Le personnage de Chérubin émerge dans cette scène. C'est un personnage assez inattendu. Bartholo et Marceline anciens amants viennent de s'entendre pour séparer Figaro et Suzanne, Chérubin intervient alors que Suzanne déplore l'attitude autoritaire de Marceline. Il apporte gaieté et sensualité dans la scène. On verra comment ce personnage ambigu concourt à la polyphonie de la scène, à la fois lyrique et comique.

LECTURE ANALYTIQUE

I : Chérubin, un personnage ambigu.

1 : Le portrait de Suzanne.

2 : Son autoportrait.

II : Chérubin, figure du Désir.

1 : Entre mariage et libertinage, une troisième voie ?

2 : Polyphonie de la scène : la sensualité en question.

Chérubin est un personnage qui se démarque des autres personnages de la comédie. Il arrive avec un effet de surprise, et semble devoir immédiatement vivre dans la clandestinité de ses sentiments ( + cachés derrière le fauteuil ). Il est un second rival du Comte à qui il veut disputer la Comtesse, c'est donc un troisième fil noué, après celui du mariage Figaro / Suzanne et de la convoitise Comte / Suzanne. C'est un jeune noble qui ressemble par bien des traits au Comte et qui utilise la ruse plutôt que l'obéissance. Mais Chérubin n'a pas pour rôle seulement que la perturbation de l'intrigue, il est un personnage complexe, polymorphe.

Avant tout, son prénom est étonnant : on ne sait s'il s'agit d'un prénom, d'un nom ou d'un surnom. Les connotations associées sont celles d'un petit cupidon facilement amoureux et de caractère assez puérile, aux réactions infantiles. Son comportement l'y associe d'ailleurs assez facilement. Le jeu avec Suzanne relève à la fois de la séduction et de la connivence ( autour du fauteuil ). Suzanne, face à lui, s'impose en femme mature et le présente sous l'image de la feinte, de l'ironie et de l'infantilisation : « c'est mon tour ! » ; « l'heureux bonnet et le fortuné ruban... » ; « petit scélérat » ; « il devient fou ».

En réalité, on est ici face à la dénonciation d'un Don Juan. Chérubin s'exerce en quelque sorte auprès de Suzanne, mais elle le rabroue en trois leçons :

Il est le Don Juan qui « n'ose pas oser » ; le marché proposé entre le ruban et la « romance » est symbolique : c'est la force séduisante du propos contre la possession ( même symbolique ) de l'objet ; elle renvoie son désir à une dimension totalement platonique, celle de la rêverie érotique « épingle après épingle ! ».

Son autoportrait est lui aussi assez éloquent. Quand Suzanne démystifie le Donjuanisme de Chérubin, lui en revanche, se peint à travers un discours lyrique. Ce discours s'oriente dans trois directions : c'est d'abord le discours sur les troubles du cœur, celui causé par la comtesse : « quelle est noble et belle ! Mais qu'elle est imposante ! ». Cependant, les deux autres « inspirations » prennent rapidement le pas sur le discours du sentiment et du cœur...

En effet, ce qui semble « griser » Chérubin, c'est le transport lui-même, qu'elle qu'en soit la cause. Il s'attarde sur les troubles du corps : la perte d'identité car il devient étranger à lui-même ( « Je ne sais plus ce que je suis » ).

Enfin, le discours semble s'écouter lui-même pour finir par dire « l'amour de l'amour » : il n'aime pas tant quelqu'un, qu'aimer tout court. La fin de sa tirade l'exprime clairement : « le besoin de dire à quelqu'un Je vous aime … à ta maîtresse, à toi, aux arbres, aux nuages, au vent... ». Le « dire » de l'amour le maintient dans une plénitude qui l'emporte sur le désir. Chérubin est en fait un Don Juan amoureux de l'amour qui manifeste une grande maîtrise de la rhétorique du discours amoureux ( déclaration amoureuse simultanée à deux femmes ).

Chérubin est donc un personnage ambigu, partenaire de badinage, mais aussi incarnation du désir de possession qui peut le ramener à la hauteur de la menace que représente le Comte, ou aux figures masculines du libertinage que Beaumarchais semble dénoncer ici. C'est une nouvelle forme d'oppression de la femme sous couvert d'élégance et de galanterie.

Chérubin offre en effet une nouvelle voie entre mariage et libertinage, entre alliance résignée et qui s'use et tromperie. Le discours de Chérubin est un discours du Désir qui s'affirme dans son instabilité et sa puissance, sa vocation à la possession et son caractère éphémère. Il apporta aussi un nouveau regard ( par son caractère atypique ) sur les relations qu'entretiennent les autres couples. Certes il a un caractère infantile et instable, mais il a la franchise de l'expression de son désir un rompt ainsi le pacte « d'amour courtois » de la tradition classique. C'est un « consommateur » vorace mais platonique, figure de l'ambition qui n'ose pas aller jusqu'au bout et c'est peut être de là aussi qu'il hérite sa fragilité et son caractère éphémère ( voir son destin dans la trilogie ). Il ne peut s'intégrer dans le moule social, c'est une force qui jaillit, s'affirme et meurt.

Beaumarchais met largement l'accent sur la sensualité dans cette scène. Le jeu de Chérubin est tout d'abord purement celui de la séduction sans parler sentiment ; il est dans le défi de la conquête. Les objets de la scène sont là pour incarner cette sensualité, tantôt objets complices ou volés, comme pourraient l'être les baisers, tantôt objets de convoitise : on repère la force métonymique et la connotation sensuelle du ruban qui concentre l'image déshabillée ou apprêtée, sensuelle. Le désir de possession de l'objet ( le ruban volé ) l'emporte sur l'expression du sentiment. De même, dans l'échange romance / ruban, on retrouve cette symbolique de la lutte entre le langage de séduction et la possession du corps. Le fauteuil quant à lui devient la « faille » dans le décor, le complice du désir qui symboliquement rivalise avec le pouvoir du Comte et sur ses terres.

Mais on peut se demander jusqu'à quel point Chérubin serait le personnage du jeu et du badinage, et si Beaumarchais n'a pas ici préfiguré en Chérubin les travers du libertinage et ses faiblesses. Tout lyrique qu'est son discours, il est tourné en dérision par la pragmatique Suzanne qui peut être le porte-parole avisé de l'auteur sur les mœurs de sa société.

Chérubin incarne une « liberté de pensée » qui se traduit par une « liberté du désir » : il rejoint ainsi l'aspiration des Lumières à ce que chacun suive par un instinct « naturel » le bien pour soi et les autres ( morale naturelle – sensualisme ) en refusant le carcan du fanatisme et de l'intolérance. Mais on perçoit aussi les limites de ce sensualisme qui se confronte au poids de la norme sociale ou qui peut devenir une nouvelle forme de violence ou d'oppression faite aux femmes.

En Chérubin, par son caractère fulgurant et atypique, on retrouve un personnage qui revendique sa liberté, un individualisme certain et amoral, rejoignant ainsi le courant libertin qui est un défi à l'autorité et aux conventions sociales.

Cette scène du fauteuil est une scène bien connue de la littérature. Elle est particulièrement remarquable par la sensualité dégagée par le jeu des deux personnages, Suzanne se prêtant au badinage de Chérubin, mais refusant d'être à nouveau prisonnière d'un pouvoir original : celui des mots, du libertinage et de la possession hédoniste et matérialiste du corps, après le poids aristocratique des conventions sociales. On lit ici toute la finesse de l'analyse de Beaumarchais qui présente une scène polyphonique, sans nous imposer de façon caricaturale une vision de la société.

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Agathe

Professeur de langues dans le secondaire, je partage avec vous mes cours de linguistique !