant Godot se joue pour la première fois en 1953 à Paris, dans une mise en scène de Roger Blin. La pièce fit scandale à l'époque. Lors des premières semaines de représentations, la moitié de la salle sortait avant la fin de l'acte I. D'autres spectateurs agacés restaient pour contrarier le jeu des acteurs en huant, et en faisant du bruit.
Godot déclenchait chaque soir des batailles entre les défenseurs de la pièce et les mécontents, rejouant la bataille d’Hernani. La situation a même dégénéré un soir en une bagarre et le rideau a dû se baisser au début de l'acte II. Mais c'est aussi ce qui l'a rendue célèbre : les gens se déplaçaient pour vivre in situ le scandale, plus que pour découvrir un jeune auteur. La pièce sera traduite et jouée ensuite dans le monde entier.
Elle a été inscrite par la critique dans le courant du théâtre de l'absurde.
Résumé de la pièce
Il est difficile de résumer la pièce, puisque Beckett joue précisément de l'absence d'intrigue claire, et se refuse à définir un cadre spatio-temporel précis, non plus que d'accorder des rôles définis à ses personnages.
Acte I
La situation initiale
La pièce s'ouvre sur une scène vide, qui a pour seul décor un arbre sans feuille. Au pied de cet arbre se trouve Estragon, un vagabond, qui tente vainement d'ôter ses chaussures.
Un second homme entre alors : il s'agit de Vladimir, qui se révèle être un acolyte du premier personnage. Tous deux errent ensemble, sans but précis. Ils n'ont qu'une seule habitude ancrée : se quitter tous les soirs, se retrouver tous les matins.
Leur dialogue est rempli de lieux communs : ils discutent de la vie, de la mort, de la souffrance, sous des airs d'absurdité.
L'attente éternelle de Godot
Bientôt, on comprend qu'ils attendent là dans le but de rencontrer un homme, Godot, qui ne vient jamais. Ils cherchent à s'occuper pour tromper leur attente : ils discutent de sujets divers, dérivant sur le suicide ou d'autres choses morbides.
L'arrivée de Pozzo et de Lucky
Soudain, un cri se fait entendre. Les deux compères pensent à Godot, qui arrive enfin.
Mais sur la scène débarquent en fait deux hommes. L'un est surchargé de bagages, le cou ligoté par une corde ; l'autre le tient en laisse, et a un fouet dans son autre main.
Le maître dit s'appeler Pozzo, et se présente comme le propriétaire des terres sur lesquelles se trouvent les deux vagabonds. Son esclave a pour nom Lucky (« chanceux », en anglais).
Pozzo leur explique que Lucky est une bête de somme, mais qu'il s'apprête à le vendre, parce qu'il a de moins en moins d'utilité - « sauf à penser ». Il enchaîne sur une tirade lyrique, qui évoque le coucher du soleil, mais il ennuie son auditoire - montrant par là la vanité de toute poésie.
Pozzo, pour remercier son public, fait faire à Lucky une danse, comme s'il était un singe savant. Mais cela met mal à l'aise Vladimir et Estragon. Ensuite de quoi il ordonne à son esclave de penser ; Lucky débite alors des bouts de phrase sans cohérence et les autres doivent l'arrêter en utilisant la force.
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Retour de l'attente : Godot ne viendra pas
Finalement, le maître et l'esclave s'en vont. Vladimir et Estragon restent seuls ; ils veulent partir, mais ne peuvent pas, parce que Godot doit venir...
Une voix annonce enfin qu'il ne viendra pas, mais qu'il sera là le lendemain. Estragon se désespère, tandis que Vladimir pose des questions insensées.
Le rideau tombe.
Acte II
Le lendemain, même situation
L'acte II s'ouvre de la même manière que l'acte I : Vladimir et Estragon se retrouvent au même endroit, à la même heure. Seule différence : l'arbre porte des feuilles à ses branches. C'est le signe que, malgré la répétition des choses, le temps s'écoule.
Vladimir arrive en chantant. Estragon, au contraire, annonce qu'il s'est fait battre. Pourtant, les deux sont incapables de savoir ce qu'ils ont fait la veille.
Ils guettent, tandis que rien ne se passe. Puis ils se disputent. Puis se raccommodent. Puis font des exercices de gymnastique. Estragon tente d'implorer Dieu, mais rien n'arrive.
Le retour de Pozzo et de Lucky
Soudain, Pozzo et Lucky réapparaissent sur scène. Mais, sous le poids de sa charge, Lucky tombe, et entraîne son maître avec lui. Vladimir et Estragon y trouve un moyen de se divertir.
Pozzo, à terre, demande qu'on l'aide. Estragon voit plutôt là l'occasion de le battre pour se distraire un peu. Mais Vladimir lui oppose l'idée de dignité humaine et tente de le relever. C'est un échec : il tombe lui aussi, bientôt suivi par Estragon.
Tous se relèvent finalement et découvrent que Pozzo est devenu aveugle. Celui-ci est incapable d'en expliquer les raisons à Vladimir, tandis qu'Estragon se met à frapper Lucky. Puis il s'arrête et se rend compte que l'esclave est muet. Finalement, son maître et lui quittent la scène.
Le retour de l'attente
Vladimir et Estragon sont de nouveau seuls. La voix venue des coulisses surgit soudain, pour les prévenir que Godot ne viendra pas ce soir, mais qu'il sera là demain.
Les deux compères, démunis, se demandent si Pozzo n'est pas Godot déguisé.
Vladimir souhaite continuer d'attendre mais Estragon lui propose de se pendre, pour en finir. Il tente alors de le faire avec sa ceinture, mais celle-ci se casse.
Les deux compères décident de revenir le lendemain, avec une bonne corde : ainsi, si Godot ne vient pas, ils seront quand même délivrés.
La pièce se termine ainsi, sans réel dénouement : on ne sait pas qui est Godot, on ne sait pas ce que deviennent les deux personnages. En somme, le temps est une souffrance, et il n'y a pas d'issue.
Les personnages
Estragon
Estragon est sans aucun doute le personnage le plus triste de la pièce : on pourrait même dire qu’il incarne le pessimisme. Ses premières paroles sont d’ailleurs : « Rien à faire ».
Ainsi, par son biais, le spectateur est directement plongé dans l’ambiance de la pièce : l’ennui. Rien ne compte plus pour lui, mis à part Vladimir. Et s'il peut être parfois cruel à son égard, c'est parce qu'il se sent mal-aimé. Il menace de partir, sans doute pour que Vladimir le supplie de rester.
Il oublie sans cesse, pose beaucoup de questions, les répète.
Vladimir
Vladimir quant à lui, est largement moins pessimiste que son partenaire. Il cherche à tout pris un remède à l’ennui. Il insiste énormément dans l’importance d’attendre Godot : cela l’occupe et l’empêche de s’ennuyer.
La rencontre de Pozzo et Lucky lui offre une vraie occasion de se divertir.
C’est lui qui rassure Estragon, qui le convainc de rester là, à attendre, et il l’aide à passer le temps. Il reste persuadé que Godot va venir un jour ou l’autre et est obnubilé par cette venue qu’il sent imminente.
Pozzo
Pozzo, à première vue, paraît être un personnage prétentieux, méprisant et méchant mais il révèle par la suite quelques faiblesses et semble déçu par la vie de Lucky qu’il maltraite et tyrannise.
Il est ravi, dans le premier acte de discuter avec Vladimir et Estragon puisque cela le distrait. Il cherche de même à les distraire grâce à Lucky.
Dans le deuxième acte il est aveugle, faible et inférieur, c'est-à-dire dans une position à l'opposé de celle du premier acte. Il figure ainsi la fragilité de toute situation en même temps que l'absurdité des catastrophes biographiques.
Lucky
Lucky est le personnage le plus intriguant de la pièce.
En effet, il ne dialogue absolument pas et la seule fois où il parle consiste en une longue tirade incompréhensible qui agace les autres personnages.
S'il est tenu à l’aide d’une corde par Pozzo, il échappe pourtant autant à la compréhension des spectateurs autant que des autres personnages. D’après Pozzo, il était plus humain auparavant, mais on ne sait rien de son histoire personnelle. Il est posé là, dans l'instant de sa souffrance et de sa soumission.
Godot
Godot, est le grand absent de la pièce. Pour autant, son absence et son attente contribuent à le rendre présent.
La critique a pu avancé qu'en Godot soit symbolisé Dieu (god en anglais). Dieu, comme Godot, est en effet présent sur terre par les discussions qu'il génère et les attentes des croyants. Mais cette hypothèse reste évasive et fut réfutée par l’auteur lui-même : « Si j'avais voulu faire entendre cela, je l'aurais appelé Dieu, pas Godot. »
Beckett a montré qu'il y avait une pluralité d'interprétations possibles pour ce personnage : existent, par ce nom, une rue Godot, un coureur cycliste Godot, etc. A Roger Blin, qui lui demandait la signification de Godot, il répondit que ce nom lui était venu du nom comme « godasse » (Deirdre Bair,Samuel Beckett (biographie), traduit de l'américain par Léo Dilé, chapitre XVI « En attendant Godot: Une merveilleuse diversion libératrice », p. 347 à 354, Éditions Fayard, 1990).
Beckett détaille aussi en janvier 1952 dans une lettre à Michel Polac :
« Je ne sais pas plus sur cette pièce que celui qui arrive à la lire avec attention. [...] Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas, surtout pas, s'il existe. [...] Quant à vouloir trouver à tout cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le spectacle, avec le programme et les esquimaux, je suis incapable d'en voir l'intérêt. Mais ce doit être possible. »
Reste que Vladimir et Estragon attendent Godot, ils attendent sa venue « visible », une preuve visuelle de son existence. Ils expriment ici toute la possibilité du doute, en l’absence de la venue de Godot.
Pistes d'analyse
L'anti-scène d'exposition
La scène d'exposition d'En attendant Godot pose tous les enjeux de cette pièce déroutante.
Alors que les premières répliques devraient indiquer aux spectateurs le cadre spatio-temporel et les rôles des personnages, Beckett frustre les attentes. On peut à ce titre parler d'une « anti-scène » d'exposition.
Les deux personnages ne sont pas caractérisés. Tout juste le spectateur peut-il voir que Vladimir est plus agité (c'est lui qui souhaite attendre) et qu'Estragon est plus passif.
Ils n'ont pas de passé et leur avenir est incertain. Le début de la pièce, plutôt que d'apporter des réponses, provoque un afflux de questions :
- Pourquoi attendent-ils Godot ?
- Qui est Godot ?
- Que doit-il leur apporter ?
- etc.
La pièce s'annonce alors comme centrée exclusivement sur une parole parfois incohérente, rythmée par les silences et le mouvement des corps. Ce qui règne, c'est avant tout l'incertitude.
Une analyse complète de la scène d'ouverture est disponible ici.
La nature double de l'homme
Entre Vladimir et Estragon, le partage des rôles est clair.
- Vladimir est pratique, refuse l'aspect spirituel des choses ; il se souvient des événements passés ; il espère sans arrêt que Godot arrive ; il tente de protéger Estragon
- Estragon est rêveur ; il oublie les événements et le nom de Godot ; il est faible, se fait battre chaque nuit
Si, sur la base de ces différences, ils se querellent fréquemment, ils restent toujours ensemble. Leurs personnalités sont complémentaires et leur couple représente la nature double de l'homme.
Chez Estragon, il y a la volonté de rompre avec les exigences de la société pour retrouver le silence. Chez Vladimir, il y a au contraire le voeu d'avancer et de continuer sa vie.
On peut cependant voir comme thème principal de la pièce l'impuissance, celle de l'âme aussi bien que celle du corps. Les deux vagabonds sont incapables de changer leur situation. Mais ils tentent, tant bien que mal, de manière monotone, de se mouvoir, entretenant l'espérance d'une vie future meilleure.
Godot et son attente perpétuelle les assurent d'un renouvellement toujours à venir.
L'absurdité
Selon Albert Camus, le sentiment d'absurdité est dû à un « divorce entre l'homme et sa vie ».
Dans En attendant Godot, plusieurs faits attestent de cela :
- Vladimir et Estragon sont sans passé et sans futur
- Ils ne savent rien de l'endroit où ils se trouvent
- Ils n'ont aucune information sur le pourquoi de leur attente
Les deux vagabonds sont donc privés de mémoire et de savoir, sans possibilité de parvenir à une réponse. La répétition de répliques qui reviennent à intervalles réguliers dans la pièce témoignent du manque de sens qui entoure leur vie : tout ce qu'ils disent n'ont aucun but, dans la mesure où, de toute manière, ils ne s'en souviendront pas.
Selon la définition du Petit Robert, « absurde » se définit comme « Contraire à la raison, au sens commun. Déraisonnable, extravagant, stupide, ridicule ». Cette acception est également nourrie dans la pièce :
- le bavardage des vagabonds est souvent « stupide »
- la rencontre avec Pozzo et Lucky, tout comme le fameux discours incohérent de celui-ci, sont extravagants
Temps & attente
Dans En attendant Godot, beaucoup de questions tournent autour de la veille (entendue comme le jour ayant précédé), qui s'explique par la perte de mémoire incessante des personnages.
Ce sentiment d'inconnu autour de la veille est renforcé par deux éléments dramaturgiques :
- entre la veille et l'aujourd'hui semblent s'être passées des choses inconcevables, comme Pozzo qui devient aveugle et Lucky muet, ou les chaussures d'Estragon qui ne sont plus trop petites pour ses pieds
- le temps semble passer très lentement : l'attente rend les secondes plus longues que de simples secondes, et entre le matin et le soir, il est impossible pour les personnages de se souvenir de ce qu'il s'est passé
Mais ce qui demeure le plus important, c'est d'attendre. L'action n'existe pas : c'est attendre qui constitue l'acte central. Tout se passe comme si l'attente était prisée pour elle-même, alors que, dans la vraie vie, on attend quelque chose. Ici, ce n'est pas le cas ; les deux personnages attendent pour attendre :
VLADIMIR. – [...] Nous sommes au rendez-vous, un point c’est tout. Nous ne sommes pas des saints, mais nous sommes au rendez-vous. Combien de gens peuvent en dire autant ?
Vladimir ne perd jamais patience dans son attente. Godot a promis de venir. L'attente, dans En attendant Godot, ne verra jamais sa fin : c'est le sens du participe présent dans le titre : en attendant - ce qui est important, c'est la dynamique de l'attente elle-même.
Une image de la condition humaine
En replaçant la pièce dans son contexte historique, celui post-Seconde Guerre mondiale, la pièce livre une image radicale de la condition humaine.
La quantité invraisemblable de morts donne un sentiment de futilité à toute chose, en même temps qu'elle draine un pessimisme fatal sur la civilisation.
En attendant Godot questionne aussi sur la portée du langage et ses vraies possibilités. La plupart des questions restent sans réponse et prouve par là qu'elle est un instrument qui évite de penser. Chaque personnage utilise les mots comme un passe-temps, tant l'environnement a perdu son sens. Ne reste qu'à attendre, en se divertissant tant bien que mal. La futilité cherche à couvrir la futilité de la société elle-même, qui a perdu son sens et ses origines.
La question finale, c'est bien : quelque part, l'homme n'est-il pas toujours en train d'attendre ?
Attendre une personne, un événement, la mort, etc. Godot vient alors représenter, de manière absolue, l'attente relative qui gouverne toujours nos vies. L'existence est faite de passe-temps en attendant d'autres passe-temps. Espérer qu'il se passe quelque chose de définitif, comme Vladimir et Estragon attendant Godot comme une fin en soi, c'est, finalement, espérer une rédemption qui n'arrivera jamais, et qui permet de fuir la souffrance et l'angoisse d'une condition privée de sens.
Citations
« Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent »
« Essayons de converser sans nous exalter puisque nous sommes incapables de nous taire »
« Voilà l'homme tout entier, s'en prenant à sa chaussure alors que c'est son pied le coupable. »
« Ne disons pas de bien de notre époque, elle n’est pas plus malheureuse que les précédentes.»
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