Le Ravissement de Lol V. Stein est un roman écrit par Marguerite Duras et paru en 1964 aux éditions Gallimard. Il compte parmi les romans les plus célèbres de la romancière, aux côtés d'Un barrage contre le Pacifique (1950) et de L'Amant (1984).

Le roman qui nous intéresse raconte la vie imaginée de Lola Valérie Stein par un homme qui l'aime. Celui-ci, ignorant presque totalement la vie de son amante, ne sait qu'émettre des hypothèses sur son existence passée, et fonctionne à partir de possibilités narratives explicitement élues.

Voici, tout au long, mêlés, à la fois, ce faux semblant que raconte Tatiana Karl et ce que j'invente sur la nuit du Casino de T. Beach. A partir de quoi je raconterai mon histoire de Lol V. Stein.
Les dix-neuf ans qui ont précédé cette nuit, je ne veux pas les connaître plus que je ne le dis, ou à peine, ni autrement que dans leur chronologie même s'ils recèlent une minute magique à laquelle je dois d'avoir connu Lol V. Stein. Je ne le veux pas parce que la présence de son adolescence dans cette histoire risquerait d'atténuer un peu aux yeux du lecteur l'écrasante actualité de cette femme dans ma vie. Je vais donc la chercher, je la prends, là où je crois devoir le faire, au moment où elle me paraît commencer à bouger pour venir à ma rencontre, au moment précis où les dernières venues, deux femmes, franchissent la porte de la salle de bal du Casino municipal de T. Beach.

Quelle est l'histoire de Lol V. Stein ?
Un portrait de Marguerite Duras à l'émission Apostrophes (photo : Charles Platiau, Agence France-Presse)
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C'est parti

Résumé du roman

La situation initiale : une inconnue

Le roman se déploie sur la base d'éléments factuels peu nombreux, et pour cause : le narrateur, Jacques Hold, veut raconter la vie de la femme qu'il aime, Lola Valérie Stein, mais dont il ne sait rien, ou presque. Cette femme, c'est la meilleure amie de son ancienne amante, Tatiana Karl ; et à son sujet, il ne sait que quelques faits épars :

  • il sait que Tatiana et Lol étaient meilleures amies au collège
  • il sait que Lol a été la fiancée de Michael Richardson
  • il sait la scène du bal à T. Beach, là où Anne-Marie Stretter a volé le fiancé d'alors de Lol
  • il sait le mariage de Lol avec Jean Bedford, ses trois enfants et ses dix ans de vie à U. Bridge
  • il sait son retour à S. Tahla, sa ville de naissance et d'enfance
  • il sait qu'elle a retrouvé Tatiana à S. Tahla, ce qui lui a permis de la connaître lui-même

À partir de ces faits, dont certains lui ont été racontés par Tatiana elle-même, Jacques va tisser l'histoire de cette vie inconnue. Car pour comprendre la femme qu'il aime, et pour comprendre la relation qui la lie à elle, il lui faut inventer la vie de Lol V. Aussi, plusieurs fois dans le roman, ce narrateur commence par décrire une situation, puis continue en posant des questions, qui font office d'hypothèses, et en choisit une comme solution pour développer la suite de son histoire.

A ce moment-là une femme d'un certain âge, la mère de Lol, était entrée dans le bal. En les injuriant, elle leur avait demandé ce qu'ils avaient fait de son enfant.
Qui avait pu prévenir la mère de Lol de ce qui se passait au bal du casino de T. Beach cette nuit-là ? Ça n'avait pas été Tatiana Karl, Tatiana Karl n'avait pas quitté Lol V. Stein. Était-elle venue d'elle-même ?
Ils cherchèrent autour d'eux qui méritait ces insultes. Ils ne répondirent pas.
Quand la mère découvrit son enfant derrière les plantes vertes, une modulation plaintive et tendre envahit la salle vide.

Nous allons donc nous-mêmes résumer ce roman - c'est-à-dire la vie de Lol V. Stein - en suivant les pérégrinations narratives de  Jacques Hold.

La vie fantasmée de Lol V. Stein

Lol V. Stein est une femme d'une trentaine d'années.

Née et élevée à S. Tahla dans une famille bourgeoise, elle est fiancée à 19 ans à Michael Richardson. Celui-ci la quitte pour Anne-Marie Stretter, une femme plus âgée, lors d'un bal dans la ville balnéaire de T. Beach.

Après s'être difficilement remise de cette rupture brutale, Lol V. Stein épouse Jean Bedford, un musicien qu'elle rencontre lors d'une de ses promenades quotidiennes, et quitte S. Tahla pour suivre son mari.

Dix ans et trois enfants plus tard, Lol V. Stein est une femme établie, dont la vie rangée ne laisse aucune place à la fantaisie. De retour à S. Tahla, la famille habite la maison des parents de Lol V. Stein. Lol reprend ses promenades dans la ville comme dix ans auparavant.

Durant l'une d'elle, elle surprend un couple illégitime dans lequel elle croit reconnaître Tatiana Karl, son amie de pension qui l'avait consolée lors de la soirée de rupture d'avec Michael Richardson. L'homme de ce couple lui fait une étrange et profonde impression. 

Après des heures de marche, Lol V. Stein finit par découvrir la demeure de Tatiana Karl, et rentre en contact avec celle-ci sous le prétexte de renouer leur ancienne amitié. Invitée chez Tatiana Karl, elle y fait la connaissance du mari en même temps que de l'amant de Tatiana, Jacques Hold, qu'elle ne laisse pas non plus indifférent.

Une relation mondaine se noue très vite, ce qui permet à Lol V. Stein d'inviter chez elle Tatiana Karl, son mari et son
amant. Au cours de leurs discussions, elle révèle à ce dernier un certain nombre d'informations sur la soirée de bal à T. Beach, dix ans auparavant.  Enfin, lors d'une conversation en tête à tête, Lol V. Stein dévoile à Jacques Hold son intérêt pour lui, tout en lui défendant de quitter Tatiana Karl pour elle.

Plus tard, dans un champ de seigle, Lol V. Stein espionne les ébats adultères de Tatiana Karl et de son amant à l'Hôtel des bois ; Tatiana ne le soupçonne pas, mais Jacques Hold s'en rend compte et observe en retour Lol V. Stein.

Progressivement, la relation entre Tatiana Karl et Jacques Hold s'étiole. Un jour, Lol V. Stein annonce à Jacques Hold qu'elle est allée seule se promener à T. Beach, et lui dit son intention d'y retourner avec lui.

Après un court voyage en train, ils marchent jusqu'au casino où le bal a eu lieu dix ans auparavant, et Lol V. Stein y revoit la salle de bal, soit l'endroit où prit place sa rupture avec Michael Richardson. La soirée étant trop avancée, Lol V. Stein et Jacques Hold passent la nuit ensemble.

Le lendemain, Jacques a un dernier rendez-vous avec Tatiana Karl à l'Hôtel des bois de S. Tahla.

Le soir tombait lorsque je suis arrivé à l'Hôtel des Bois.
Lol nous avait précédés. Elle dormait dans le champ de seigle, fatiguée, fatiguée par notre voyage.

Comment est présentée Perette par La Fontaine ?
Le Rêve, Gustave Courbet, 1844

Pistes d'analyse

Le désir infini

Le récit de Jacques Hold s'ouvre sur la scène du bal : c'est à ce moment qu'il situe la naissance de Lol V. Stein, et nous avec. Car c'est bien le bal qui constitue la scène originelle et obsédante de l'œuvre. C'est avec elle que le destin de Lol se trouve scellé : c'est une scène qui ne cessera de revenir et de disparaître, de s'oublier et de se répéter. Le texte en témoigne lui-même :

Pensées naissantes et renaissantes, quotidiennes, toujours les mêmes qui viennent dans la bousculade, prennent vie et respirent dans un univers disponible aux confins vides et dont une, une seule, arrive avec le temps, à la fin, à se lire et à se voir un peu mieux que les autres, à presser Lol un peu plus que les autres de la retenir enfin. Le bal tremblait au loin, ancien, seule épave d'un océan maintenant tranquille, dans la pluie, à S. Tahla.

Tout se passe en effet comme si Lola était restée dans la nuit du bal de T. Beach. Ce fut là un moment d'absolu qui forme le point d'orgue de sa vie. C'est une scène inscrite dans l'éternité, figée en elle pour toujours, qui constitue son phare et son épave en même temps.

Et pourtant, Lola n'en fut, de cette scène, qu'une spectatrice :

La femme était seule, un peu à l'écart du buffet, sa fille avait rejoint un groupe de connaissances vers la porte du bal. Michael Richardson se dirigea vers elle dans une émotion si intense qu'on prenait peur à l'idée qu'il aurait pu être éconduit. Lol, suspendue, attendit, elle aussi. La femme ne refusa pas.
Ils étaient partis sur la piste de danse. Lol les avait regardés, une femme dont le cœur est libre de tout engagement, très âgée, regarde ainsi ses enfants s'éloigner, elle parut les aimer.

Lola, en regardant le couple se former, perd sa place d'amante, tout en restant prostrée, obnubilée par Anne-Marie Stretter. Le spectacle de cette union apparemment parfaite la fascine et l'envoûte. Et quand ce spectacle prend fin, elle tombe par terre, évanouie :

Les yeux baissés, ils passèrent devant elle. Anne-Marie Stretter commença à descendre, et puis, lui, Michael Richardson. Lol les suivit des yeux à travers les jardins. Quand elle ne les vit plus, elle tomba par terre, évanouie.

Comme si cette scène l'avait vidée de toute son énergie ; comme s'il s'était agi là d'une scène mystique, chamanique, durant laquelle son âme eût été absorbée, vidée par la beauté de l'union.

L'enjeu du roman devient alors, pour elle, de rejoindre ce centre fascinant, jamais atteint, formé par le couple Anne-Marie Stretter/Michael Richardson.

Qui est Lol V. Stein ?
Le bal Mabile, Jean Béraud, 1935

Le non-savoir

La scène du bal donne néanmoins à voir une chose si puissante qu'elle fait douter de sa réalité au sein du langage. L'évanouissement de Lol vient figurer la puissance du moment, et son caractère insupportable.

Dans le roman, l'impossibilité de savoir (ou de dire) revient plusieurs fois :

– Tu ne peux pas dire pourquoi ? demande Tatiana.

– Ce ne serait pas clair, ça ne serait pas utile.

Et même si Lol veut « savoir plus encore », elle finit plutôt par accepter la limite du langage, qui l'empêche de figurer complètement le sentiment qu'elle a connu comme spectatrice :

Elle se demande encore où ce corps devrait être, où le mettre exactement, pour qu'il s'arrête de se plaindre.

– Je suis moins loin qu'avant de savoir. J'ai été longtemps à le mettre ailleurs que là où il aurait dû être. Maintenant je crois que je me rapproche de là où il serait heureux.

N'est-ce pas d'ailleurs ce à quoi se rend Jacques Hold lui-même ? Il est narrateur non-omniscient, qui fait de son non-savoir la force directrice de son récit. Il projette, il invente, au gré des trous qui constitue l'identité même de sa Lola :

Puisque je sais – ai-je jamais su à ce point quelque chose? – qu'elle m'est inconnaissable, on ne peut pas être plus près d'un être humain que je le suis d'elle, plus près d'elle qu'elle-même si constamment envolée de sa vie vivante.

Le lecteur se trouve face à un témoignage impossible, à un échec du dire. Et les répétitions - comme les multiples retours de cette scène du bal - viennent accentuer la portée de ce non-savoir.

Lol est ce personnage qui accepte donc l'indicible, et qui le chérit. Elle choisit une place périphérique, notamment dans sa relation avec Jacques, parce que c'est là qu' :

un rêve est presque atteint. Des chairs se déchirent, saignent, se réveillent. Elle essaie d'écouter un vacarme intérieur, elle n'y parvient pas, elle est débordée par l'aboutissement, même inaccompli, de son désir.

C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la fin du roman : Lol s'endort, parce qu'elle choisit le rêve, là où la projection n'est jamais déçue. D'ailleurs, n'assistait-elle pas à une projection dès le moment du bal ?

Roman du silence

En conséquence, Le Ravissement de Lol V. Stein choisit le silence plutôt que l'expression. Les deux personnages centraux - Lol et Jacques - s'abandonnent à la crise du langage, comme vient le signifier l'extrait suivant :

Elles ne sont pas surprises, se regardent sans fin, sans fin, décident de l'impossibilité de raconter, de rendre compte de ces instants, de cette nuit dont elles connaissent, seules, la véritable épaisseur, dont elles ont vu tomber les heures, une à une jusqu'à la dernière qui trouva l'amour changé de mains, de nom, d'erreur.

Que peut la poésie ?
Jean Charles Augustin Bernard, La Muse Erato ou La Poésie érotique à qui l'Amour présente le portrait de Sapho, 1785

Car c'est dans le silence - c'est-à-dire dans l'absence de mot posé - que Lol voit le mieux, ressent le mieux, vit le mieux. C'est au milieu de ce silence qu'elle est entièrement ravie, entièrement ivre de son vacillement.

Le texte de Duras fait formellement voir cette nécessité : il faut ouvrir les pages du livre pour voir les blancs graphiques qui rythment le cours du temps, qui oblige le lecteur lui-même à se laisser remplir par ce qui n'a pas de mot.

Ç'aurait été un mot-absence, un mot-trou, creusé en son centre d'un trou, de ce trou où tous les autres mots auraient été enterrés. On n'aurait pas pu le dire mais on aurait pu le faire résonner. Immense, sans fin, un gong vide, il aurait retenu ceux qui voulaient partir, il les aurait convaincus de l'impossible, il les aurait assourdis à tout autre vocable que lui-même, en une fois il les aurait nommés, eux, l'avenir et l'instant.

Lol V. Stein sent bien qu'il se trouve, au bout de son désir (ou en sa source même), un quelque chose de trouble, de profondément fascinant, qui n'est jamais dit et qui ne pourra jamais être dit - un quelque chose vers lequel tous les mots impuissants s'orientent. La sensation dépassera toujours le mot, comme la fixité (immobile) ratera toujours la vie (mobile).

Lol V. Stein, par son ravissement, vient rappeler à l'Homme que son langage demeure insuffisant : il ne cesse de tourner autour, ratant incessamment l'événement absolu.

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Nathan

Ancien étudiant de classe préparatoire b/l (que je recommande à tous les élèves avides de savoir, qui nous lisent ici) et passionné par la littérature, me voilà maintenant auto-entrepreneur pour mêler des activités professionnelles concrètes au sein du monde de l'entreprise, et étudiant en Master de Littératures Comparées pour garder les pieds dans le rêve des mots.