Pour écrire l'histoire de cette
personne, je vais faire appel essentiellement à des écrivains latins : Tite-Live
et Ovide. Mais laissons leur la parole :

"Les Rutules habitaient la ville
d'Ardée. C'était une nation puissante et riche, et pour le temps et pour le
pays. La guerre leur fut déclarée à cause de l'épuisement des finances, résultat
des travaux somptueux, entrepris par Tarquin, lequel désirait de combler le vide
et de regagner en même temps, par l'appât du butin, le coeur de ses sujets.
Ceux-ci, en effet, irrités de son orgueil et de son despotisme, s'indignaient
que le prince les enchaînât depuis si longtemps à des travaux de manoeuvres et
d'esclaves. D'abord on essaya de prendre Ardée d'assaut; mais cette tentative
eut peu de succès. On convertit le siège en blocus, et l'ennemi fut resserré
dans l'enceinte de ses murs. Durant ce blocus, et comme il arrive ordinairement
dans une guerre moins vive que longue, on accordait assez facilement des congés;
mais aux officiers plutôt qu'aux soldats. De temps en temps les jeunes princes
abrégeaient les ennuis de l'oisiveté par des festins et des parties de débauche.
Un jour qu'ils soupaient chez Sextus Tarquin, avec Tarquin Collatin, fils d'Égérius,
la conversation tomba sur les femmes; et chacun d'eux de faire un éloge
magnifique de la sienne. La discussion s'échauffant, Collatin dit qu'il n'était
pas
besoin de tant de paroles, et qu'en peu d'heures on pouvait savoir
combien Lucrèce, sa femme, l'emportait sur les autres. "Si nous sommes jeunes et
vigoureux, ajouta-t-il, montons à cheval, et allons nous assurer nous-mêmes du
mérite de nos femmes. Comme elles ne nous attendent pas, nous les jugerons par
les occupations où nous les aurons surprises." Le vin fermentait dans toutes les
têtes. "Partons, s'écrièrent-ils ensemble," et ils courent à Rome à bride
abattue. Ils arrivèrent à l'entrée de la nuit. De là ils vont à Collatie, où ils
trouvent les belles-filles du roi et leurs compagnes au milieu des délices d'un
repas somptueux; et Lucrèce, au contraire, occupée, au fond du palais, à filer
de la laine, et veillant, au milieu de ses femmes, bien avant dans la nuit.
Lucrèce eut tous les honneurs du défi. Elle reçoit avec bonté les deux Tarquins
et son mari, lequel, fier de sa victoire, invite les princes à rester avec lui.
Ce fut alors que S. Tarquin conçut l'odieux désir da posséder Lucrèce, fût-ce au
prix d'un infâme viol. Outre la beauté de cette femme, une réputation de vertu
si éprouvée piquait sa vanité. Après avoir achevé la nuit dans les
divertissements de leur âge, ils retournent au camp. Peu de jours après, Sextus
Tarquin, à l'insu de Collatin, revient à Collatie, accompagné d'un seul homme.
Comme nul ne soupçonnait ses desseins, il est accueilli avec bienveillance, et
on le conduit, après souper, dans son appartement. Là, brûlant de désirs, et
jugeant, au silence qui l'environne, que tout dort dans le palais, il tire son
épée, marche au lit de Lucrèce déjà endormie, et, appuyant une main sur le sein
de cette femme : "Silence, Lucrèce, dit-il, je suis Sextus Tarquin : je tiens
une épée, vous êtes morte, s'il vous échappe une parole." Tandis qu'éveillée en
sursaut et muette d'épouvante, Lucrèce, sans défense, voit la mort suspendue sur
sa tête, Tarquin lui déclare son amour; il la presse, il la menace et la conjure
tour à tour, et n'oublie rien de ce qui peut agir sur le coeur d'une femme.
Mais, voyant qu'elle s'affermit dans sa résistance, que la crainte même de la
mort ne peut la fléchir, il tente de l'effrayer sur sa réputation. Il affirme
qu'après l'avoir tuée, il placera près de son corps le
corps nu d'un
esclave égorgé, afin de faire croire qu'elle aurait été poignardée dans la
consommation d'un ignoble adultère. Vaincue par cette crainte, l'inflexible
chasteté de Lucrèce cède à la brutalité de Tarquin, et celui-ci part ensuite,
tout fier de son triomphe sur l'honneur d'une femme. Lucrèce, succombant sous le
poids de son malheur, envoie un messager à Rome et à Ardée, avertir son père et
son mari qu'ils se hâtent de venir chacun avec un ami sûr; qu'un affreux
événement exige leur présence. Spurius Lucrétius arrive avec Publius Valérius,
fils de Volésus, et Collatin avec Lucius Iunius Brutus. Ces deux derniers
retournaient à Rome de compagnie lorsqu'ils furent rencontrés par le messager de
Lucrèce. Ils la trouvent assise dans son appartement, plongée dans une morne
douleur. À l'aspect des siens, elle pleure; et son mari, lui demandant si tout
va bien : "Non, répond-elle; car, quel bien reste-t-il à une femme qui a perdu
l'honneur ? Collatin, les traces d'un étranger sont encore dans ton lit.
Cependant
le corps seul a été souillé; le coeur est toujours pur, et ma
mort le prouvera. Mais vous, jurez-moi que l'adultère ne sera pas impuni. C'est
Sextus Tarquin, c'est lui qui, cachant un ennemi sous les dehors d'un hôte, est
venu la nuit dernière ravir, les armes à la main, un plaisir qui doit lui coûter
aussi cher qu'à moi-même, si vous êtes des hommes." Tous, à tour de rôle, lui
donnent leur parole, et tâchent d'adoucir son désespoir, en rejetant toute la
faute sur l'auteur de la violence; ils lui disent que le corps n'est pas
coupable quand le coeur est innocent, et qu'il n'y a pas de faute là ou il n'y a
pas d'intention. C'est à vous, reprend-elle, à décider du sort de Sextus. Pour
moi, si je m'absous du crime, je ne m'exempte pas de la peine. Désormais que
nulle femme, survivant à sa honte, n'ose invoquer l'exemple de Lucrèce !
"
À ces mots, elle s'enfonce dans le coeur un couteau qu'elle tenait sous sa robe,
et, tombant sur le coup, elle expire. Son père et son mari poussent des cris.
Tandis qu'ils s'abandonnent à la douleur, Brutus retire de la blessure le fer
tout dégoûtant de sang et, le tenant levé : "Je jure, dit-il, et vous prends à
témoin, ô dieux ! Par ce sang, si pur avant l'outrage qu'il a reçu de l'odieux
fils des rois; je jure de poursuivre par le fer et par le feu, par tous les
moyens qui seront en mon pouvoir, l'orgueilleux Tarquin, sa femme criminelle et
toute sa race, et de ne plus souffrir de rois à Rome, ni eux, ni aucun autre."
Il passe ensuite le fer à Collatin, puis à Lucrétius et à Valérius, étonnés de
ce prodigieux changement chez un homme qu'ils regardaient comme un insensé
(Brutus signifie " l'idiot ", il se faisait passer pour un homme insensé de peur
que Tarquin ne le supprime comme il avait fait de son oncle.) Ils répètent le
serment qu'il leur a prescrit, et, passant tout à coup de la douleur à tous les
sentiments de la vengeance, ils suivent Brutus, qui déjà les appelait à la
destruction de la royauté. Ils transportent sur la place publique le corps de
Lucrèce, et ce
spectacle extraordinaire excite, comme ils s'y
attendaient, une horreur universelle. Le peuple maudit l'exécrable violence de
Sextus; il est ému par la douleur du père, par Brutus, lequel, condamnant ces
larmes et ces plaintes inutiles, propose le seul avis digne d'être entendu par
des hommes, par des Romains, celui de prendre les armes contre des princes qui
les traitent en ennemis."
Tite-Live, 57, 58 et 59, traduction de M. Nisard,
1864, que l'on peut trouver sur le site de la "Bibliotheca Classica Selecta".

--- > Lucrèce par Le Titien

Cependant les bataillons romains
environnent Ardée; on se résigne de part et d'autre aux longueurs d'un siège.
Pendant cette sorte de trêve, comme les ennemis évitent d'en venir aux mains, le
soldat, inoccupé, se livre, dans le camp, à des jeux militaires. Un jour, que
Sextus avait invité ses amis à boire avec lui et à faire bonne chère, nommé par
eux roi du festin, il leur parle ainsi: "Tandis que nous nous consumons devant
cette ville imprenable, qui nous empêche de revenir suspendre nos armes devant
les dieux de nos foyers? Savons-nous ce qui se passe au lit nuptial? Savons-nous
si nos femmes s'ennuient comme nous de l'absence?" Chacun de louer la sienne à
l'envi; les répliques échauffent le débat, et le vin, qu'on ne ménage pas, ne
laisse refroidir ni les éloges ni la passion. Celui dont le nom rappelle la
glorieuse conquête de Collatia se lève soudain. "Que prouvent tous nos discours?
dit-il; jugez-en par vos yeux. La nuit n'est pas près de finir; montons à
cheval; allons à Rome."*

Prêt pour un cours histoire ?

On accepte; les chevaux sont
bridés; les princes sont à Rome; ils vont droit au palais. Point de gardes aux
portes: ils entrent. La belle-fille du roi, entourée de coupes de vin, et le
sein paré de guirlandes, prolongeait un festin nocturne. Sans perdre de temps,
on court chez Lucrèce; elle filait; ses laines, ses corbeilles étaient çà et là
autour de son lit; sous ses yeux, à la faible lueur d'une lampe, ses femmes
travaillaient aussi. "Hâtez-vous, mes filles, leur disait-elle d'une voix douce;
il faudra envoyer ce vêtement de guerre à votre maître, dès que nous l'aurons
achevé. Mais que dit-on? Car c'est à vous qu'il faut demander les nouvelles.
Combien pense-t-on que le siège doive encore durer? Tu succomberas à la fin,
Ardée: tu résistes à plus fort que toi, ville maudite, qui nous prives si
longtemps de nos époux! Puissent les dieux au moins nous les ramener! Mais le
mien est si téméraire! Il se précipite partout où il voit briller des épées.
Toutes les fois que je me le figure au milieu des combats, je me sens chanceler
et mourir; un froid soudain me prend au coeur." Ses larmes coulent à ces mots;
le fil s'échappe de ses mains, et sa tête s'incline sur sa poitrine. Sa douleur
lui donne une nouvelle grâce; sa pudeur brille d'un nouvel éclat dans ses
larmes, et la beauté de son visage égale et révèle en ce moment la beauté de son
âme. "Rassure-toi, me voici," s'écrie Collatin, et Lucrèce, rappelée à la vie, a
déjà suspendu à son cou le doux fardeau d'une épouse bien-aimée.

Cependant les furies allument un
feu dévorant dans le coeur du jeune Sextus; il est en proie à toutes les ardeurs
d'une aveugle passion; il aime tout dans Lucrèce, et son air, et la blancheur de
son teint, et l'or de sa chevelure, et ces grâces qui ne doivent rien à l'art,
et ses paroles, et le son de sa voix, et la sainteté même de sa pudeur, obstacle
désespérant qui ne fait qu'irriter ses désirs. L'oiseau qui annonce le jour
avait déjà chanté, quand les jeunes princes rentraient au camp. Sextus ne vit
plus: l'image de Lucrèce absente obsède sa raison éperdue; mille souvenirs
réveillent et redoublent sa passion. "Telle était son attitude, se dit-il, telle
était sa parure; c'est ainsi qu'elle tournait le fuseau, c'est ainsi que ses
cheveux retombaient négligemment sur ses épaules." Il se rappelle et ses traits
et ses moindres paroles, et son teint, et l'expression de son visage, et les
grâces de son maintien. Comme on voit les flots, après une violente tempête,
s'apaiser et toutefois laisser voir encore qu'ils viennent d'être soulevés par
les vents; ainsi, quoique l'objet adoré ne soit plus devant les yeux de Sextus,
l'amour, né une fois, reste en lui; il brûle; la passion l'agite sans relâche;
enfin, hors de lui, il jure d'assouvir son amour adultère, et d'entrer, par la
violence et la terreur, dans le lit nuptial. "J'oserai tout, s'écrie-t-il,
dussé-je oser en vain; on verra s'il est un dieu, s'il est une destinée qui
donne le succès à l'audace. N'est-ce pas à force d'audace que Gabies est tombée
entre nos mains ?"

Il dit, prend son épée, presse les
flancs de son cheval, et, au moment où le soleil allait disparaître, Collatia
lui ouvre sa porte revêtue d'airain. Il entre dans la maison de Lucrèce; il y
entre comme un hôte, et c'est un ennemi armé! À cause des liens de famille, il
est le bienvenu. L'infortunée, cruellement trompée, et bien éloignée de
soupçonner l'avenir, reçoit à sa table celui qui l'a choisie pour victime. Après
le repas, l'heure du sommeil arrive; il est nuit; toutes les lumières sont
éteintes dans le palais; il se lève et tire du fourreau son épée enrichie d'or;
il pénètre, ô chaste épouse, jusque dans le sanctuaire conjugal, et, pressant
déjà le lit: "Lucrèce, dit-il, j'ai le fer à la main; c'est le fils du roi,
c'est Tarquin qui te parle." Lucrèce ne répond rien; elle n'a plus de voix, elle
n'a plus de force, elle est anéantie; elle tremble comme la brebis renversée
sous la griffe du loup qui l'a surprise dans la bergerie abandonnée. Que faire?
Résister? Femme, elle succombera dans la lutte; crier? Mais le fer est là, prêt
à lui donner la mort; fuir? Mais elle sent peser sur son sein une main
étrangère, une main qui la profane pour la première fois. L'amant farouche
emploie tour à tour, pour fléchir Lucrèce, les prières et les
menaces; il
offre de l'or: les prières, les menaces et l'or la trouvent également
inflexible. "Tu t'abuses, lui dit-il enfin; si je ne puis te forcer au crime, je
pourrai te tuer du moins; et puis, celui qui aura vainement tenté l'adultère
t'accusera lui-même d'adultère. J'égorgerai un esclave, et je dirai que je
t'avais surprise avec lui." La crainte d'être déshonorée à jamais l'emporte: la
jeune épouse ne résiste plus.

Où trouver un prof d'histoire géo ?

Mais ne te réjouis pas, ô Sextus,
de ton odieuse victoire; c'est cette victoire même qui te perdra: cette seule
nuit coûtera cher à la royauté des Tarquins. Le jour vient; Lucrèce est assise,
les cheveux épars comme une mère qui va se rendre aux funérailles de son fils.
Elle fait venir du camp son vieux père, son époux fidèle; ils arrivent aussitôt.
À l'aspect de son trouble, ils lui demandent quelle est la cause d'une si grande
douleur, à qui elle va rendre les derniers devoirs, et quel coup du sort l'a
frappée?... Longtemps elle garde le silence, voilant son visage pour cacher sa
rougeur; des pleurs coulent de ses yeux comme d'une source intarissable; son
père, son époux les essuient à l'envi, la consolent, la supplient de parler; et,
saisis d'une vague terreur, ils pleurent avec elle. Trois fois elle veut
commencer, trois fois elle s'arrête; enfin, abaissant ses regards vers la terre,
elle fait un nouvel effort. "Il faut donc, dit-elle, que je révèle moi-même ma
honte! C'est un dernier outrage de Tarquin." Elle commence alors; mais, arrivée
à l'instant fatal, elle ne peut continuer le récit, et ses larmes l'achèvent,
les larmes et la confusion de la pudeur outragée. "Tu n'as point failli!
S'écrient le père et l'époux; tu as cédé à la violence." - "Vous me pardonnez,
dit-elle; et moi, je ne me pardonne pas!" et aussitôt elle se plonge dans le
coeur un fer qu'elle tenait caché; elle tombe à leurs pieds, sanglante! Au

moment où elle meurt, elle prend garde encore de tomber avec décence, et ce
soin se trahit dans sa chute même.

Son père, son époux se précipitent
sur ce corps inanimé; oubliant leur dignité, ils, s'abandonnent au même
désespoir. Brutus arrive, et il montre enfin par son courage qu'il mérite un
autre nom que celui de Brutus. Il arrache de ce cadavre qui palpite encore le
fer tout baigné d'un sang généreux, et, l'agitant d'un air terrible, il prononce
ces énergiques paroles: "Je te le jure par ce sang chaste et magnanime, par tes
mânes, que j'atteste comme une divinité, Tarquin et toute sa race, proscrite à
jamais, me paieront ta mort! C'est assez longtemps cacher qui je suis." À ces
mots, Lucrèce a entrouvert ses yeux éteints; sa tête semble avoir fait un léger
signe pour applaudir à ce serment de Brutus. On porte au bûcher cette femme à
l'âme vraiment virile, et, à ce spectacle, la haine, en même temps que la pitié,
s'éveille dans tous les coeurs; tous les yeux sondent cette blessure. Brutus, de
sa voix puissante,
appelle les Romains à la vengeance, et leur dévoile
tout l'attentat de Sextus. Tarquin fuit avec les siens. L'autorité passe aux
mains d'un consul annuel; ce jour est le dernier de la royauté. "
Ovide,
Fastes, chant II, 721-852, Traduction de M. Nisard, 1857, elle peut se trouver
sur la site de la " Bibliotheca Classica Selecta ".

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Olivier

Professeur en lycée et classe prépa, je vous livre ici quelques conseils utiles à travers mes cours !