La Cafetière est une nouvelle écrite par Théophile Gautier en 1831 parue dans le journal littéraire Le cabinet de lecture.

Dans ce court récit divisé en quatre petits chapitres, le narrateur Théodore relate au lecteur un séjour en Normandie passé avec deux amis italiens.

Dans la chambre d'un hôtel, il se retrouve à observer les personnages d'une tapisserie murale et d'autres tableaux qu'éclaire le feu d'un bougeoir. Soudain, ces portraits prennent vie et se mettent à bouger ; les bougies s'allument ; la cafetière va toute seule se lover dans les tisons. Les personnages finissent même par sortir de leur cadre pour prendre le café, tandis que Théodore reste immobile, terrorisé.

À minuit, toute l'assemblée se lève pour danser mais aucun couple ne peut suivre le rythme infernal imposé par les musiciens. Le narrateur remarque bientôt une magnifique jeune femme assise à l'écart ; il l'aborde alors pour danser avec elle. Une personne prévient : « Angéla, vous pouvez danser avec monsieur, si cela vous fait plaisir, mais vous savez ce qui en résultera. ». Qu'importe, le couple s'élance et parvient, lui, à suivre la musique effrénée.

Comme Angéla montre des signes de fatigue, Théodore lui propose de se reposer sur ses genoux, dans le dernier fauteuil libre. Il savoure son bonheur jusqu'à l'aube mais quand celle-ci arrive, Angela lui fait un adieu précipité avant de s'effondrer sur le sol. Le narrateur accoure pour la secourir mais ne trouve sur le sol que les morceaux de la cafetière brisée. Sonné, il s'évanouit lui-même.

Ses deux amis le retrouvent le lendemain étalé sur le sol et portant l'habit de noce du grand-père de son hôte. Il n'explique rien, ne mange rien, et consacre son après-midi à dessiner la cafetière dont il se rend bientôt compte qu'elle possède la silhouette de la femme disparue. Son hôte, regardant par-dessus l'épaule, y reconnaît lui-même sa sœur, Angéla, morte deux ans plus tôt d'une fluxion de poitrine après avoir dansé pendant un bal.

Qui était Théophile Gautier ?
Portrait de l'écrivain Théophile Gautier. Source : Source : lucydayrone.com
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C'est parti

La nouvelle complète

I
.

L’année dernière, je fus invité, ainsi que deux de mes camarades d’atelier, Arrigo Cohic et Pedrino Borgnioli, à passer quelques jours dans une terre au fond de la Normandie.

Le temps, qui, à notre départ, promettait d’être superbe, s’avisa de changer tout à coup, et il tomba tant de pluie, que les chemins creux où nous marchions étaient comme le lit d’un torrent.

Nous enfoncions dans la bourbe jusqu’aux genoux, une couche épaisse de terre grasse s’était attachée aux semelles de nos bottes, et par sa pesanteur ralentissait tellement nos pas, que nous n’arrivâmes au lieu de notre destination qu’une heure après le coucher du soleil.

Nous étions harassés ; aussi, notre hôte, voyant les efforts que nous faisions pour comprimer nos bâillements et tenir les yeux ouverts, aussitôt que nous eûmes soupé, nous fit conduire chacun dans notre chambre.

La mienne était vaste ; je sentis, en y entrant, comme un frisson de fièvre, car il me sembla que j’entrais dans un monde nouveau.

En effet, l’on aurait pu se croire au temps de la Régence, à voir les dessus de porte de Boucher représentant les quatre Saisons, les meubles surchargés d’ornements de rocaille du plus mauvais goût, et les trumeaux des glaces sculptés lourdement.

Rien n’était dérangé. La toilette couverte de boîtes à peignes, de houppes à poudrer, paraissait avoir servi la veille. Deux ou trois robes de couleurs changeantes, un éventail semé de paillettes d’argent, jonchaient le parquet bien ciré, et, à mon grand étonnement, une tabatière d’écaille ouverte sur la cheminée était pleine de tabac encore frais.

Je ne remarquai ces choses qu’après que le domestique, déposant son bougeoir sur la table de nuit, m’eut souhaité un bon somme, et, je l’avoue, je commençai à trembler comme la feuille. Je me déshabillai promptement, je me couchai, et, pour en finir avec ces sottes frayeurs, je fermai bientôt les yeux en me tournant du côté de la muraille.

Mais il me fut impossible de rester dans cette position : le lit s’agitait sous moi comme une vague, mes paupières se retiraient violemment en arrière. Force me fut de me retourner et de voir.

Le feu qui flambait jetait des reflets rougeâtres dans l’appartement, de sorte qu’on pouvait sans peine distinguer les personnages de la tapisserie et les figures des portraits enfumés pendus à la muraille.

C’étaient les aïeux de notre hôte, des chevaliers bardés de fer, des conseillers en perruque, et de belles dames au visage fardé et aux cheveux poudrés à blanc, tenant une rose à la main.

Tout à coup le feu prit un étrange degré d’activité ; une lueur blafarde illumina la chambre, et je vis clairement que ce que j’avais pris pour de vaines peintures était la réalité ; car les prunelles de ces êtres encadrés remuaient, scintillaient d’une façon singulière ; leurs lèvres s’ouvraient et se fermaient comme des lèvres de gens qui parlent, mais je n’entendais rien que le tic-tac de la pendule et le sifflement de la bise d’automne.

Une terreur insurmontable s’empara de moi, mes cheveux se hérissèrent sur mon front, mes dents s’entre-choquèrent à se briser, une sueur froide inonda tout mon corps.

La pendule sonna onze heures. Le vibrement du dernier coup retentit longtemps, et, lorsqu’il fut éteint tout à fait…

Oh ! non, je n’ose pas dire ce qui arriva, personne ne me croirait, et l’on me prendrait pour un fou.

Les bougies s’allumèrent toutes seules ; le soufflet, sans qu’aucun être visible lui imprimât le mouvement, se prit à souffler le feu, en râlant comme un vieillard asthmatique, pendant que les pincettes fourgonnaient dans les tisons et que la pelle relevait les cendres.

Ensuite une cafetière se jeta en bas d’une table où elle était posée, et se dirigea, clopin-clopant, vers le foyer, où elle se plaça entre les tisons.

Quelques instant après, les fauteuils commencèrent à s’ébranler, et, agitant leurs pieds tortillés d’une manière surprenante, vinrent se ranger autour de la cheminée.

.
II
.

Je ne savais que penser de ce que je voyais ; mais ce qui me restait à voir était encore bien plus extraordinaire.

Un des portraits, le plus ancien de tous, celui d’un gros joufflu à barbe grise, ressemblant, à s’y méprendre, à l’idée que je me suis faite du vieux sir John Falstaff, sortit, en grimaçant, la tête de son cadre, et, après de grands efforts, ayant fait passer ses épaules et son ventre rebondi entre les ais étroits de la bordure, sauta lourdement par terre.

Il n’eut pas plutôt pris haleine, qu’il tira de la poche de son pourpoint une clef d’une petitesse remarquable ; il souffla dedans pour s’assurer si la forure était bien nette, et il l’appliqua à tous les cadres les uns après les autres.

Et tous les cadres s’élargirent de façon à laisser passer aisément les figures qu’ils renfermaient.

Petits abbés poupins, douairières sèches et jaunes, magistrats à l’air grave ensevelis dans de grandes robes noires, petits-maîtres en bas de soie, en culotte de prunelle, la pointe de l’épée en haut, tous ces personnages présentaient un spectacle si bizarre, que, malgré ma frayeur, je ne pus m’empêcher de rire.

Ces dignes personnages s’assirent ; la cafetière sauta légèrement sur la table. Ils prirent le café dans des tasses du Japon blanches et bleues, qui accoururent spontanément de dessus un secrétaire, chacune d’elles munie d’un morceau de sucre et d’une petite cuiller d’argent.

Quand le café fut pris, tasses, cafetière et cuillers disparurent à la fois, et la conversation commença, certes la plus curieuse que j’aie jamais ouïe, car aucun de ces étranges causeurs ne regardait l’autre en parlant : ils avaient tous les yeux fixés sur la pendule.

Je ne pouvais moi-même en détourner mes regards et m’empêcher de suivre l’aiguille, qui marchait vers minuit à pas imperceptibles.

Enfin, minuit sonna ; une voix, dont le timbre était exactement celui de la pendule, se fit entendre et dit :

— Voici l’heure, il faut danser.

Toute l’assemblée se leva. Les fauteuils se reculèrent de leur propre mouvement ; alors, chaque cavalier prit la main d’une dame, et la même voix dit :

— Allons, messieurs de l’orchestre, commencez !

J’ai oublié de dire que le sujet de la tapisserie était un concerto italien d’un côté, et de l’autre une chasse au cerf où plusieurs valets donnaient du cor. Les piqueurs et les musiciens, qui, jusque-là, n’avaient fait aucun geste, inclinèrent la tête en signe d’adhésion.

Le maestro leva sa baguette, et une harmonie vive et dansante s’élança des deux bouts de la salle. On dansa d’abord le menuet.

Mais les notes rapides de la partition exécutée par les musiciens s’accordaient mal avec ces graves révérences : aussi chaque couple de danseurs, au bout de quelques minutes, se mit à pirouetter, comme une toupie d’Allemagne. Les robes de soie des femmes, froissées dans ce tourbillon dansant, rendaient des sons d’une nature particulière ; on aurait dit le bruit d’ailes d’un vol de pigeons. Le vent qui s’engouffrait par-dessous les gonflait prodigieusement, de sorte qu’elles avaient l’air de cloches en branle.

L’archet des virtuoses passait si rapidement sur les cordes, qu’il en jaillissait des étincelles électriques. Les doigts des flûteurs se haussaient et se baissaient comme s’ils eussent été de vif-argent ; les joues des piqueurs étaient enflées comme des ballons, et tout cela formait un déluge de notes et de trilles si pressés et de gammes ascendantes et descendantes si entortillées, si inconcevables, que les démons eux-mêmes n’auraient pu deux minutes suivre une pareille mesure.

Aussi, c’était pitié de voir tous les efforts de ces danseurs pour rattraper la cadence. Ils sautaient, cabriolaient, faisaient des ronds de jambe, des jetés battus et des entrechats de trois pieds de haut, tant que la sueur, leur coulant du front sur les yeux, leur emportait les mouches et le fard. Mais ils avaient beau faire, l’orchestre les devançait toujours de trois ou quatre notes.

La pendule sonna une heure ; ils s’arrêtèrent. Je vis quelque chose qui m’était échappé : une femme qui ne dansait pas.

Elle était assise dans une bergère au coin de la cheminée, et ne paraissait pas le moins du monde prendre part à ce qui se passait autour d’elle.

Jamais, même en rêve, rien d’aussi parfait ne s’était présenté à mes yeux ; une peau d’une blancheur éblouissante, des cheveux d’un blond cendré, de longs cils et des prunelles bleues, si claires et si transparentes, que je voyais son âme à travers aussi distinctement qu’un caillou au fond d’un ruisseau.

Et je sentis que, si jamais il m’arrivait d’aimer quelqu’un, ce serait elle. Je me précipitai hors du lit, d’où jusque-là je n’avais pu bouger, et je me dirigeai vers elle, conduit par quelque chose qui agissait en moi sans que je pusse m’en rendre compte ; et je me trouvai à ses genoux, une de ses mains dans les miennes, causant avec elle comme si je l’eusse connue depuis vingt ans.

Mais, par un prodige bien étrange, tout en lui parlant, je marquais d’une oscillation de tête la musique qui n’avait pas cessé de jouer ; et, quoique je fusse au comble du bonheur d’entretenir une aussi belle personne, les pieds me brûlaient de danser avec elle.

Cependant je n’osais lui en faire la proposition. Il paraît qu’elle comprit ce que je voulais, car, levant vers le cadran de l’horloge la main que je ne tenais pas :

— Quand l’aiguille sera là, nous verrons, mon cher Théodore.

Je ne sais comment cela se fit, je ne fus nullement surpris de m’entendre ainsi appeler par mon nom, et nous continuâmes à causer. Enfin, l’heure indiquée sonna, la voix au timbre d’argent vibra encore dans la chambre et dit :

— Angéla, vous pouvez danser avec monsieur, si cela vous fait plaisir, mais vous savez ce qui en résultera.

— N’importe, répondit Angéla d’un ton boudeur.

Et elle passa son bras d’ivoire autour de mon cou.

— Prestissimo ! cria la voix.

Et nous commençâmes à valser. Le sein de la jeune fille touchait ma poitrine, sa joue veloutée effleurait la mienne, et son haleine suave flottait sur ma bouche.

Jamais de la vie je n’avais éprouvé une pareille émotion ; mes nerfs tressaillaient comme des ressorts d’acier, mon sang coulait dans mes artères en torrent de lave, et j’entendais battre mon cœur comme une montre accrochée à mes oreilles.

Pourtant cet état n’avait rien de pénible. J’étais inondé d’une joie ineffable et j’aurais toujours voulu demeurer ainsi, et, chose remarquable, quoique l’orchestre eût triplé de vitesse, nous n’avions besoin de faire aucun effort pour le suivre.

Les assistants, émerveillés de notre agilité, criaient bravo, et frappaient de toutes leurs forces dans leurs mains, qui ne rendaient aucun son.

Angéla, qui jusqu’alors avait valsé avec une énergie et une justesse surprenantes, parut tout à coup se fatiguer ; elle pesait sur mon épaule comme si les jambes lui eussent manqué ; ses petits pieds, qui, une minute auparavant, effleuraient le plancher, ne s’en détachaient que lentement, comme s’ils eussent été chargés d’une masse de plomb.

— Angéla, vous êtes lasse, lui dis-je, reposons-nous.

— Je le veux bien, répondit-elle en s’essuyant le front avec son mouchoir. Mais, pendant que nous valsions, ils se sont tous assis ; il n’y a plus qu’un fauteuil, et nous sommes deux.

— Qu’est-ce que cela fait, mon bel ange ? Je vous prendrai sur mes genoux.

.

III
.

Sans faire la moindre objection, Angéla s’assit, m’entourant de ses bras comme d’une écharpe blanche, cachant sa tête dans mon sein pour se réchauffer un peu, car elle était devenue froide comme un marbre.

Je ne sais pas combien de temps nous restâmes dans cette position, car tous mes sens étaient absorbés dans la contemplation de cette mystérieuse et fantastique créature.

Je n’avais plus aucune idée de l’heure ni du lieu ; le monde réel n’existait plus pour moi, et tous les liens qui m’y attachent étaient rompus ; mon âme, dégagée de sa prison de boue, nageait dans le vague et l’infini ; je comprenais ce que nul homme ne peut comprendre, les pensées d’Angéla se révélant à moi sans qu’elle eût besoin de parler ; car son âme brillait dans son corps comme une lampe d’albâtre, et les rayons partis de sa poitrine perçaient la mienne de part en part.

L’alouette chanta, une lueur pâle se joua sur les rideaux.

Aussitôt qu’Angéla l’aperçut, elle se leva précipitamment, me fit un geste d’adieu, et, après quelques pas, poussa un cri et tomba de sa hauteur.

Saisi d’effroi, je m’élançai pour la relever… Mon sang se fige rien que d’y penser : je ne trouvai rien que la cafetière brisée en mille morceaux.

À cette vue, persuadé que j’avais été le jouet de quelque illusion diabolique, une telle frayeur s’empara de moi, que je m’évanouis.

.

IV
.

Lorsque je repris connaissance, j’étais dans mon lit ; Arrigo Cohic et Pedrino Borgnioli se tenaient debout à mon chevet.

Aussitôt que j’eus ouvert les yeux, Arrigo s’écria :

— Ah ! ce n’est pas dommage ! voilà bientôt une heure que je te frotte les tempes d’eau de Cologne. Que diable as-tu fait cette nuit ? Ce matin, voyant que tu ne descendais pas, je suis entré dans ta chambre, et je t’ai trouvé tout du long étendu par terre, en habit à la française, serrant dans tes bras un morceau de porcelaine brisée, comme si c’eût été une jeune et jolie fille.

— Pardieu ! c’est l’habit de noce de mon grand-père, dit l’autre en soulevant une des basques de soie fond rose à ramages verts. Voilà les boutons de strass et de filigrane qu’il nous vantait tant. Théodore l’aura trouvé dans quelque coin et l’aura mis pour s’amuser. Mais à propos de quoi t’es-tu trouvé mal ? ajouta Borgnioli. Cela est bon pour une petite-maîtresse qui a des épaules blanches ; on la délace, on lui ôte ses colliers, son écharpe, et c’est une belle occasion de faire des minauderies.

— Ce n’est qu’une faiblesse qui m’a pris ; je suis sujet à cela, répondis-je sèchement.

Je me levai, je me dépouillai de mon ridicule accoutrement.

Et puis l’on déjeuna.

Mes trois camarades mangèrent beaucoup et burent encore plus ; moi, je ne mangeais presque pas, le souvenir de ce qui s’était passé me causait d’étranges distractions.

Le déjeuner fini, comme il pleuvait à verse, il n’y eut pas moyen de sortir ; chacun s’occupa comme il put. Borgnioli tambourina des marches guerrières sur les vitres ; Arrigo et l’hôte firent une partie de dames ; moi, je tirai de mon album un carré de vélin, et je me mis à dessiner.

Les linéaments presque imperceptibles tracés par mon crayon, sans que j’y eusse songé le moins du monde, se trouvèrent représenter avec la plus merveilleuse exactitude la cafetière qui avait joué un rôle si important dans les scènes de la nuit.

— C’est étonnant comme cette tête ressemble à ma sœur Angéla, dit l’hôte, qui, ayant terminé sa partie, me regardait travailler par-dessus mon épaule.

En effet, ce qui m’avait semblé tout à l’heure une cafetière était bien réellement le profil doux et mélancolique d’Angéla.

— De par tous les saints du paradis ! est-elle morte ou vivante ? m’écriai-je d’un ton de voix tremblant, comme si ma vie eût dépendu de sa réponse.

— Elle est morte, il y a deux ans, d’une fluxion de poitrine à la suite d’un bal.

— Hélas ! répondis-je douloureusement.

Et, retenant une larme qui était près de tomber, je replaçai le papier dans l’album.

Je venais de comprendre qu’il n’y avait plus pour moi de bonheur sur la terre !

.

Contes humoristiques, G. Charpentier,  (pp. 249-261)

Que raconte la nouvelle La cafetière ?
Vincent Van Gogh, Nature morte à la cafetière, 1888

Une nouvelle fantastique

Le récit fantastique met en scène un personnage évoluant dans un univers réela priori, rien ne différencie son environnement de celui de son lecteur. Seulement, sa vie est tout à coup chamboulée par un (ou plusieurs) événement(s) qui semble(nt) avoir un caractère surnaturel. Mais rien n'est moins sûr...

Car, en effet, la question centrale du récit fantastique, c'est : ce qui arrive est-il naturel ou surnaturel ? Aussi le personnage est-il plongé dans un doute qu'il lui est parfois difficile d'éradiquer. Il y a alors deux réponses possibles : celle de la réalité ou celle du surnaturel.

La fin d'un récit fantastique est en conséquence (dans la plupart des cas) une fin ouverte. On parle de « non-fin ». Le phénomène étrange survenu en début d'histoire n'est pas résolu et ne peut pas l'être. Le lecteur est donc laissé à son doute : il est libre d'interpréter comme il le souhaite...

La nouvelle de Théophile Gautier répond à cette définition.

Elle convoque un cadre spatio-temporel ambigu. Il y a certes des données réelles :

  • l'histoire se passe en Normandie, un endroit identifiable dans la réalité du lecteur
  • le récit commence par une description tout à fait normale d'une randonnée entre amis

Mais dès que le narrateur se repose dans sa chambre, l'étrangeté prend le dessus :

  • le récit prend place dans la nuit (« après le coucher du soleil »)
  • les tableaux montrent des gens d'un temps ancien
  • le narrateur est dans un état d'esprit propice au délire : il est fatigué (« harassés »), fiévreux (« frisson de fièvre »), surpris (« à mon grand étonnement ») et effrayé (« trembler », « frayeurs », « sueur froide », ...)
Qu'est-ce qui caractérise le genre fantastique ?
Johann Heinrich Füssli, Le cauchemar, 1781

Surtout, ce qui finit de caractériser le fantastique, c'est l'hésitation entretenue entre ce réel et cette étrangeté : le narrateur lui-même ne saurait dire si ce qu'il a vécu a véritablement existé, ou ne s'est passé que dans sa tête.

C'est le délire qu'il choisit d'abord, surpris par la vue de la cafetière en mille morceaux :

À cette vue, persuadé que j’avais été le jouet de quelque illusion diabolique, une telle frayeur s’empara de moi, que je m’évanouis.

Mais c'est le sentiment d'étrangeté qui le prend ensuite, lorsqu'il découvre qu'Angéla est la sœur de son hôte, et qu'elle est réellement morte à la suite d'un bal :

— Elle est morte, il y a deux ans, d’une fluxion de poitrine à la suite d’un bal.

— Hélas ! répondis-je douloureusement.

Le lecteur, de même, ne sait que penser : Théodore a-t-il, oui ou non, dansé avec Angéla ?

L'amour

Dans la nouvelle de Théophile Gautier, l'amour tient un rôle central.

En effet, ce qui fait bouger le narrateur de sa chaise, c'est la vue d'une femme magnifique ; en somme, il vit un véritable coup de foudre.

Tout le passage contenu dans le chapitre II relève de ce topos (= situation ou thème récurrent, notamment en littérature) :

  • elle est d'une beauté idéale : « Jamais, même en rêve, rien d’aussi parfait ne s’était présenté à mes yeux »
  • elle est l'élue de son cœur : « Et je sentis que, si jamais il m’arrivait d’aimer quelqu’un, ce serait elle. »
  • il est comme envouté par cette apparition : « et je me dirigeai vers elle, conduit par quelque chose qui agissait en moi sans que je pusse m’en rendre compte »
  • il se soumet à son désir : « et je me trouvai à ses genoux, une de ses mains dans les miennes »
  • elle ressemble à son âme sœur, liée à lui par une relation presque métaphysique : « causant avec elle comme si je l’eusse connue depuis vingt ans »

Le narrateur est tellement bouleversé par cette « rencontre » qu'il perd toute joie lorsqu'il apprend qu'Angéla est véritablement morte deux ans plus tôt :

Je venais de comprendre qu’il n’y avait plus pour moi de bonheur sur la terre !

C'est dire que l'amour est la seule source de bonheur sur terre : il s'agirait de trouver pour soi cette femme aimée correspondant à la description que Théodore en a donné.

Que peut la poésie ?
Jean Charles Augustin Bernard, La Muse Erato ou La Poésie érotique à qui l'Amour présente le portrait de Sapho, 1785

La vie et la mort

Le lien entre la vie et la mort est un thème cher au récit fantastique. On pourrait par exemple citer la très courte nouvelle d'Edgard Alan Poe, maître du genre, qui s'intitule Le portrait ovale.

Dans l'histoire écrite par Théophile Gautier, c'est Angéla qui, à la faveur du « sacrifice » de la cafetière, revient à la vie.

Les tableaux qui représentent les personnages donnent au narrateur l'occasion de fantasmer la scène, à partir de visages réels - ou bien (conformément à l'alternative offerte par le fantastique), ces tableaux contiennent pour de vrai les personnes mortes qu'ils représentent, et qui reprennent vie pour danser la musique de l'orchestre.

C'est le deuxième point à souligner : l'art est vecteur du fantasme, puisque c'est la musique qui redonne une vitalité à tous ces morts, sortis de leurs cadres pour tenter de suivre la mélodie effrénée.

Pourtant, les seuls qui finalement y parviennent sont Théodore et Angéla (dont le prénom fait singulièrement penser à « ange »), comme si seul l'amour donnait la possibilité d'être en phase avec la puissance vitale de l'art. Comme si, en somme, amour, vie et art ne faisait qu'un...

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Agathe

Professeur de langues dans le secondaire, je partage avec vous mes cours de linguistique !