Chapitres
L'extrait
La petite ville de Verrières peut passer pour l’une des plus jolies de la Franche-Comté. Ses maisons blanches avec leurs toits pointus de tuiles rouges, s’étendent sur la pente d’une colline, dont des touffes de vigoureux châtaigniers marquent les moindres sinuosités. Le Doubs coule à quelques centaines de pieds au-dessous de ses fortifications bâties jadis par les Espagnols, et maintenant ruinées.
Verrières est abritée du côté du nord par une haute montagne, c’est une des branches du Jura. Les cimes brisées du Verra, se couvrent de neige dès les premiers froids d’octobre. Un torrent, qui se précipite de la montagne, traverse Verrières avant de se jeter dans le Doubs, et donne le mouvement à un grand nombre de scies à bois, c’est une industrie fort simple et qui procure un certain bien-être à la majeure partie des habitants plus paysans que bourgeois. Ce ne sont pas cependant les scies à bois qui ont enrichi cette petite ville. C’est à la fabrique des toiles peintes, dites de Mulhouse, que l’on doit l’aisance générale qui, depuis la chute de Napoléon, a fait rebâtir les façades de presque toutes les maisons de Verrières.
À peine entre-t-on dans la ville que l’on est étourdi par le fracas d’une machine bruyante et terrible en apparence. Vingt marteaux pesants, et retombant avec un bruit qui fait trembler le pavé, sont élevés par une roue que l’eau du torrent fait mouvoir. Chacun de ces marteaux fabrique, chaque jour, je ne sais combien de milliers de clous. Ce sont de jeunes filles fraîches et jolies qui présentent aux coups de ces marteaux énormes les petits morceaux de fer qui sont rapidement transformés en clous. Ce travail, si rude en apparence, est un de ceux qui étonnent le plus le voyageur qui pénètre pour la première fois dans les montagnes qui séparent la France de l’Helvétie. Si, en entrant à Verrières, le voyageur demande à qui appartient cette belle fabrique de clous qui assourdit les gens qui montent la grande rue, on lui répond avec un accent traînard : Eh ! elle est à M. le maire.
Le Rouge et le Noir, Stendhal, 1830
Méthode du commentaire composé
On rappellera ici la méthode du commentaire composé vu en cours francais :
Partie du commentaire | Visée | Informations indispensables | Écueils à éviter |
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Introduction | - Présenter et situer le texte dans le roman - Présenter le projet de lecture (= annonce de la problématique) - Présenter le plan (généralement, deux axes) | - Renseignements brefs sur l'auteur - Localisation du passage dans l'œuvre (début ? Milieu ? Fin ?) - Problématique (En quoi… ? Dans quelle mesure… ?) - Les axes de réflexions | - Ne pas problématiser - Utiliser des formules trop lourdes pour la présentation de l'auteur |
Développement | - Expliquer le texte le plus exhaustivement possible - Argumenter pour justifier ses interprétations (le commentaire composé est un texte argumentatif) | - Etude de la forme (champs lexicaux, figures de styles, etc.) - Etude du fond (ne jamais perdre de vue le fond) - Les transitions entre chaque idée/partie | - Construire le plan sur l'opposition fond/forme : chacune des parties doit impérativement contenir des deux - Suivre le déroulement du texte, raconter l'histoire, paraphraser - Ne pas commenter les citations utilisées |
Conclusion | - Dresser le bilan - Exprimer clairement ses conclusions - Elargir ses réflexions par une ouverture (lien avec une autre œuvre ? Événement historique ? etc.) | - Les conclusions de l'argumentation | - Répéter simplement ce qui a précédé |
Commentaire composé
Introduction
L’extrait étudié est tiré du roman Le Rouge et le Noir, écrit par Stendhal en 1830. Stendhal (1783-1842) est un écrivain français, que l’on peut classer dans le courant réaliste du XIXème siècle.
L’histoire du Rouge et du Noir se tient principalement dans deux lieux différents : Verrières, une petite ville du Doubs, et Paris. Le lecteur suit la vie de Julien Sorel, fils d’un charpentier de province. Ce personnage est démesurément ambitieux, ayant pour modèle Napoléon Bonaparte. Il rêve ainsi de gravir chaque échelon de la société, pour arriver en son sommet. Son ascension progressera jusqu’à ce qu’il bascule vers une chute inexorable et même mortelle.
Le passage qui nous intéresse est l’incipit du roman, dans le premier chapitre qui s’intitule « Une petite ville ». Il s’agit là d’une description à la fois économique et géographique de l’endroit.
Annonce de la problématique
De fait, dans quelle mesure l’auteur, sous couvert de réalisme, expose-t-il déjà une certaine vision de la société ?
Annonce du plan
Nous traiterons cette question à travers deux axes. Dans un premier temps, nous verrons comment Stendhal fait l'éloge de la beauté naturelle. Dans un second temps, il s'agira de montrer comment l'activité économique de cette époque vient corrompre ce paysage tranquille.
Développement
I. Une description tranquille de la ville
Une description réaliste
Stendhal débute la description de Verrières par sa situation sur la carte. Il cite ainsi des noms précis, à commencer par le nom même de la ville : « Verrières » ; puis « Franche-Comté », « Le Doubs », « le Jura », etc.
Temporellement, les choses sont également claires : nous sommes après la chute de Napoléon - on rappellera le sous-titre du roman : « Chronique de 1830 ». Il y fait état de caractéristiques propres à son époque : les fortifications en ruine, des scies à bois, la fabrique des toiles peintes.
Stendhal commence ainsi un roman réaliste. On peut encore le voir à la précision de ses descriptions lorsqu’il parle des ouvrières : « les petits morceaux de fer qui sont rapidement transformés en clous ».
Et cette description réaliste se veut, dans un premier temps, évocateur d’un certain apaisement.
Dans une ambiance pittoresque reposante
La ville se montre au lecteur d’abord de loin. L’échelle est grande.
On parle des « maisons blanches avec leurs toits pointus de tuiles rouges » comme si l’on se situait sur le dessus d’une colline et que l’on ne pouvait distinguer que le haut des bâtiments. Puis, toujours dans cette logique macro, Verrières est derrière une « haute montagne », d’où coule d’ailleurs un torrent qui rejoint « le Doubs ».
Néanmoins, au troisième paragraphe, on rentre dans la ville. Et celui-ci se termine, après avoir évoqué quelques « jeunes filles fraîches et jolies », sur un zoom à l’extrême : un personnage, un seul, « M. le maire ».
Le point de focalisation s’est donc réduit au fur et à mesure que le texte avançait, comme si le lecteur était le voyageur - mot que Stendhal utilise lui-même - qui s’apprêtait à passer les portes de la ville. Une ville qui, de si loin, semble apaisée.
Les détails pittoresques contribuent à cette ambiance tranquille. Il y a des « châtaigniers » avec des « touffes », des « fortifications » qui sont « ruinées ». Les cimes, elles, sont « brisées » et parfois couvertes « de neige ». On pourrait encore augmenter la liste de ces éléments picturaux qui contribuent à une atmosphère douce et paisible, issue d'un tableau.
Le champ lexical utilisé fait encore sentir l’apaisement, la tranquillité, lorsqu’il est associé avec les hommes et les activités : « fort simple », « certain bien-être », « petite ville », « aisance générale ».
On peut également s'attarder, pour insister sur cette idée d’harmonie qui apporte le repos, sur le mouvement du milieu du deuxième paragraphe :
« Un torrent, qui se précipite de la montagne, traverse Verrières avant de se jeter dans le Doubs, et donne le mouvement à un grand nombre de scies à bois, c’est une industrie fort simple et qui procure un certain bien-être à la majeure partie des habitants plus paysans que bourgeois. »
La ville y semble en symbiose avec la nature, comme veut le suggérer le rythme de la phrase, et les focalisations successives. Le lecteur est d’abord emmené par le courant du torrent ; qui lui-même entraîne les scies à bois ; lesquels font vivre les paysans. Ainsi, à Verrières, tout semble se passer selon l’ordre tranquille de la nature.
Mais le troisième paragraphe marque une rupture, laquelle est néanmoins annoncée par la fin du second paragraphe. L’écrivain engage alors un discours qui se concentre sur l’activité économique de la ville - ce qui est, en soi, un élément perturbateur de la nature.
II. Une critique de la modernité
D’abord de l’industrialisation...
Alors que ce qui précède semblait d’ordre paradisiaque, Stendhal gâche son décor avec l’industrialisation de la campagne. Cela a commencé dans les forêts, avec les scieries, en troublant les paysages champêtres ; mais, dans la ville, voilà les machines qui corrompent la beauté de l’être humain et celle des « des jeunes filles fraîches et jolies » qui manient les « marteaux énormes ».
Mais les machines perturbent également le silence - état qui prédomine dans la nature -, comme le montre d’emblée le troisième paragraphe. On citera deux champs lexicaux caractéristiques à ce sujet :
- celui du bruit : « fracas », « bruyante », « bruit », « assourdit »
- celui désordre, du trouble : « étourdi », « trembler », « fait mouvoir »
D'une manière générale, le vocabulaire est péjoratif (« fracas », « vacarme », « assourdit », etc.), ce qui engage sur un avis négatif du narrateur. Du reste, le voyageur serait lui-même, d’après celui-là, « étonné ».
Mais la critique se diffuse jusqu’à l’organisation même des hommes.
... puis de l’ordre social
Dans un second temps, la critique porte ainsi sur l’ordre social et, plus précisément, sur ceux qui profitent de l’industrialisation, abîmant ainsi non seulement la nature, mais aussi leurs propres congénères.
En l’occurrence, la personne précisément visée par l’extrait est celle qui le termine : « M. le maire », dont la responsabilité et les possessions sont si évidentes qu’on les dit « avec un accent traînard » et l’interjection « Eh ! ».
Ainsi, celui qui possède le pouvoir politique est également celui qui dispose du pouvoir économique. C’est en effet sur la « belle fabrique de clous » que repose toute la richesse de la ville - c’est ce que Stendhal a voulu nous montrer dans sa description en « entonnoir ». Par les points de vue qui se rétrécissent, le narrateur veut nous faire comprendre que, fatalement, tout revient à cet homme.
L’importance de cette économie, l’auteur la témoigne en utilisant une hyperbole : « Chacun de ces marteaux fabrique, chaque jour, je ne sais combien de milliers de clous. » avec la formule imprécise (mais qui suggère le gigantesque) : « je ne sais combien de milliers ». Et c’est le maire qui impose ce « travail si rude en apparence » - donc qui engage la pitié du « voyageur » qui a des yeux - aux « jeunes filles fraîches et jolies ». Il y a donc un aspect de domination qui est communiqué.
Par cette description, Stendhal peint la situation sociale de la première moitié du XIXème siècle, qui révèlent les premiers maux du capitalisme. Car l’auteur, au-delà même de la manière dont il mène son incipit, intervient explicitement pour signifier que ce sont là des « maux ».
Un narrateur implicitement présent qui ajoute à la critique
Le narrateur est en apparence effacé. Mais même la présence d’un seul « je » dans l'extrait révèle son existence au lecteur, et lui rappelle son influence.
Il est extradiégétique (en dehors de la diégèse, c’est-à-dire du récit) : cela lui permet d’apporter un jugement sur ce qu’il décrit. Il utilise notamment l’ironie :
- « La petite ville de Verrières peut passer pour l’une des plus jolies de la Franche-Comté. » : ce qui ne signifie pas qu’elle l’est, bien au contraire
- « le voyageur demande à qui appartient cette belle fabrique de clous qui assourdit les gens qui montent la grande rue » où l’antinomie « belle fabrique de clous » et « assourdit les gens » révèle la présence grinçante du narrateur
En outre, le lecteur est assimilé au voyageur, et c’est ce que Stendhal veut faire ressentir. Il insiste également sur le sens de la vue, avec la présence par deux fois de l’expression « en apparence » : l’écrivain est celui qui regarde, et qui ressent à partir de cette vue.
Stendhal se positionne ainsi contre l’industrialisation qui fait souffrir des yeux, à la fois vis-à-vis de la beauté de la nature et de la violence des traitements. Ce n’est pas autre chose qu’il veut dire quand il loue, dans un vocabulaire positif, une paysannerie à petite échelle :
« c’est une industrie fort simple et qui procure un certain bien-être à la majeure partie des habitants plus paysans que bourgeois. »
Stendhal dit bien que la tranquillité du petit travailleur vaut mieux que la grossièreté du propriétaire.
Conclusion
Dans ce début de roman, Stendhal impose ses codes réalistes : il y mène une description précise, avec une localisation déterminée à l’extrême, ainsi que des détails sur les savoir-faire économiques de l’époque.
Mais cela lui sert également à porter un regard critique sur la société - regard qu’il laisse percevoir par une subtile maîtrise de la narration extradiégétique, ainsi que le champ lexical de la vue.
De fait, Le Rouge et le Noir annonce Stendhal comme successeur de Balzac, en inscrivant son auteur dans « roman critique ».
Ouverture
La notion de « Roman critique » que l'on pourrait analyser plus largement dans Le Rouge et le Noir.
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super bon classique !
La suit
c’est magnifique, j’ai adoré ! !!
il n’y a pas de quoi !
et en effet, il a fait beaucoup de chapitres, mais que cela ne t’enlève pas de l’idée de le lire un jour : c’est un très beau roman !
Merci pour le résumé, cela m’a évité de le relire pour aider ma fille qui est en 2nde.
à bientôt
Nathalie
wouah il a fait beaucoup de chapitre