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Le naturalisme
Il faut d'abord évoquer le courant qui meut Zola, dont il est le théoricien et chef de file : le naturalisme.
La première œuvre qui peut s'en réclamer est Thérèse Raquin, roman publié en 1867. Il y expose, pour la première fois, une vision quasi-scientifique de la littérature. Il dit, à propos de cet écrit :
« Dans Thérèse Raquin, j'ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J'ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus. J'ai cherché à suivre pas à pas dans ces brutes le travail sourd des passions, les poussées de l'instinct, les détraquements cérébraux survenus à la suite d'une crise nerveuse. Les amours de mes deux héros sont le contentement d'un besoin ; le meurtre qu'ils commettent est une conséquence de leur adultère, conséquence qu'ils acceptent comme les loups acceptent l'assassinat des moutons ; enfin, ce que j'ai été obligé d'appeler leurs remords, consiste en un simple désordre organique, en une rebellion du système nerveux tendu à se rompre. L'âme est parfaite absente, j'en conviens aisément puisque je l'ai voulu ainsi. »
Émile Zola, Préface de la deuxième édition de Thérèse Raquin, 1868
Pour Zola, l'artiste moderne doit mettre dans l'art l'esprit de recherche et de méthode qui a fait progresser les sciences. La science est ainsi la première des thématiques zolienne.
Plus précisément, le naturalisme se définit par ce qu'il refuse :
- l'idéalisme mystique qui base les œuvres sur le surnaturel et l'irrationnel
- l'idéalisme classique qui étudie lʼhomme abstrait, l'homme métaphysique
- le dogmatisme catholique qui affirme un absolu théologique
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La science
Le naturalisme, puisqu'il s'inspire de méthodes scientifiques, s'attache lui-même à démontrer, comme le feraient les mathématiques, et aspire ainsi à une description méthodique, explicite des choses, dont le corps.
Zola est ainsi friand du dévoilement de la chair, du corps dans sa nudité, ses pulsions, ses jouissances, ses désordres, sa libido (voir Nana ou encore L'Assommoir).
On assiste donc à un défoulement du corps dans le roman naturaliste, et plus précisément du ventre, lieu organique de tous les appétits vitaux, celui de la nourriture comme celui du sexe, réceptacle de tous les engloutissements et origine de tous les écoulements (voir L'Assommoir et le festin de l'oie).
La critique bien pensante a accusé Zola de se complaire dans l'obscénité et l'ordure. Tous les caricaturistes d'époque le présentaient en crocheteur fourrageant dans les poubelles ou coiffé d'un pot de chambre.
Le peuple
- Le monde ouvrier : Zola le décrit en particulier dans Germinal, roman qui a pour cadre les mines du nord de la France, et dans lequel apparaît Étienne Lantier, le fils de Gervaise Macquart (l'héroïne malheureuse de L'Assommoir). Étienne, après avoir été au chômage, est engagé dans les mines. Il prend la tête de la lutte que les mineurs, poussés par la misère, engagent contre leurs patrons. Mais la police intervient pour briser la grêve, et des ouvriers sont tués, alors que, soulevés par la faim, ils réclamaient « Du pain ! Du pain ! »
- Le milieu des affaires : de la Curée à Au bonheur des Dames, de Pot-Bouille au Ventre de Paris, Zola aime à dépeindre minutieusement la petite bourgeoisie commerçante parisienne, celle qui navigue dans le monde des finances et de l'industrie, dévouée au grand dieu Argent. Des fortunes se bâtissent, comme lors de la création des premiers grands magasins. Mais derrière les belles façades de luxe travaillent l'hypocrisie, les tares, la perversion, la corruption. Renée, l'héroïne de la Curée, vaincue à la fois par l'amour interdit qu'elle porte à son beau-fils et par un mari tyrannique, sera ainsi conduite aux portes de la folie.
Le dénominateur commun de ces groupes sociaux se fonde sûrement dans le rapport de ses membres au travail, thème central s'il en est de la poétique zolienne.
Le travail
« La vie est la vie elle-même, la vie est un continuel travail des forces chimiques et mécaniques. »
Il y a par exemple cet extrait, dans lequel Coupeau est présenté dans son métier de zingueur. Gervaise, décidée à devenir blanchisseuse à son compte, veut visiter un magasin qu’elle a déjà presque arrêté et vient vers six heures chercher son époux sur le lieu de travail, pour aller ensemble arrêter l’affaire :
« Coupeau terminait alors la toiture d’une maison neuve, à trois étages. Ce jour-là, il devait justement poser les dernières feuilles de zinc. Comme le toit était presque plat, il y avait installé son établi, un large volet sur deux plateaux. Un beau soleil de mai se couchait, dorant les cheminées. Et, tout là-haut, dans le ciel clair, l’ouvrier taillait tranquillement son zinc à coups de cisaille, penché sur l’établi, pareil à un tailleur coupant, chez lui, une paire de culottes. Contre le mur de la maison voisine, son aide, un gamin de dix-sept ans, fluet et blond, entretenait le feu du réchaud en manœuvrant un énorme soufflet, dont chaque haleine faisait envoler un pétillement d’étincelles. “Hé ! Zidore, mets les fers !” cria Coupeau. L’aide enfonça les fers à souder au milieu de la braise, d’un rose pâle dans le plein jour. Puis, il se remit à souffler. Coupeau tenait la dernière feuille de zinc. Elle restait à poser au bord du toit, près de la gouttière ; là, il y avait une brusque pente, et le trou béant de la rue se creusait. Le zingueur, comme chez lui, en chaussons de lisières, s’avança, traînant les pieds, sifflotant l’air d’Ohé ! les p’tits agneaux. Arrivé devant le trou, il se laissa couler, s’arc-bouta d’un genou contre la maçonnerie d’une cheminée, resta à moitié chemin du pavé. Une de ses jambes pendait. Quand il se renversait pour appeler cette couleuvre de Zidore, il se rattrapait à un coin de la maçonnerie, à cause du trottoir, là-bas, sous lui. »
« Mais Zidore ne se pressait pas. Il s’intéressait aux toits voisins, à une grosse fumée qui montait au fond de Paris, du côté de Grenelle ; ça pouvait bien être un incendie. Pourtant, il vint se mettre à plat ventre, la tête au-dessus du trou ; et il passa les fers à Coupeau. Alors, celui-ci commença à souder la feuille. Il s’accroupissait, s’allongeait, trouvant toujours son équilibre, assis d’une fesse, perché sur la pointe d’un pied, retenu par un doigt. Il avait un sacré aplomb, un toupet du tonnerre, familier, bravant le danger. Ça le connaissait. C’était la rue qui avait peur de lui. Comme il ne lâchait pas sa pipe, il se tournait de temps à autre, il crachait paisiblement dans la rue […] Maintenant, penché sur son établi, il coupait son zinc en artiste. D’un tour de compas, il avait tracé une ligne, et il détachait un large éventail, à l’aide d’une paire de cisailles cintrées ; puis, légèrement, au marteau, il ployait cet éventail en forme de champignon pointu. Zidore s’était remis à souffler la braise du réchaud […] “Veux-tu me donner les fers, sacrée andouille !” Il souda, il cria à Gervaise [qu’il avait aperçue en train de l’attendre, comme convenu] : “Voilà, c’est fini… je descends.” Le tuyau auquel il devait adapter le chapiteau, se trouvait au milieu du toit […] le zingueur voulut se pencher, mais son pied glissa. Alors, brusquement, bêtement, comme un chat dont les pattes s’embrouillent, il roula, il descendit la pente légère de la toiture, sans pouvoir se rattraper. “Nom de Dieu !” dit-il d’une voix étouffée. Et il tomba. Son corps décrivit une courbe molle, tourna deux fois sur lui-même, vint s’écraser au milieu de la rue avec le coup sourd d’un paquet de linge jeté de haut. »
L'argent
Dans Germinal, par exemple, Zola s'intéresse au monde minier, particulièrement touché par la misère sociale. Les mineurs travaillent de longues heure dans des conditions effroyables (le noir, aucune protection, etc.) pour un salaire extrêmement bas. L'intrigue s'appuie elle-même sur la grève guidée par Étienne Lantier, dans le but d'obtenir de meilleurs salaires face au patronat, qui refusera toute hausse de revenu.
« Il fut terrible, jamais il n'avait parlé si violemment. D'un bras, il maintenait le vieux Bonnemort, il l'étalait comme un drapeau de misère et de deuil, criant vengeance. En phrases rapides, il remontait au premier Maheu, il montrait toute cette famille usée à la mine, mangée par la Compagnie, plus affamée après cent ans de travail ; et, devant elle, il mettait ensuite les ventres de la Régie, qui suaient l'argent, toute la bande des actionnaires entretenus comme des filles depuis un siècle, à ne rien faire, à jouir de leur corps. N'était-ce pas effroyable ? un peuple d'hommes crevant au fond de père en fils, pour qu'on paie des pots-de-vin à des ministres, pour que des générations de grands seigneurs et de bourgeois donnent des fêtes ou s'engraissent au coin de leur feu ! Il avait étudié les maladies des mineurs, il les faisait défiler toutes, avec des détails effrayants : l'anémie, les scrofules, la bronchite noire, l'asthme qui étouffe, les rhumatismes qui paralysent. Ces misérables, on les jetait en pâture aux machines, on les parquait ainsi que du bétail dans les corons, les grandes Compagnies les absorbaient peu à peu, réglementant l'esclavage, menaçant d'enrégimenter tous les travailleurs d'une nation, des millions de bras, pour la fortune d'un millier de paresseux. Mais le mineur n'était plus l'ignorant, la brute écrasée dans les entrailles du sol. Une armée poussait des profondeurs des fosses, une moisson de citoyens dont la semence germait et ferait éclater la terre, un jour de grand soleil. Et l'on saurait alors si, après quarante années de service, on oserait offrir cent cinquante francs de pension à un vieillard de soixante ans, crachant de la houille, les jambes enflées par l'eau des tailles. Oui ! le travail demanderait des comptes au capital, à ce dieu impersonnel, inconnu de l'ouvrier, accroupi quelque part, dans le mystère de son tabernacle, d'où il suçait la vie des meurt-de-faim qui le nourrissaient ! On irait là-bas, on finirait bien par lui voir sa face aux clartés des incendies, on le noierait sous le sang, ce pourceau immonde, cette idole monstrueuse, gorgée de chair humaine ! »
Zola publie également un roman en 1891 au titre très explicite : L'Argent. Il y raconte l'histoire d'Aristide Saccard qui a la richesse pour seul et unique but. À cette fin, il monte une banque, qui prend rapidement de l'ampleur, mais d'une manière complétement artificielle (il achète lui-même ses propres actions). Dans ce titre, l'auteur cherche à dénoncer la folie financière et boursière, liée à la volonté de gagner toujours plus gros, toujours plus d'argent, sans réelle nécessité.
La religion
« Est-ce que la science a jamais reculé ? C’est le catholicisme qui a sans cesse reculé devant elle et qui sera forcé de reculer sans cesse. Jamais elle ne s’arrête, elle conquiert pas à pas la vérité sur l’erreur [...] cela prête à rire de voir des gens assigner un rôle à la science, lui défendre d’entrer sur tel domaine, lui prédire qu’elle n’ira pas plus loin, déclarer qu’à la fin de ce siècle, lasse déjà elle abdique. Ah ! petits hommes, cervelles étroites ou mal bâties, politiques à expédients, dogmatiques aux abois, autoritaires s’obstinant à refaire les vieux rêves, la science passera et les emportera, comme des feuilles sèches. »
« C’était une sorte d’apôtre, une éloquence populaire et enflammée, une parole fleurie, abondante en images. Et il prêchait sur le néant de la science moderne, dans une envolée mystique extraordinaire, niant la réalité de ce monde, ouvrant l’inconnu, le mystère de l’Au-delà [...] Elle ne sortait plus de l’église, rentrait brisée avec des yeux luisants de voyante ; et les paroles ardentes du capucin la hantaient. »
Conclusion
Bien évidemment, tous ces thèmes se nourrissent les uns des autres et il n'existe pas de séparation bien précise entre, par exemple, l'argent et le travail, ou le monde ouvrier et le peuple. L'entreprise de Zola fut avant tout de décrire le plus globalement possible la société qui l'entourait, en en montrant les vices et les dérives. Zola est, avant tout, un écrivain du réel, du montrer « vrai ».
En définitive, le projet de Zola appartient à la mouvance réaliste. Il se doit :
- d'être sérieux
- de mêler les registres stylistiques
- de n'exclure la description d'aucune classe sociale, d'aucun milieu, d'aucune catégorie socio-professionnelle
- d'intégrer l'histoire des personnages dans le cours général de l'Histoire contemporaine
À cela viennent s'ajouter des préoccupations spécifiquement zoliennes :
- la volonté de décrire exhaustivement le réel
- la volonté de transmettre une certaine information objective (vraie, vérifiable) au lecteur