Véra est une nouvelle fantastique écrite par l'écrivain français Auguste de Villiers de L'Isle-Adam, parue en 1874. La nouvelle sera reprise pour la publication du recueil Contes cruels en 1883.

Son analyse est intéressante dans le cadre d'une séquence sur la nouvelle fantastique car elle représente formidablement bien les enjeux littéraires et conceptuels du genre.

Rappelons que le genre fantastique se définit par l'incertitude entretenue entre réalité et irréalité : l'atmosphère qui en découle est donc celle de l'étrangeté et le malaise du lecteur.

Nous analyserons donc cette nouvelle sur la base de cette définition.

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C'est parti

Présentation succincte de l'auteur

Auguste de Villiers de L'Isle-Adam, dit le « comte », puis (à partir de 1846) le marquis de Villiers de L'Isle-Adam, est un écrivain français né à Saint-Brieuc en 1838.

Le jeune homme fait ses études en Bretagne avant de rejoindre Paris. Il y fréquente alors les artistes de l'époque et notamment les poètes du Parnasse, par lesquels il fait la connaissance de Charles Baudelaire. C'est ce dernier qui lui offre de découvrir les contes fantastiques de l'écrivain américain Edgar Allan Poe, dont il s'inspirera pour son œuvre.

Auguste deviendra un proche de Stéphane Mallarmé, comme il penche vers le mysticisme et le symbolisme. En littérature, il se concentre d'abord sur ses poèmes, avant d'élire le théâtre comme genre de prédilection. Mais c'est avec ses Contes cruels (1883), des nouvelles fantastiques, qu'il connait un tardif succès (et même plutôt posthume).

Il meurt à Paris le 18 août 1889, dans une relative indifférence.

Qui est l'auteur de la nouvelle fantastique Véra ?
Portrait d'Auguste Villiers de L’Isle-Adam

Résumé de la nouvelle

Le comte d'Athol est dévasté par la mort subite, dans la nuit, de sa femme Véra. 

Après avoir passé sa journée dans le caveau où l'on a mis son corps, il y jette, au moment de sortir, la clef, prenant la décision de ne plus jamais y revenir.

Dans la chambre conjugale, où il se retrouve seul, il observe chacun des objets, qui font encore sentir la présence de sa femme. Il se remémore alors leur rencontre et leurs six mois de bonheur total. Au fil de ses souvenirs, le comte oublie volontiers la mort récente et finit par appeler Raymond, leur domestique : il lui intime de renvoyer tous les autres serviteurs, et annonce qu'ils vivront tous les trois (Véra, Raymond et lui), reclus du monde.

D'abord inquiet, le domestique se laisse prendre au jeu si confondant de son maître. Les semaines passent et Véra semble simplement jouer à cache-cache : elle est là, mais on ne la voit jamais. Une année entière s'écoule ainsi.

Le soir de l'anniversaire de la mort de la comtesse, alors qu'Athol vient de finir une lecture pour sa femme, les bijoux qu'il regarde sont encore chauds d'avoir été portés. Le comte l'a tant aimée, l'a tant désirée, comme si elle était là, qu'elle a fini par vaincre la mort, sortie du tombeau grâce à la clef laissée là-bas !

Il la trouve sur son lit et va l'embrasser : le couple s'enlace des heures, oublieux, amoureux, vivants ! Mais, soudain, le comte est frappé par son souvenir :

— Ah ! maintenant, je me rappelle !… dit-il. Qu’ai-je donc ? — Mais tu es morte !

C'est fini : Véra a disparu, elle n'existe plus. Le comte se lamente et appelle le Ciel pour savoir comment la retrouver. Alors un rayon du soleil matinal traverse la fenêtre et éclaire un objet tombé par terre : c'est la clé du caveau...

Focalisation

La focalisation du récit est une focalisation zéro.

Le récit est pris en charge par un narrateur extérieur, mais il nous présente les scènes à travers les points de vue du domestique Raymond et du comte d'Athol.

L'omniscience du narrateur est donc, finalement, le résultat de l'addition de plusieurs focalisations internes. 

Les effets de réel

Après la première phrase introductrice, qui est composée d'un extrait de la Bible et d'un commentaire propre à l'instance narrative (« L’amour est plus fort que la Mort, a dit Salomon : oui, son mystérieux pouvoir est illimité. »), le premier paragraphe de la nouvelle vise à créer un premier « effet de réel » :

C’était à la tombée d’un soir d’automne, en ces dernières années, à Paris. Vers le sombre faubourg Saint-Germain, des voitures, allumées déjà, roulaient, attardées, après l’heure du Bois. L’une d’elles s’arrêta devant le portail d’un vaste hôtel seigneurial, entouré de jardins séculaires ; le cintre était surmonté de l’écusson de pierre, aux armes de l’antique famille des comtes d’Athol, savoir : d’azur, à l’étoile abîmée d’argent, avec la devise « Pallida Victrix », sous la couronne retroussée d’hermine au bonnet princier. Les lourds battants s’écartèrent. Un homme de trente à trente-cinq ans, en deuil, au visage mortellement pâle, descendit. Sur le perron, de taciturnes serviteurs élevaient des flambeaux. Sans les voir, il gravit les marches et entra. C’était le comte d’Athol.

Il y a deux procédés qui contribuent à cet « effet de réel » :

  • la situation temporelle, qui inscrit le récit dans un temps « proche » de celui du lecteur : « en ces dernières années »
  • la situation spatiale, puisque, outre que la scène se déroule à Paris, au faubourg Saint-Germain, la narration s'attarde sur des détails urbains qui veulent convaincre le lecteur de la réalité à venir
Où se déroule Le Père Goriot de Balzac ?
Une vue de Paris au XIXème siècle

De fait, cela prépare le malaise qui découlera des événements étranges : la représentation d'un univers connu du lecteur conduit ce dernier à s'identifier, à croire à l'histoire, en son début autant qu'en sa fin.

Il y a d'autres effets de réel qui veulent contribuer à la même impression, comme l'attention aux détails des différentes descriptions conduites par la narration :

La croisée, sous les vastes draperies de cachemire mauve broché d’or, était ouverte : un dernier rayon du soir illuminait, dans un cadre de bois ancien, le grand portrait de la trépassée. Le comte regarda, autour de lui, la robe jetée, la veille, sur un fauteuil ; sur la cheminée, les bijoux, le collier de perles, l’éventail à demi fermé, les lourds flacons de parfums qu’Elle ne respirerait plus. Sur le lit d’ébène aux colonnes tordues, resté défait, auprès de l’oreiller où la place de la tête adorée et divine était visible encore au milieu des dentelles, il aperçut le mouchoir rougi de gouttes de sang où sa jeune âme avait battu de l’aile un instant ; le piano ouvert, supportant une mélodie inachevée à jamais ; les fleurs indiennes cueillies par elle, dans la serre, et qui se mouraient dans de vieux vases de Saxe ; et, au pied du lit, sur une fourrure noire, les petites mules de velours oriental, sur lesquelles une devise rieuse de Véra brillait, brodée en perles : Qui verra Véra l’aimera.

Ou encore, la présence du domestique Raymond, qui est semble-t-il davantage rationnel que son maître, car moins touché émotionnellement, et qui pourrait faire office d'alter ego du lecteur. En effet, Raymond accepte de croire au mirage de son maître, exactement comme le lecteur y consent dans un premier temps :

La gêne des premiers jours s’effaça vite. Raymond, d’abord avec stupeur, puis par une sorte de déférence et de tendresse, s’était ingénié si bien à être naturel, que trois semaines ne s’étaient pas écoulées qu’il se sentit, par moments, presque dupe lui-même de sa bonne volonté. L’arrière-pensée pâlissait ! Parfois, éprouvant une sorte de vertige, il eut besoin de se dire que la comtesse était positivement défunte. Il se prenait à ce jeu funèbre et oubliait à chaque instant la réalité. Bientôt il lui fallut plus d’une réflexion pour se convaincre et se ressaisir. Il vit bien qu’il finirait par s’abandonner tout entier au magnétisme effrayant dont le comte pénétrait peu à peu l’atmosphère autour d’eux. Il avait peur, une peur indécise, douce.

Même s'il sait que le comte délire, il finit par lui-même ne plus savoir ce qui est vrai ou ce qui est faux, ce qui renvoie exactement à la position du lecteur à la fin de la nouvelle. 

Quelle est la définition du fantastique ?
Moritz von Schwind, Apparition dans la forêt, vers 1858, huile sur toile, 42 x 63 cm (collection Schack, Munich)

La nature du fantastique

Détails des phénomènes

Il y a plusieurs phénomènes qui peuvent être considérés comme étranges. relevons-les dans leur ordre d'apparition :

Le comte croit voir Véra :

— C’est Véra, pensa-t-il.

À ce nom, prononcé tout bas, il tressaillit en homme qui s’éveille ; puis, se dressant, regarda autour de lui.

Raymond doute de la mort de Véra :

L’arrière-pensée pâlissait ! Parfois, éprouvant une sorte de vertige, il eut besoin de se dire que la comtesse était positivement défunte.

L'ensemble de la description des bijoux qui semblent avoir été portés à l'instant :

Les perles étaient encore tièdes et leur orient plus adouci, comme par la chaleur de sa chair. Et l’opale de ce collier sibérien [...] !… Ce soir l’opale brillait comme si elle venait d’être quittée et comme si le magnétisme exquis de la belle morte la pénétrait encore. En reposant le collier et la pierre précieuse, le comte toucha par hasard le mouchoir de batiste dont les gouttes de sang étaient humides et rouges comme des œillets sur de la neige !… Là, sur le piano, qui donc avait tourné la page finale de la mélodie d’autrefois ? Quoi ! la veilleuse sacrée s’était rallumée, dans le reliquaire ! Oui, sa flamme dorée éclairait mystiquement le visage, aux yeux fermés, de la Madone ! Et ces fleurs orientales, nouvellement cueillies, qui s’épanouissaient là, dans les vieux vases de Saxe, quelle main venait de les y placer ?

L'apparition de Véra :

Et là, devant ses yeux, faite de volonté et de souvenir, accoudée, fluide, sur l’oreiller de dentelles, sa main soutenant ses lourds cheveux noirs, sa bouche délicieusement entr’ouverte en un sourire tout emparadisé de voluptés, belle à en mourir, enfin ! la comtesse Véra le regardait un peu endormie encore.

Le baiser de Véra au comte :

Il vint auprès d’elle. Leurs lèvres s’unirent dans une joie divine, — oublieuse, — immortelle !

Et, enfin, la présence de la clef, dans la chambre, alors qu'elle avait été laissée dans le tombeau :

Soudain, comme une réponse, un objet brillant tomba du lit nuptial, sur la noire fourrure, avec un bruit métallique : un rayon de l’affreux jour terrestre l’éclaira !… L’abandonné se baissa, le saisit, et un sourire sublime illumina son visage en reconnaissant cet objet : c’était la clef du tombeau.

Un fantastique merveilleux

Tous ces phénomènes, autant qu'ils sont, peuvent être expliqués d'une manière rationnelle : le comte est rendu fou par la mort de sa femme, qu'il n'accepte pas. 

Comment définir le fantastique de la nouvelle Véra ?
Femme-cheval paranoïaque, Salvatore Dali, 1930 (www.wahooart.com)

Le fait que Raymond, le domestique, se prenne au jeu peut également s'expliquer ainsi : il est respectueux et fasciné par le comte, raison pour laquelle il se laisse facilement berner.

Ces événements pourraient également être expliqués par la croyance en l'existence d'une morte, par la souscription au surnaturel. Mais la narration nous apprend que, précisément, le comte et la comtesse étaient des gens rationnels :

Par contre, certaines idées, celles de l’âme, par exemple, de l’Infini, de Dieu même, étaient comme voilées à leur entendement. La foi d’un grand nombre de vivants aux choses surnaturelles n’était pour eux qu’un sujet de vagues étonnements : lettre close dont ils ne se préoccupaient pas, n’ayant pas qualité pour condamner ou justifier.

Il n'y a donc que la folie du comte qui puisse expliquer pourquoi il ressent la présence vivante de sa femme pourtant morte. Du reste, cette idée de folie est suggérée par le texte lui-même,  en plusieurs endroits. Par exemple :

D’Athol vivait double, en illuminé. Un visage doux et pâle, entrevu comme l’éclair, entre deux clins d’yeux ; un faible accord frappé au piano, tout à coup ; un baiser qui lui fermait la bouche au moment où il allait parler, des affinités de pensées féminines qui s’éveillaient en lui en réponse à ce qu’il disait, un dédoublement de lui-même tel, qu’il sentait, comme en un brouillard fluide, le parfum vertigineusement doux de sa bien-aimée auprès de lui, et, la nuit, entre la veille et le sommeil, des paroles entendues très bas : tout l’avertissait. C’était une négation de la Mort élevée, enfin, à une puissance inconnue !

Pour autant, il est un événement qui ne peut pas être expliqué par la folie suggérée (et éprouvée) du comte : la présence de la clé au sol, qui clôt la nouvelle :

— Oh ! murmura-t-il, c’est donc fini ! — Perdue !… Toute seule ! — Quelle est la route, maintenant, pour parvenir jusqu’à toi ? Indique-moi le chemin qui peut me conduire vers toi !…

Soudain, comme une réponse, un objet brillant tomba du lit nuptial, sur la noire fourrure, avec un bruit métallique : un rayon de l’affreux jour terrestre l’éclaira !… L’abandonné se baissa, le saisit, et un sourire sublime illumina son visage en reconnaissant cet objet : c’était la clef du tombeau.

La seule explication possible, si l'on doit croire que le comte a réellement laissé la clé dans le caveau au début de la nouvelle, c'est que Véra a bel et bien ressuscité, au moins pour un instant.

C'est là la définition même du fantastique merveilleux : le lecteur ne peut pas se décider pour une explication parfaitement rationnelle.

Car, si la clé est bien là, c'est que quelqu'un l'a apportée et la nouvelle nous a fait suivre les agissements du comte, qui est resté reclu chez lui. Mais une manière rationnelle pour le lecteur de répondre à cette apparente impossibilité, c'est d'envisager que la narration a omis des choses : dès lors, il n'y a plus d'irréalité, et la solution est tout à fait réelle...

Le genre fantastique, en somme, laisse irrésolue la question finale, qui peut avoir une explication réaliste ou irréaliste.

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Nathan

Ancien étudiant de classe préparatoire b/l (que je recommande à tous les élèves avides de savoir, qui nous lisent ici) et passionné par la littérature, me voilà maintenant auto-entrepreneur pour mêler des activités professionnelles concrètes au sein du monde de l'entreprise, et étudiant en Master de Littératures Comparées pour garder les pieds dans le rêve des mots.