Chapitres
- 01. La comédie
- 02. La tragédie
- 03. Tragédie ou comédie ?
Au théâtre, les deux genres les plus fameux sont la tragédie et la comédie. Leur opposition théorique remonte au IIIème siècle avant J-C, sous la plume du philosophe grec Aristote. La redécouverte de ses écrits à la Renaissance a engagé des postures morales, certains considérant que la tragédie était le seul genre « noble et respectable », quand la comédie serait un genre « vulgaire et obscène, encourageant les plus bas instincts ».
Mais la vérité de la scène est plus subtile. Ces affrontements théoriques sont toujours sous-tendus par des enjeux politiques et idéologiques, tandis que le théâtre de rue a plutôt mélangé des caractéristiques que le théâtre institutionnel rattachait à l'un ou à l'autre genre.
Nous tenterons ici de donner des pistes de réflexions qui aideront à l'identification d'une pièce comme appartenant à l'un ou à l'autre genre, même s'ils ont chacun connu de profondes modifications au fil des siècles.
La comédie
Le fond
Le rire et la comédie
Aristote, dans son ouvrage Poétiques, associe étroitement comédie et comique : c'est dire que la comédie cherche à faire rire le spectateur. Cela fait entrer dans le genre les formes les plus subtiles (vaudevilles, comédie romantique, comédie absurde, etc.) et les plus grasses (farce ou commedia dell'arte).
Mais qu'est-ce que le rire ?
- le rire est associé à la surprise de toute sorte
- le rire est un réflexe que l'on ne contrôle pas
- le rire provoque une distanciation du spectateur par rapport à la chose dont il rit, c'est-à-dire qu'il vit la chose au second degré
- le rire est également un soulagement, dans la mesure où il peut être la réponse apporté face au désamorçage d'une peur
Le comique dans l'action
La comédie peut se déployer à partir d'un scénario résolument drôle. Celui-ci peut faire monter la tension chez le spectateur jusqu'à provoquer le relâchement du public par la résolution de la situation d'une manière brutale, parfois improbable.
Typiquement, les comédies de vaudeville se fondent sur des intrigues qui contiennent en tant que telles leur potentialité comique : il s'agit toujours plus ou moins d'un mari trompé, et qui menace de surprendre l'adultère, ce qui donne toujours des scènes improbables (comme l'amant caché dans le placard).
Le scénario peut également convoquer d'autres types de comique :
- Le comique de caractère : le personnage est rendu comique par le ridicule de ses manies et la manière dont il ne peut s’en défaire, comme Harpagon, dans L’Avare, et son obsession pour l’argent.
- Le comique de gestes : ce sont les attitudes, les grimaces, les chutes du personnage qui assurent ici le rire. Scapin frappant son maître, c’est un comique de geste.
- Le comique de situation : la situation est si inattendue qu’elle fera rire le spectateur (ce qui correspond au comique du vaudeville, par exemple).
Le comique dans les mots
Le principal ressort sur lequel s'appuie la comédie réside néanmoins dans les mots. S'y trouvent plusieurs possibilités pour le dramaturge :
- Le comique de mots : ici, c’est par certaines paroles que le personnage sera drôle, soient qu’elles sont incongrues, soit qu’elles soient réellement drôles.
- Le comique de répétition : par la répétition d’une scène ou d’une phrase, la scène devient drôle.
- Le comique de caractère : le personnage est rendu comique par le ridicule de ses manies et la manière dont il ne peut s’en défaire, comme Harpagon, dans L’Avare, et son obsession pour l’argent.
Le quiproquo
Mais c’est le quiproquo qui a le plus de succès dans la comédie. En latin, le terme veut dire : « quelqu’un pour/à la place de quelqu’un », et il s'agit souvent d'un contre-sens.
Typiquement, le quiproquo, c’est ce moment où deux personnages se rencontrent et pensent parler d’une même chose alors que ce n’est pas le cas. Le spectateur, qui est conscient du décalage, trouvera alors la situation excessivement drôle, au gré de la manière dont le dramaturge fait se confronter ses personnages.
Par exemple, on trouve un savoureux quiproquo dans L’Avare de Molière, Acte II, scène 3 :
La Flèche, bas, à Cléante, reconnaissant maître Simon.
Que veut dire ceci ? Notre maître Simon qui parle à votre père !
Cléante, bas, à La Flèche.
Lui aurait-on appris qui je suis ? et serais-tu pour nous trahir ?
Maître Simon, à Cléante et à La Flèche.
Ah ! ah ! vous êtes bien pressés ! Qui vous a dit que c’était céans ? (À Harpagon.) Ce n’est pas moi, Monsieur, au moins, qui leur ai découvert votre nom et votre logis ; mais, à mon avis, il n’y a pas grand mal à cela ; ce sont des personnes discrètes, et vous pouvez ici vous expliquer ensemble.
Harpagon
Comment ?
Maître Simon, montrant Cléante.
Monsieur est la personne qui veut vous emprunter les quinze mille livres dont je vous ai parlé.
Harpagon
Comment, pendard ! c’est toi qui t’abandonnes à ces coupables extrémités !
Cléante
Comment, mon père ! c’est vous qui vous portez à ces honteuses actions !
Maître Simon s’enfuit, et La Flèche va se cacher.
La forme
Depuis l'Antiquité jusqu'au XXème siècle, la comédie s'appuie essentiellement sur trois types de personnages :
- les vieillards, qui symbolisent le pouvoir en place
- les jeunes hommes ou les jeunes filles qui sont opprimés par le pouvoir en place
- les serviteurs (esclaves, valets, etc.) qui sont au service de ces deux premiers types
Généralement, le personnage du jeune homme ou de la jeune femme est construit en opposition à celle du vieillard :
- générosité (du jeune) vs avarice (du vieux)
- la douceur (du jeune) vs la violence (du vieux)
- le courage (du jeune) vs la lâcheté (du vieux)
- etc.
Pourtant, dans la plupart des cas, ces deux archétypes participent peu à l'action : ils sont là en tant qu'allégories de leurs fonctions sociales.
Au contraire, la comédie est le lieu d'exposition des valets, et notamment les valets au service du jeune homme ou de la jeune femme. Il est rusé, inventif, étonnant, et sans tabou : ainsi, pour déjouer les plans du vieillard, il sera capable de tous les renversements pour défendre ses intérêts ou ceux de son maître.
Scénario-type d'une comédie classique
- Le jeune homme est la victime d'une oppression, de la privation d'un bien qu'il estime légitimement désirer.
- Le vieillard est le responsable de l'interdit, puisque les désirs du jeune homme vont à l'encontre de ses propres intérêts.
- Les premières scènes d'exposition montrent le jeune homme en proie au désespoir, qu'il expose à son valet.
- Le valet se met au service de son maître, trouvant également quelqu'intérêt à le servir de la sorte. Il va user de tous les moyens à sa disposition pour satisfaire ses objectifs.
- La fin a toujours quelque chose d'inattendue et d'improbable, même si c'est systématiquement le jeune qui voit l'avènement de sa victoire - car une comédie se termine toujours bien !
En résumé
La comédie est une ode à l'espoir : le valet est celui par qui apparaît l'espoir d'une solution face à l'injustice des règles de la société.
La comédie a aussi quelque chose d'humaniste : c'est en mettant en oeuvre ses talents individuels malgré la résistance des institutions, que l'homme parvient à se libérer d'une situation qui l'opprime.
Exemples de pièces comiques
- La Marmite, de Plaute (poète comique latin, Ier siècle av. J-C)
- Les précieuses ridicules, de Molière (1664)
- Le Mariage de Figaro, Beaumarchais (1784)
La tragédie
Le fond
La tragédie trouve son origine dans les rites sacrificiels grecs destinés à leurs dieux.
Elle met en scène un héros qui fait face à un système qu'il est incapable de renverser. L'ennemi n'est que dans de rares cas un être humain : il s'agit souvent d'une fatalité qui le dépasse (moira en grec).
Ainsi, la plupart des tragédies ont une issue mortelle et met en garde le spectateur :
- ne pas faire preuve d'hubris, à savoir de démesure, c'est-à-dire vouloir combattre l'ordre divin, par exemple
- faire preuve de noblesse d'âme en toute situation
La tragédie fait évoluer ses héros dans un monde cruel, où les logiques sont mécaniques et implacables. Le héros n'a qu'une alternative :
- accepter le système, tout en perdant son amour, son honneur ou son pouvoir
- mourir en laissant une trace de loyauté et d'héroïsme, parce qu'il aura été fidèle à ses valeurs
Ainsi, quel que soit son choix, le héros est condamné au sacrifice.
La tragédie de l'époque classique
Lorsque l'on parle de tragédie, on parle souvent de la tragédie du XVIIème siècle, qui était très codifiée, notamment à partir de La Poétique d’Aristote. Le philosophe grec y analysait les règles de composition de la tragédie grecque. L’interprétation de ce texte a donné lieu à l’impératif de respecter trois règles centrales :
- L’unité d’action : le sujet de la pièce doit être unique, sans péripétie secondaire
- L’unité de temps : l'ensemble de la pièce doit se dérouler en vingt-quatre heures (temps du récit)
- L’unité de lieu : le lieu de l’intrigue doit rester le même tout au long de la pièce (comme un palais par exemple)
Outre ces trois règles d’unité, le dramaturge doit veiller à d’autres critères :
- Ils ne doivent pas représenter d’événements spectaculaires sur scène, telle qu’une bataille
- Ils doivent respecter la bienséance (langage soutenu, en alexandrins, avec des personnages nobles)
- Leur intrigue doit être vraisemblable
A retenir
Le genre tragique nous démontre que si le pouvoir et l'argent - c'est-à-dire « l'ordre » en place - gagne, il laisse entrevoir l'espoir que l'amour et l'honneur sauveront le monde.
Ce qui est intéressant à découvrir dans un tragédie - puisque le spectateur sait que cela finira mal -, c'est de voir ce que les situations critiques provoquent comme dilemmes moraux à l'intérieur du héros.
La forme de la tragédie classique
Nous tentons de dégager le système tragique qui était en place à l'époque classique pour la tragédie. Néanmoins, le genre s'est vite « déstructuré », ne répondant plus à ce schéma.
Actes, scènes, vers
L'action est divisée en 5 actes et en scènes (en nombre variable), définies par l'entrée ou la sortie des personnages. La liaison des scènes doit éviter toute rupture de l'action (la liaison de présence est assurée par un personnage qui demeure en scène ; la liaison de fuite consiste à faire quitter le plateau à un personnage qui veut en éviter un autre).
Les phases de l'action dramatique
Dans la tragédie comme dans la comédie classique, les trois phases de l'action dramatique sont :
- l'exposition : elle doit être entière et courte, claire, interessante et "vraisemblable"
- le noeud de l'action : c'est l'apparition des obstacles, péripéties et coups de théâtre
- le dénouement, il doit être rapide, complet, « nécéssaire » (c'est-à-dire découler logiquement de ce qui précède).
Les personnages de la tragédie
Au contraire de la comédie qui fait intervenir des personnages du peuple, proches du public, la tragédie classique met en scène des héros de haute lignée.
On peut retenir deux types principaux :
- Les héros inspirés de l’histoire grecque ou romaine, tels que des rois ou des reines
- Les héros inspirés de la mythologie, des personnages légendaires
Racine définit ainsi le héros tragique : « Il faut que ce soit un homme qui par sa faute devienne malheureux, et tombe d’une félicité et d’un rang très considérable dans une grande misère. » (Œuvres complètes, La Pleïade).
Ainsi, les héros de tragédie se caractérisent par leur grandeur : ils sont donc obligés de rester dignes face aux difficultés. Ils sont également animés de grandes passions qui fait se confronter leur volonté personnelle (telle qu’un amour dévastateur) et leurs obligations sociales (contrainte politique, par exemple).
C’est ainsi que la plupart du temps, ils sont mis face à un dilemme : ils doivent choisir entre deux solutions incompatibles.
Par exemple, dans Cinna de Pierre Corneille (1642), Auguste, empereur romain, doit choisir entre sa vengeance et la clémence, qualité d’un grand dirigeant. Dans Andromaque, de Jean Racine (1667), Pyrrhus hésite entre sa fidélité aux Grecs, qui veulent la mort d’Astyanax, et son amour pour celle-ci.
Dans l’idéal classique, la tragédie doit servir d’exemple pour rendre les spectateurs meilleurs. C’est la fonction qu’on appelle catharsis, terme hérité d’Aristote : les vices, en les voyant représentés sur scène, sont purgés chez le spectateur.
En résumé
Les critiques considèrent que la tragédie a disparu des théâtres au XIXème siècle. Dans sa forme historique, et parce qu'elle sous-entendait une codification rigide, c'est vrai. Mais vous pouvez voir dans de nombreuses oeuvres d'aujourd'hui des réécritures de tragédie, comme les super-héros qui affrontent éternellement le mal, à travers des figures qui se succèdent indéfiniment.
Si la comédie est le chant de l'espoir, la tragédie, quant à elle, est le chant du destin : c'est l'attitude du héros face à ce destin qui comptera, qu'importe que sa fin soit déjà écrite.
Exemples de pièces tragiques
- Les Perses, d'Eschyle (tragédie antique)
- Oedipe-Roi, de Sophocle (tragédie antique)
- Médée, de Sénèque (dramaturge romain, Ier siècle ap. J-C)
- Le Cid (1637), de Pierre Corneille
- Andromaque (1667), de Jean Racine
Tragédie ou comédie ?
Historiquement, et dès Aristote dans La Poétique, la comédie se définit en négatif par rapport à la tragédie pour point de référence, comme si les deux étaient par essence incompatibles.
Mais la réalité de la scène n'est pas si simple. Ainsi, de grands dramaturges comme Molière et comme Shakespeare ont mélangé les caractéristiques des deux genres pour présenter des oeuvres hybrides, d'autant plus intéressantes qu'elles mélangent le rire et les larmes.
Pour Shakespeare, il y a par exemple la pièce Mesure pour mesure (1623), qui aborde la question de la justice et de la vérité, enjeux corrompus par l'orgueil et par l'humilité des hommes.
Molière, de même, a écrit des pièces inclassables, comme Dom Juan ou le Festin de Pierre (1665), qui fait voir la mort de Dom Juan, le personnage principal, tandis que toute la pièce est traversée par une tonalité comique.
Le XXème siècle s'est alors employé à brouiller les pistes : les pièces issues de cette période ne sont ni rigoureusement des comédies ni rigoureusement des tragédies. Elles mélangent, comme la vie, le tragique et le grotesque, pour reprendre des mots de Victor Hugo, lorsqu'il défendait l'intérêt du théâtre romantique au début du XIXème siècle.
Pour autant, lorsque vous êtes confrontés à des textes classiques, vous pourrez vous demander, en tant que lecteur, deux questions qui aident à identifier le genre de l'oeuvre que vous lisez :
- Y a-t-il un valet ? Si oui, qui est-il et à quoi sert-il ?
- Le personnage principal fait-il face à un destin implacable ?
Si vous désirez une aide personnalisée, contactez dès maintenant l’un de nos professeurs !
Il faut lire: public divers, qui se rit, adaptés.
Le travail de comparaison est très intéressant. Bravo!