Du début jusqu'à « prendre des tickets et faire deux heures de route ».

Quelles sont les particularités de l'Etranger, d'Albert Camus ?
Portrait d'Albert Camus. Source : Revue des Deux Mondes
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C'est parti

Introduction

Albert Camus est né en 1913 en Algérie. Grand écrivain, journaliste et essayiste français, il écrit le roman L’étranger en 1942, autrement dit en pleine Seconde Guerre Mondiale. Un contexte particulièrement impactant pour tous les domaines de l’époque, y compris la littérature. Les écrivains illustreront effectivement leur désarroi dans leurs romans, s’interrogeant à propos de la condition humaine. Abîmée par les horreurs de la guerre, l’existence leur paraît comme dépourvue de sens. Et c’est justement Albert Camus qui inventera le terme « cycle de l’absurde », qualifiant toute une partie de la littérature de l’époque, qui transpose une philosophie selon laquelle l’existence n’aurait pas de sens et serait seulement guidée par le hasard. Or pour ce qui est de L’étranger, Albert Camus l’inclut dans ce cycle. Les actes et réflexions de son héros ou plutôt de son anti héros ; Meursault, nous dérouteront souvent par leur manque de sens. Or cela démarre dès l’incipit, qui s’ouvre sur les pensées de Meursault, le narrateur, suite au décès de sa mère. Nous nous demanderons alors en quoi cette plongée dans l'intériorité du narrateur est-elle également une plongée dans une nouvelle conception du romanesque. Pour cela, nous verrons que cet incipit est aussi déroutant par sa forme, que par le fond, d’où le malaise qui saisit le lecteur.  

      PLAN DE LA LECTURE ANALYTIQUE

  I - Une écriture désincarnée, et surprenante.

      1 - La découverte d'une intériorité particulière.

      2 - Une rupture avec les normes habituelles du roman.

      3 - Une conscience particulière du personnage.

  II - Un héros lui aussi désincarné, et déroutant.

      1 - L'indifférence de Meursault.

      2 - Une logique à part et déstabilisante.

      3 - Un manque d’affects, prophétique.

Comment analyser l'incipit de L'étranger, oeuvre deCamus ?
Dessin tiré de "L'Etranger", de Jacques Ferrandez (Gallimard) : l'adaptation en bande dessinée de l’œuvre d'Albert Camus. Source : @the-dissident.eu

Développement de la première grande partie.

I - Une écriture désincarnée et déroutante.

1 – La découverte d'une intériorité particulière.

Le style est proche à la fois du journal intime, et du discours.

  • On remarque l’omniprésence du « je », et la présence de marqueurs temporels comme « aujourd'hui », « hier », « demain », qui font tendre le texte vers le genre du journal intime. Ces marques propres au journal intime sont un gage de vérité : pas de soupçon du lecteur.
  • Avec l'emploi du passé composé, nous avons une proximité du texte avec le discours, ce qui nous donne à voir l'intériorité du personnage et donc accès à sa conscience. Le lecteur est isolé dans le présent d'une conscience qui se déroule sous ses yeux.
  • Nous avons en plus de cela des marques de l’oralité apparente du discours :
  • phrases apparemment très simples, et très courtes. Elles sont le plus souvent construites selon la structure canonique : sujet-verbe-complément. Le style est quasiment télégraphique, ce qui est complètement paradoxal par rapport au style du journal intime, ainsi contrecarré. Le lecteur a ainsi l’impression que les pensées de Meursault ne sont pas très élaborées.
  • Des passages qui apparaissent sous forme de notes « cela ne veut rien dire », « toujours à cause de l'habitude », « c'était vrai ».

Une surprenante succession d'actions mécanisées.

  • Le premier malaise arrive rapidement, car l’écriture se concentre sur une succession d'évènements très brefs. Les faits sont consignés de la façon la plus épurée Absence frappante de mots de liaison (asyndètes) qui crée l'illusion d'une succession d'actions mécanisées. « l'asile est à deux km. J'ai fait le chemin à pied. J'ai voulu voir maman tout de suite. »
  • Si l’incipit nous paraît proche du style propre au journal intime, il nous surprend ainsi par le fait que ce ne sont pas du tout les sentiments du narrateur qui sont développés, alors que l’information principale est paradoxalement un véritable appel aux émotions, in medias res : « Aujourd’hui, maman est morte ».

2 - Le lecteur se trouve face à un genre romanesque inhabituel et perd ses repères.

Absence de descriptions.

  • La description est également source de malaise, ou c'est plutôt l'absence de description qui le suscite. En effet les personnages ne sont pas décrits. La mère décédée ne fait l'objet d'aucune description, alors qu'elle est au centre de la narration. Le patron, Céleste, Emmanuel, le concierge, le militaire sont réduits à leurs simples prénoms, ou à leurs fonctions, et à leurs propos.
  • Seul le directeur de l'asile est légèrement décrit : « C’était un petit vieux, avec la Légion d’honneur. Il m’a regardé de ses yeux clairs. »
  • Les lieux ne pas non plus décrits. L’on sait juste que l’action se passe à Marengo, près d’Alger. L’Algérie étant le pays de naissance d’Albert Camus. Donc les actions n'en prennent que plus d'importance car le récit se concentre sur leur enchaînement. La personnalité des personnages est passée sous silence : il n'y a aucun indice sur leur psychologie.
  • Les informations que l’on apprend sur l’identité du personnage, Meursault, ainsi que sur le lieu dans lequel il se trouve ne nous sont pas données directement :
  • On apprend son nom par l'allusion à celui de sa mère prononcé par le directeur de l'asile.
  • Meursault semble être de condition modeste, n’ayant pas les moyens de subvenir aux besoins de sa mère
  • Il semble également, par déduction, être fils unique
  • Nous n’apprenons rien sur le passé de ce personnage, ni même sur sa profession.

Une complète objectivité.

  • L'étude des temps et personnes conduit à parler de focalisation interne (chaque événement est vu à travers les yeux du narrateur).
  • Cependant, l'absence de description s'accompagne d'absence totale de subjectivité, d'implication personnelle de Meursault, ce qui est totalement contradictoire avec le point de vue utilisé.
  • Mersault exprime sa pensée et ses choix, mais sans jamais s'impliquer de façon affective. « J'ai dis oui pour ne plus avoir à parler ». Nous n’avons pas plus d’explications.
  • Le lecteur est donc amené à formuler lui-même des interprétations. L'impression de neutralité est totale.
  • Les autocorrections du narrateur vont dans le même sens, en montrant la volonté ferme de ne dire que le vrai : « aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier. Je ne sais pas ».
  • On se demande alors le but de ces exigences du récit. Est-ce dans un but réaliste ? L'absence de descriptions tend à évincer cette optique. C'est au plus près de la conscience de Meursault que cette écriture nous place.

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3 - On peut presque parler d'une conscience degré zéro.

Isolement du temps présent.

  • Isolement du présent de l'indicatif qui semble être la seule référence possible du narrateur. « Aujourd'hui » « hier », « demain ». Les trois instances apparaissent dès les premières lignes. On a l'impression que le narrateur ne peut ni se souvenir, ni se projeter.

Disparition de la hiérarchie.

  • Le récit des évènements auquel se livre Meursault semble s'abstraire de toute échelle d'importance. C'est cette donnée qui est surtout à l'origine du malaise. Finalement la date exacte de la mort de la mère est un acte aussi essentiel pour le lecteur que d'expliquer pourquoi Emmanuel a une cravate noire.
  • Les évènements s'enchaînent ainsi dans la même linéarité.
  • Aucune implication personnelle du héros dans sa narration : tout est raconté sur le même ton.
  • La narration privée des prolepses, ellipses ou ralentissements, semble plate, machinale et désincarnée. On en vient à se demander si, tout comme sa narration, ce n'est pas à un héros « privé de sens » qu'on a affaire.
Mersault, un antihéros ?
Autre dessin tiré de la bande dessinée "L'Etranger" de Jacques Ferrandez. Source : ligneclaire.info

Développement de la deuxième grande partie

II - Un Héros lui aussi désincarné.

1 - Une indifférence totale.

La mort de la mère.

  • Cette mort de la mère est un événement tragique, qui ne soulève pourtant aucun sentiment de la part du narrateur. Les premières phrases sont simplement axées sur la date de sa mort. Le narrateur semble se focaliser sur les modifications de son emploi du temps, et des transports qu’il lui faudra prendre : « je prendrai l'autobus ». Aucune manifestation de tristesse. Pire, il utilise l’expression « affaire classée », un terme extrêmement administratif et juste matériel, pour parler de la mort de sa mère après l’enterrement.
  • Les seuls éléments négatifs relèvent du contexte et des éléments matériels, non du vécu : « odeurs d'essence » ; « j'ai attendu un peu ».

Le dernier paragraphe est choquant.

  • il explique le refus d'aller voir sa mère par le fait que cela lui prenait ses dimanches, « sans compter l'effort pour aller à l'autobus ». La précision « deux heures de bus » est particulièrement choquante, le lecteur réalisant qu’il n’était vraiment pas loin de l’asile où était sa mère.
  • La présence du tiret après « - ça me prenait mon dimanche » accroit encore ce décalage de l'explication peu glorieuse.

Meursault paraît complètement en décalage par rapport aux autres personnages.

  • Les sentiments sont uniquement présents chez les autres personnages : « ils avaient tous beaucoup de peine pour moi ». Seuls ceux qui l'entourent plaignent cette disparition.
  • De surcroît ces marques d'intérêt semblent le gêner. La poignée de main l'embarrasse. Tout contact amical est considéré comme gênant.

Son expression est réduite au minimum.

  • Absences de modalisateurs.
  • Ses paroles en discours direct sont excessivement succinctes, se résumant le plus souvent à un simple « oui », comme s’il refusait tout contact, ou tout du moins tout dialogue.

2 - Une logique à part et déstabilisante.

Étrange utilisation des connecteurs logiques.

  • La logique de la narration est aussi déconcertante. Les quelques connecteurs utilisés sont marquants. Voir la scène avec le patron « en somme, je n'avais pas à m'excuser », la réflexion du narrateur consiste à trouver les raisons de l'attitude peu agréable du patron, qui viendraient du caractère « non officiel » du deuil.
  • Le lecteur a du mal à suivre le raisonnement du personnage. De même dans le dernier paragraphe, « Elle aurait pleuré si on l'avait retirée de l'asile... », le « pour cela » est loin d'être évident. Parce que sa mère est habituée ? Parce qu'elle n'aurait pas voulu sortir de l'asile ? La logique de la réflexion nous échappe et accroît son aspect sordide.

La nécessité du lecteur de combler les manques.

  • Un lecteur finalement obligé de combler les manques. Et de rajouter des connecteurs logiques où ils ne sont pas. Mais le lecteur ne comble jamais ces manques à l'avantage de Meursault : c'est toujours l'explication la plus négative qui vient à l'esprit, toujours l'attitude la plus sordide que l'on comprend.

3 - Un manque d’affects, prophétique.

Les marques implicites de l'affectif.

  • Peut-être qu'il faut lire son attitude étrange sous un autre angle, et que Meursault est plus affecté par les événements que ce qu’il laisse voir. Est-ce que sa froideur est la marque d'un choc ? Ou d'un déni ? S’il vit l’événement comme un traumatisme, ce sont des hypothèses viables. De la même façon « j'ai voulu voir maman tout de suite » indique un côté précipité, ou tout du moins la marque d'un trouble certain.
  • Enfin, le dernier paragraphe, entre les remarques impersonnelles et choquantes, montre que Meursault n'est pas totalement indifférent au récit des derniers mois de sa mère, fait par le directeur. Il l’écoute attentivement, et l'emploi du terme commun « maman » et non « mère », plus soutenu et distant, reste un indice d'affection.

Un sentiment de culpabilité ?

  • C'est le seul sentiment qui transparaît dans le texte. Que ce soit lorsqu'il parle à son parton « ce n'est pas de ma faute », « je n'aurais pas dû dire cela » ou lorsqu’il s’interroge vis-à-vis du directeur de l’asile : « j'ai cru qu'il me reprochait quelque chose », la culpabilité semble être au cœur de ses préoccupations. Cela dit, il n’a pas l’air de se sentir coupable quant à ce qui s’est passé pour sa mère, ou tout du moins ce n’est pas explicite, ce qui est assez étrange.
  • Finalement, on peut comprendre à travers cet incipit qu'on a affaire à un homme qui cherche à se persuader lui, et les autres, qu'il a fait en sorte que sa mère est morte en paix, heureuse, sans rien avoir à se reprocher.

Une dimension prophétique.

  • Cet incipit concentre en réalité tous les éléments qui seront retenus contre Meursault lors de son procès, qui débutera en deuxième partie du livre.
  • La maladresse de Meursault dans les justifications à l'internement de sa mère, ses actions mécaniques, son apparente froideur, rend les actions et les motivations de ce personnage glaçantes, dénuées de chaleur humaines, ce qui rend le lecteur mal à l’aise avec ce personnage.
L'oeuvre de Camus a-t-elle été adaptée au cinéma ?
Image tirée de l'adaptation cinématographique de "l'Etranger" par Luchino Visconti, en 1967.

Conclusion.

Après analyse, force est de constater que l’incipit de L’étranger d’Albert Camus est particulièrement déconcertant. Le lecteur est coupé des codes habituels du genre romanesque et est placé devant la conscience d'un personnage dont il peine à comprendre le fonctionnement. Les réactions émotionnelles attendues de la part du personnage sont totalement absente de cet incipit. Le malaise créé chez le lecteur rend directement le personnage antipathique, même si son refus d'interpréter ses actes n'est pas tant la preuve d'un refus de communication, ou d'une dimension « monstrueuse » de sa conscience, que le refus de ne donner qu'une seule signification à ses actes.   C'est au lecteur d'apprécier et de combler les lacunes de la narration, mais aussi de rester ouvert à la différence, et surtout de s'interroger sur cette personnalité déstabilisante.

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Alexandra

Ex professeure de français reconvertie en rédactrice web, je crois fondamentalement aux pouvoirs du chocolat, aux vertus de la lecture, et à la magie des envolées d’Edouard Baer !