Lorsqu’on lit un roman, il y a toujours une question fondamentale qui émerge : qui voit ? En d’autres termes, quel est le personnage (si tant est que ce soit un personnage) dont le point de vue influence la narration ?

Pour répondre à cette question, il faut définir narrateur et personnage, car si le narrateur est parfois un personnage qui prend par à l’histoire, il est parfois extérieur à l’histoire.

Grosso modo, il existe trois types de focalisation, ou de point de vue :

  • Le narrateur en sait plus que le ou les personnage(s) (N>P) : on parle alors de focalisation zéro
  • Le narrateur en sait autant que le personnage (N=P) : on parle alors de focalisation interne
  • Le narrateur en sait moins que le personnage (N<P) : on parle ici de focalisation externe

Il faut enfin préciser que la focalisation peut varier entre les moments de narration : parfois, la focalisation reste la même tout au long du roman ; parfois, on change de point de vue. La narration n’est jamais quelque chose de figée, et l’écrivain peut en jouer comme il lui plait !

Comment peut-on repérer un narrateur interne et un narrateur externe dans un roman ?
« Il me sourit avec une sorte de complicité - qui allait au-delà de la complicité. L'un de ces sourires singuliers qu'on ne rencontre que cinq ou six fois dans une vie, et qui vous rassure à jamais. » - Gatsby le Magnifique, F. Scott Fitzgerald
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C'est parti

Focalisation zéro

Dans le cas de la focalisation zéro, le narrateur en sait plus que tous les personnages présents, il n’y a aucune restriction de champ. On parle alors d’un narrateur omniscient (= qui sait tout), narrateur forcément extradiégétique : la diégèse signifiant l’histoire, un narrateur extradiégétique est un narrateur extérieur à l’histoire. A noter encore : la narration se fait alors à la troisième personne (« il »).

Le narrateur renseigne ainsi le lecteur sur tout : le passé, le présent ou même l’avenir de ses personnages n’ont aucun secret pour lui. Il lui est également très facile de rentrer dans la tête de ses personnages et d’exposer les pensées les plus intimes de chacun.

Honorée de Balzac a conduit nombre de ses narrations de cette manière-là. Dans Le Père Goriot (1842), par exemple, il expose très vite les informations tout azimut :

« Le père Goriot, vieillard de soixante-neuf ans environ, s’était retiré chez madame Vauquer, en 1813, après avoir quitté les affaires. Il y avait d’abord pris l’appartement occupé par madame Couture, et donnait alors douze cents francs de pension, en homme pour qui cinq louis de plus ou de moins étaient une bagatelle. Madame Vauquer avait rafraîchi les trois chambres de cet appartenant moyennant une indemnité préalable qui paya, dit-on, [... ] »

Ainsi, le narrateur renseigne le lecteur sur la vie du personnage, sur son passé et sur son présent.

Une autre manière d’identifier un narrateur omniscient est de juger si l’on a accès aux pensées de personnages. Ainsi de cette scène de dialogue dans Agatha Christie, extraite de Ils étaient dix (1939) :

Ce fut un repas étrange. Chacun se montrait d'une prévenance extrême :

- Voulez-vous encore un peu de café, miss Brent ?

- Une tranche de jambon, miss Claythorne ?

- Un autre toast ?

Six personnes, extérieurement calmes et maîtresses d'elles-mêmes.

Mais intérieurement ? Des pensées qui tournaient en rond comme des écureuils en cage...

« Et maintenant ? Et maintenant ? Qui ? Lequel ? »

« Est-ce que ça va marcher ? Je me demande... Mais ça vaut le coup d'essayer. Seulement est-ce que nous aurons le temps ? Bon Dieu, est-ce que nous aurons le temps?... »

« Folie mystique, à tous les coups... Pourtant, à la regarder, on ne croirait jamais... Et si je me trompais?... »

« C'est dingue... tout est dingue. Je deviens dingue. De la laine qui disparaît... des rideaux en toile cirée rouge... ça n'a ni queue ni tête. Je ne comprends le comment du pourquoi... »

« L'imbécile ! Il a cru tout ce que je lui ai dit. Simple comme bonjour... Il faut quand même que je sois prudent, très prudent. »

Explicitement, le narrateur nous fait rentrer à l’intérieur des personnages, pour connaître leurs pensées intimes. Si le narrateur avait été un personnage, il n’aurait rien pu deviner depuis les apparences extérieures « calmes et maîtresses d’elles-mêmes ».

Intéressé par des cours de français ?

Focalisation interne

La focalisation interne désigne une histoire narrée à partir d’une perspective limitée, qui adopte souvent le point de vue d’un personnage appartenant à l’histoire. Dans ce cas précis, on parle de narrateur homodiégétique (= qui fait partie de l’histoire). La focalisation interne s’observe souvent dans les jeux vidéo, par exemple Call of duty, où le joueur est un soldat et voit à travers ce que voit le soldat.

En cas de focalisation interne, la narration peut être conduite à la première personne (« je ») ou à la troisième personne (« il »).

Narration à la troisième personne

Le narrateur, en tout état de cause, n’expose que des informations à disposition du personnage. Puisque le point de vue est limité à la perception d’un seul personnage, le passage peut être réécrit à la première personne.

Ainsi, dans Bel-Ami, de Guy de Maupassant (1885), se trouvent des exemples d’une narration à la troisième personne, avec une focalisation interne (et donc, un narrateur extradiégétique) :

« Il montait lentement les marches, le cœur battant, l’esprit anxieux, harcelé surtout par la crainte d’être ridicule ; et, soudain, il aperçut en face de lui un monsieur en grande toilette qui le regardait. Ils se trouvaient si près l’un de l’autre que Duroy fit un mouvement en arrière, puis il demeura stupéfait : c’était lui-même, reflété par une haute glace en pied qui formait sur le palier du premier une longue perspective de galerie. Un élan de joie le fit tressaillir, tant il se jugea mieux qu’il n’aurait cru. »

Ici, la narration est conduite à la troisième personne (« Il montait lentement ») mais le lecteur ne sait que ce que le personnage sait : ainsi, nous découvrons en même temps que lui que l’homme qui arrive, c’est « lui-même » !

Comment faire la lecture complète de l'œuvre littéraire de Maupassant ?
Maupassant est l'un des auteurs les plus prolifiques de la littérature française ! (source : L'Internaute)

Nous pouvons tout à fait réécrire ce passage avec le « il » remplaçant le « je » :

« Je montais lentement les marches, le coeur battant, l'esprit anxieux, harcelé surtout par la crainte d'être ridicule ; et, soudain, j'aperçus en face de moi un monsieur en grande toilette qui me regardais... »

Narration à la première personne

Si le narrateur fait partie de l’histoire, on parle donc de narrateur homodiégétique (narrateur-personnage) : il raconte avec le pronom personnel « je », et son savoir est limité – comme celui du lecteur, par la même occasion.

Par exemple, Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline (1932), est un récit à la première personne, et Bardamu, le narrateur-personnage, possède des connaissances limitées sur son environnement, les gens qu’il rencontre, les informations du monde, l’histoire, etc.

« Ca a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est Arthur Ganate qui m’a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C’était après déjeuner. Il veut me parler. Je l’écoute. »

Ici, la narration à la première personne limite le savoir du lecteur. Celui-ci n’a accès qu’aux pensées du personnage-narrateur, et il découvre l’histoire en même temps que lui.

Il est à noter que le paroxysme de cette narration correspond au monologue intérieur. Avec ce procédé, le lecteur se trouve plongé dans la conscience du personnage, qui n’est même pas un narrateur, en tant qu’il ne raconte pas. Simplement, le lecteur lit les pensées du personnage comme s’il se trouvait dans sa tête, et doit lui-même deviner les lieux et les statuts des rencontres, puisque le narrateur ne le renseigne en rien.

Par exemple, dans Belle du Seigneur, d’Albert Cohen (1968) :

« oh le regard chien quand il commence à être chien quand il me regarde sérieux soucieux chien myope avec des intentions enfin quand il veut se servir de moi affreux ce qui est drôle c’est qu’il éternue quand ça lui vient quand il va faire le chien ça ne manque jamais il éternue deux fois atchoum atchoum et alors je me dis ça y est c’est le chien et je n’y coupe pas il va faire sa gymnastique sur moi et en même temps j’ai envie de rire quand il éternue et en même temps angoisse parce que ça va venir il va monter sur moi une bête dessus une bête dessous mais la dernière fois il a inauguré un système comique il me mordille d’abord ça me fait penser à un pékinois qui joue c’est très désagréable »

Ici, le lecteur accède directement aux pensées du personnage, comme si la conscience se donnait à lire. Ce cas est extrême, puisqu’il devient alors très difficile de comprendre ce qu’il se passe, étant donné que personne ne s’assure d’expliquer quoi que ce soit.

Qui est le dieu de l'Amour ?
Venus und Amor, Sebastiano Ricci, 1700

Focalisation externe

En cas de focalisation externe, la narration fonctionne comme une caméra au cinéma : elle se contente de décrire ce qu’il se passe, sans faire accéder le lecteur aux pensées ou aux sentiments du ou des personnages. Vous l’aurez compris, ici, le narrateur est… extradiégétique (soit, une narration à la troisième personne). Le narrateur en dit même moins que ce que sait le personnage lui-même.

Il est rare que cette narration parcourt l’entièreté du roman. Bien plus fréquemment, la focalisation externe est celle qui ouvre l’histoire. Ainsi, dans Les Misérables, de Victor Hugo :

Dans les premiers jours du mois d’octobre 1815, une heure environ avant le coucher du soleil, un homme qui voyageait à pied entra dans la petite ville de Digne. Les rares habitants qui se trouvaient en ce moment à leurs fenêtres ou sur le seuil de leurs maisons regardaient ce voyageur avec une sorte d’inquiétude. Il était difficile de rencontrer un passant d’un aspect plus misérable.

Ici, le personnage est volontairement dépeint de manière obscure, pour ajouter au mystère d’une histoire qui commence. La narration est faite de manière objective, on ne sait rien de son passé, on ne sait rien de son identité. Le narrateur en sait forcément moins que le personnage puisque lui sait qui il est !

Tableau récapitulatif

Type de focalisationSavoir du narrateur par rapport au personnageStatut du narrateur Pronom personnel associéStatut de la narration
ExterneNExtradiégétique« Il »Objective
InterneN=PExtradiégétique ou homodiégétique (narrateur-personnage)« Il » ou « Je » (narrateur-personnage)Subjective
ZéroN>PExtradiégétique« Il »Objective

Souvenez-vous enfin que le narrateur n’équivaut pas à l’écrivain : il ne faut pas les confondre ! Parfois, l’écrivain s’amuse en se dissociant explicitement du narrateur, et vient rendre floue les démarcations entre écrivain, narrateur et personnage.

Exercices

Voici une liste d'extraits utilisant différents points de vue : à vous de les reconnaître.

1/ Point de vue …............ :

L'homme élégant est descendu de la limousine, il fume une cigarette anglaise. Il regarde la jeune fille au feutre d'homme et aux chaussures d'or. Il vient vers elle lentement. C'est visible, il est intimidé. Il ne sourit pas. Tout d'abord, il lui offre une cigarette. Sa main tremble.

2/ Point de vue …............ :

Il se mit à étudier la position de la comtesse, et tomba dans une de ces méditations auxquelles se livrent les grands politiques en concevant leurs plans, en tâchant de deviner le secret de cabinets ennemis. Les avoués ne sont-ils pas en quelque sorte des hommes d'État, chargés des affaires privées ? Un coup d'œil jeté sur la situation de monsieur le comte Ferraud et de sa femme est ici nécessaire pour faire comprendre le génie de l'avoué.

Balzac, Le colonel Chabert, 1832

3/ Point de vue …............ :

Il était à peu près onze heures du matin, on arrivait à la mi-octobre et, sous le soleil voilé, l'horizon limpide des collines semblait prêt à accueillir une averse carabinée. Je portais mon complet bleu poudre, une chemise foncé, une cravate et une pochette assorties, des souliers noirs et des chaussettes de laine à baguette bleu foncé. J'étais correct, propre, rasé, à jeun et m'en souciais comme un guigne. J'étais, des pieds à la tête, le détective privé bien habillé. J'avais rendez vous avec quatre millions.

Raymond Chandler, Le grand sommeil, 1939

4/ Point de vue …............ :

Des lettre de feu dansaient. (…) L'amie de Tranquillité les regardait, elle avait peur, et elle aussi était émerveillée. C'était vraiment de beaux papillons.

5/ Point de vue …............ :

Resté dans l'angle, derrière la porte, si bien qu'on l'apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d'une quinzaine d'années environ, et plus haut de taille qu'aucun de nous tous. Il avait des cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l'air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu'il ne fut pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devaient le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous.

Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857

6/ Point de vue …............ :

Elle était grande et bien faite, selon de généreux critères sa carnation devait posséder la saveur de la crème fraiche qu'elle évoquait, et sa bouche enfantine la saveur des fraises. Sous la masse de ses cheveux couleur de nuit, enroulés en vagues suaves, ses yeux verts brillaient, immobiles comme ceux des statues et, comme eux, un peu cruels. Elle avançait lentement en faisant onduler son ample jupe blanche. Toute sa personne exprimait le calme invincible de la femme sûre de sa beauté. Ce n'est que plusieurs mois après qu'on l'apprit : au moment de son entrée victorieuse, elle avait été sur le point de s'évanouir d'anxiété.

Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le Guépard, 1958

7/ Point de vue …............ :

L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un pas allongé, grelotant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus. D'abord, il hésita, pris de crainte ; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains.

Emile Zola, Germinal, 1885

Quelle est l'histoire de Germinal de Zola ?
Germinal a notamment été adapté en film avec Gerard Depardieu et Renaud ! (source : ON-mag)

8/ Point de vue …............ :

Une jeune dame vient de sortir de sa petite et coquette maison dont la porte est sur la Croisette. Elle s'arrête un instant à regarder les promeneurs, sourit et gagne, dans une allure accablée, un banc vide en face de la mer.

Guy de Maupassant, Première Neige, 1883

9/ Point de vue …............ :

A un bout du bâtiment, l'avocat ouvrit une porte. A l'autre, Thérèse, dans un couloir dérobé du palais de justice, sentit sur sa face la brume et, profondément, l'aspira. Elle avait peur d'être attendue, hésitait à sortir.

François Mauriac, Thérèse Desqueyroux, 1927

10/ Point de vue …............ :

Cependant, elle, qui croyait bien connaître Jacques, s'étonnait. Il avait sa tête ronde de beau garçon, ses cheveux frisés, ses moustaches très noires, ses yeux bruns diamantés d'or, mais sa mâchoire inférieure avançait tellement, dans une sorte de coup de gueule, qu'il s'en trouvait défiguré.

Emile Zola, La Bête humaine, 1890

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Nathan

Ancien étudiant de classe préparatoire b/l (que je recommande à tous les élèves avides de savoir, qui nous lisent ici) et passionné par la littérature, me voilà maintenant auto-entrepreneur pour mêler des activités professionnelles concrètes au sein du monde de l'entreprise, et étudiant en Master de Littératures Comparées pour garder les pieds dans le rêve des mots.