Chapitres

  1. 01. Lire Maupassant
Les meilleurs professeurs de Français disponibles
Cristèle
4.9
4.9 (85 avis)
Cristèle
100€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Sophie
4.9
4.9 (33 avis)
Sophie
50€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Julie
5
5 (97 avis)
Julie
75€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Adélie
5
5 (65 avis)
Adélie
50€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Albane
4.9
4.9 (144 avis)
Albane
75€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Jules
5
5 (35 avis)
Jules
70€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Angélique
5
5 (62 avis)
Angélique
25€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Chrys
5
5 (201 avis)
Chrys
87€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Cristèle
4.9
4.9 (85 avis)
Cristèle
100€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Sophie
4.9
4.9 (33 avis)
Sophie
50€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Julie
5
5 (97 avis)
Julie
75€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Adélie
5
5 (65 avis)
Adélie
50€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Albane
4.9
4.9 (144 avis)
Albane
75€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Jules
5
5 (35 avis)
Jules
70€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Angélique
5
5 (62 avis)
Angélique
25€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Chrys
5
5 (201 avis)
Chrys
87€
/h
Gift icon
1er cours offert !
C'est parti

Lire Maupassant

    Il y a huit mois environ, un de mes amis, Louis R..., avait réuni,
un soir, quelques camarades de collège ; nous buvions du punch et nous
fumions en causant littérature, peinture, et en racontant, de temps à
autre, quelques joyeusetés, ainsi que cela se pratique dans les
réunions de jeunes gens. Tout à coup la porte s'ouvre toute grande et
un de mes bons amis d'enfance entre comme un ouragan. "Devinez d'où je
viens, s'écria-t-il aussitôt. - Je parie pour Mabille, répond l'un, -
non, tu es trop gai, tu viens d'emprunter de l'argent, d'enterrer ton
oncle, ou de mettre ta montre chez ma tante, reprend un autre. - Tu
viens de te griser, riposte un troisième, et comme tu as senti le punch
chez Louis, tu es monté pour recommencer. - Vous n'y êtes point, je
viens de P... en Normandie, où j'ai été passer huit jours et d'où je
rapporte un grand criminel de mes amis que je vous demande la
permission de vous présenter." A ces mots, il tira de sa poche une main
d'écorché ; cette main était affreuse, noire, sèche, très longue et
comme crispée, les muscles, d'une force extraordinaire, étaient retenus
à l'intérieur et à l'extérieur par une lanière de peau parcheminée, les
ongles jaunes, étroits, étaient restés au bout des doigts ; tout cela
sentait le scélérat d'une lieue. "Figurez-vous, dit mon ami, qu'on
vendait l'autre jour les défroques d'un vieux sorcier bien connu dans
toute la contrée ; il allait au sabbat tous les samedis sur un manche à
balai, pratiquait la magie blanche et noire, donnait aux vaches du lait
bleu et leur faisait porter la queue comme celle du compagnon de saint
Antoine. Toujours est-il que ce vieux gredin avait une grande affection
pour cette main, qui, disait-il, était celle d'un célèbre criminel
supplicié en 1736, pour avoir jeté, la tête la première, dans un puits
sa femme légitime, ce quoi faisant je trouve qu'il n'avait pas tort,
puis pendu au clocher de l'église le curé qui l'avait marié. Après ce
double exploit, il était allé courir le monde et dans sa carrière aussi
courte que bien remplie, il avait détroussé douze voyageurs, enfumé une
vingtaine de moines dans leur couvent et fait un sérail d'un monastère
de religieuses. - Mais que vas-tu faire de cette horreur ? nous
écriâmes-nous. - Eh parbleu, j'en ferai mon bouton de sonnette pour
effrayer mes créanciers. - Mon ami, dit Henri Smith, un grand Anglais
très flegmatique, je crois que cette main est tout simplement de la
viande indienne conservée par le procédé nouveau, je te conseille d'en
faire du bouillon. - Ne raillez pas, messieurs, reprit avec le plus
grand sang-froid un étudiant en médecine aux trois quarts gris, et toi,
Pierre, si j'ai un conseil à te donner, fais enterrer chrétiennement ce
débris humain, de crainte que son propriétaire ne vienne te le
redemander ; et puis, elle a peut-être pris de mauvaises habitudes
cette main, car tu sais le proverbe : "Qui a tué tuera." - Et qui a bu
boira", reprit l'amphitryon. Là-dessus il versa à l'étudiant un grand
verre de punch, l'autre l'avala d'un seul trait et tomba ivre-mort sous
la table. Cette sortie fut accueillie par des rires formidables, et
Pierre élevant son verre et saluant la main : "Je bois, dit-il, à la
prochaine visite de ton maître", puis on parla d'autre chose et chacun
rentra chez soi.
Le lendemain, comme je passais devant sa porte, j'entrai chez lui,
il était environ deux heures, je le trouvai lisant et fumant. "Eh bien,
comment vas-tu ? lui dis-je. - Très bien, me répondit-il. - Et ta
main ? - Ma main, tu as dû la voir à ma sonnette où je l'ai mise hier
soir en rentrant, mais à ce propos figure-toi qu'un imbécile
quelconque, sans doute pour me faire une mauvaise farce, est venu
carillonner à ma porte vers minuit ; j'ai demandé qui était là, mais
comme personne ne me répondait, je me suis recouché et rendormi."
En ce moment, on sonna, c'était le propriétaire, personnage
grossier et fort impertinent. Il entra sans saluer. "Monsieur, dit-il à
mon ami, je vous prie d'enlever immédiatement la charogne que vous avez
pendue à votre cordon de sonnette, sans quoi je me verrai forcé de vous
donner congé. - Monsieur, reprit Pierre avec beaucoup de gravité, vous
insultez une main qui ne le mérite pas, sachez qu'elle a appartenu à un
homme fort bien élevé." Le propriétaire tourna les talons et sortit
comme il était entré. Pierre le suivit, décrocha sa main et l'attacha à
la sonnette pendue dans son alcôve. "Cela vaut mieux, dit-il, cette
main, comme le "Frère, il faut mourir" des Trappistes, me donnera des
pensées sérieuses tous les soirs en m'endormant." Au bout d'une heure
je le quittai et je rentrai à mon domicile.
Je dormis mal la nuit suivante, j'étais agité, nerveux ; plusieurs
fois je me réveillai en sursaut, un moment même je me figurai qu'un
homme s'était introduit chez moi et je me levai pour regarder dans mes
armoires et sous mon lit ; enfin, vers six heures du matin, comme je
commençais à m'assoupir, un coup violent frappé à ma porte, me fit
sauter du lit ; c'était le domestique de mon ami, à peine vêtu, pâle et
tremblant. "Ah monsieur ! s'écria-t-il en sanglotant, mon pauvre maître
qu'on a assassiné." Je m'habillai à la hâte et je courus chez Pierre.
La maison était pleine de monde, on discutait, on s'agitait, c'était un
mouvement incessant, chacun pérorait, racontait et commentait
l'événement de toutes les façons. Je parvins à grand-peine jusqu'à la
chambre, la porte était gardée, je me nommai, on me laissa entrer.
Quatre agents de la police étaient debout au milieu, un carnet à la
main, ils examinaient, se parlait bas de temps en temps et écrivaient ;
deux docteurs causaient près du lit sur lequel Pierre était étendu sans
connaissance. Il n'était pas mort, mais il avait un aspect effrayant.
Ses yeux démesurément ouverts, ses prunelles dilatées semblaient
regarder fixement avec une indicible épouvante une chose horrible et
inconnue, ses doigts étaient crispés, son corps, à partir du menton,
était recouvert d'un drap que je soulevai. Il portait au cou les
marques de cinq doigts qui s'étaient profondément enfoncés dans la
chair, quelques gouttes de sang maculaient sa chemise. En ce moment une
chose me frappa, je regardai par hasard la sonnette de son alcôve, la
main d'écorché n'y était plus. Les médecins l'avaient sans doute
enlevée pour ne point impressionner les personnes qui entreraient dans
la chambre du blessé, car cette main était vraiment affreuse. Je ne
m'informai point de ce qu'elle était devenue.
Je coupe maintenant, dans un journal du lendemain, le récit du
crime avec tous les détails que la police a pu se procurer. Voici ce
qu'on y lisait :
"Un attentat horrible a été commis hier sur la personne d'un jeune
homme, M. Pierre B..., étudiant en droit, qui appartient à une des
meilleures familles de Normandie. Ce jeune homme était rentré chez lui
vers dix heures du soir, il renvoya son domestique, le sieur Bouvin, en
lui disant qu'il était fatigué et qu'il allait se mettre au lit. Vers
minuit, cet homme fut réveillé tout à coup par la sonnette de son
maître qu'on agitait avec fureur. Il eut peur, alluma une lumière et
attendit ; la sonnette se tut environ une minute, puis reprit avec une
telle force que le domestique, éperdu de terreur, se précipita hors de
sa chambre et alla réveiller le concierge, ce dernier courut avertir la
police et, au bout d'un quart d'heure environ, deux agents enfonçaient
la porte. Un spectacle horrible s'offrit à leurs yeux, les meubles
étaient renversés, tout annonçait qu'une lutte terrible avait eu lieu
entre la victime et le malfaiteur. Au milieu de la chambre, sur le dos,
les membres raides, la face livide et les yeux effroyablement dilatés,
le jeune Pierre B... gisait sans mouvement ; il portait au cou les
empreintes profondes de cinq doigts. Le rapport du docteur Bourdeau,
appelé immédiatement, dit que l'agresseur devait être doué d'une force
prodigieuse et avoir une main extraordinairement maigre et nerveuse,
car les doigts qui ont laissé dans le cou comme cinq trous de balle
s'étaient presque rejoints à travers les chairs. Rien ne peut faire
soupçonner le mobile du crime, ni quel peut en être l'auteur. La
justice informe."

    On lisait le lendemain dans le même journal :
"M. Pierre B..., la victime de l'effroyable attentat que nous
racontions hier, a repris connaissance après deux heures de soins
assidus donnés par M. le docteur Bourdeau. Sa vie n'est pas en danger,
mais on craint fortement pour sa raison ; on n'a aucune trace du
coupable."
En effet, mon pauvre ami était fou ; pendant sept mois j'allai le
voir tous les jours à l'hospice où nous l'avions placé, mais il ne
recouvra pas une lueur de raison. Dans son délire, il lui échappait des
paroles étranges et, comme tous les fous, il avait une idée fixe, il se
croyait toujours poursuivi par un spectre. Un jour, on vint me chercher
en toute hâte en me disant qu'il allait plus mal, je le trouvai à
l'agonie. Pendant deux heures, il resta fort calme, puis tout à coup,
se dressant sur son lit malgré nos efforts, il s'écria en agitant les
bras et comme en proie à une épouvantable terreur : "Prends-la !
prends-la ! Il m'étrangle, au secours, au secours !" Il fit deux fois
le tour de la chambre en hurlant, puis il tomba mort, la face contre
terre.
Comme il était orphelin, je fus chargé de conduire son corps au
petit village de P... en Normandie, où ses parents étaient enterrés.
C'est de ce même village qu'il venait, le soir où il nous avait trouvés
buvant du punch chez Louis R... et où il nous avait présenté sa main
d'écorché. Son corps fut enfermé dans un cercueil de plomb, et quatre
jours après, je me promenais tristement avec le vieux curé qui lui
avait donné ses premières leçons, dans le petit cimetière où l'on
creusait sa tombe. Il faisait un temps magnifique, le ciel tout bleu
ruisselait de lumière, les oiseaux chantaient dans les ronces du talus,
où bien des fois, enfants tous deux, nous étions venus manger des
mûres. Il me semblait encore le voir se faufiler le long de la haie et
se glisser par le petit trou que je connaissais bien, là-bas, tout au
bout du terrain où l'on enterre les pauvres, puis nous revenions à la
maison, les joues et les lèvres noires de jus des fruits que nous
avions mangés ; et je regardai les ronces, elles étaient couvertes de
mûres ; machinalement j'en pris une, et je la portai à ma bouche ; le
curé avait ouvert son bréviaire et marmottait tout bas ses oremus,
et j'entendais au bout de l'allée la bêche des fossoyeurs qui
creusaient la tombe. Tout à coup, ils nous appelèrent, le curé ferma
son livre et nous allâmes voir ce qu'ils nous voulaient. Ils avaient
trouvé un cercueil. D'un coup de pioche, ils firent sauter le couvercle
et nous aperçûmes un squelette démesurément long, couché sur le dos,
qui, de son oeil creux, semblait encore nous regarder et nous défier ;
j'éprouvai un malaise, je ne sais pourquoi j'eus presque peur. "Tiens !
s'écria un des hommes, regardez donc, le gredin a un poignet coupé,
voilà sa main." Et il ramassa à côté du corps une grande main desséchée
qu'il nous présenta. "Dis donc, fit l'autre en riant, on dirait qu'il
te regarde et qu'il va te sauter à la gorge pour que tu lui rendes sa
main. - Allons mes amis, dit le curé, laissez les morts en paix et
refermez ce cercueil, nous creuserons autre part la tombe de ce pauvre
monsieur Pierre.
Le lendemain tout était fini et je reprenais la route de Paris
après avoir laissé cinquante francs au vieux curé pour dire des messes
pour le repos de l'âme de celui dont nous avions ainsi troublé la
sépulture.

 

guy de maupassant

 

 

 

Vous avez aimé cet article ? Notez-le !

Aucune information ? Sérieusement ?Ok, nous tacherons de faire mieux pour le prochainLa moyenne, ouf ! Pas mieux ?Merci. Posez vos questions dans les commentaires.Un plaisir de vous aider ! :) 4.00 (3 note(s))
Loading...

Agathe

Professeur de langues dans le secondaire, je partage avec vous mes cours de linguistique !