Quelle est la situation du pays en ce début de VIIe siècle ?
L'âge d’or de la paix romaine n’est plus qu’un souvenir. Venues de l’est au début du Ve siècle, des populations barbares ont franchi le Rhin. Non pas sur la forme d’une éruption brutale, en masse, mais par infiltrations successives. Progressivement, ces Germains ont envahi tout le territoire et précipité la fin de la civilisation gallo-romaine. Parmi les envahisseurs, les Francs. Issu de ce peuple, un homme d’exception s’est rapidement distingué. Païen, il s’est converti au catholicisme ; petit chef Franc, il s’est fait élire roi. C’est Clovis, fondateur de la dynastie mérovingienne (du nom de son ancêtre plus ou moins légendaire Mérovée). On peut considérer Clovis comme le premier roi de l’Histoire de France. Dernier roi de cette lignée, Dagobert (603-639) est certainement le plus remarquable. Deux siècles seulement séparent l’avènement et la fin de la première dynastie royale en Gaule. Avec ses luttes civiles, ses heures de gloire et son déclin. Depuis Clovis, une lente fusion s’est opérée entre les populations gallo-romaines et franques, fusion qui a donné un nouveau visage à la Gaule. Mais les souverains qui se succèdent n’ont pas les qualités pour s’élever à la notion d’Etat et de bien public. La loi germanique de partage du royaume entre héritiers a fortement contribué à le morceler. Les rivalités des princes, déchirés par des luttes fratricides sanglantes pour l’accession au trône, ont considérablement miné l’autorité monarchique. A la veille de l’avènement du roi Dagobert, la Gaule est affaiblie, la démographie en régression, l’agriculture en sommeil, le trésor royal dilapidé. Dagobert va redresser la situation. Ce grand roi, administrateur né, va non seulement donner un coup de frein à la décadence mérovingienne mais susciter un véritable regain économique et culturel. A la suite de hasards dynastiques, le roi a réuni sous sa seule autorité une grande partie de la Gaule et de la Germanie. Du Danube à l’Atlantique, à l’exception de l’Armorique et de la Septimanie (Bas Languedoc), il est maître d’un vaste territoire qui comprend quatre entités : l’Austrasie à l’est, la Neustrie et l’Aquitaine à l’ouest, la Bourgogne au centre et jusqu’à la Méditerranée. Unifiée, la Gaule n’en a pas moins des particularismes régionaux très affirmés. Dans le domaine linguistique notamment. De part et d’autre d’une ligne de partage qui serait la Loire, deux espaces géographiques s’opposent. Au nord, les parlers germaniques l’ont finalement emporté. Au sud, les parlers romans, héritiers du latin, ont survécu. Entre les mondes méditerranéens et les mondes germaniques, la Gaule au temps de Dagobert trouve un nouveau souffle et une paix relative. L’Eglise est le ciment de cet Etat, constitué d’une grande diversité de populations. Entre paganisme, arianisme et foi catholique, le christianisme a triomphé. Doté par le roi et les grands du royaume qui, en lui accordant domaines et abbayes lui apportent la fortune, le clergé poursuit sa mission pastorale et évangélisatrice. La Gaule vit dans la ferveur religieuse. Tous les actes quotidiens sont empreints de religiosité. Mais certains restes de rites païens qui pourraient contaminer les pratiques chrétiennes sont fermement combattus. Eloi, évêque de Noyon, met en garde ses ouailles : « Que nul chrétien ne croit au bûcher superstitieux... Que nul n’ose faire des cérémonies lustrales, ni enchanter les plantes, ni faire passer les bêtes par des arbres percés de part en part. » Cependant, la tradition germanique a la vie dure dans les masses rurales. Pour échapper aux maux physiques et moraux qui les accablent, hommes et femmes portent des amulettes et des talismans d’origine animale ou végétale : défenses de sanglier, canines d’ours, coquillages, morceaux de résines et d’ambre. Evêques et abbés ne refusent pas de protéger et d’entretenir les paysans ou les citadins qui s’adressent à eux. Mais l’Eglise encourage vivement les fidèles à vénérer les reliques et les tombeaux des saints pour s’assurer leur protection et y trouver le salut de leur âme. Qui mieux que les saints pouvaient être les intercesseurs efficaces entre Ciel et Terre ? Ainsi, les pèlerinages se multiplient au VIIe siècle. De nombreux pèlerins n’hésitent pas à faire le voyage jusqu’à Rome, ce qui contribue à resserrer les liens entre la Gaule et la papauté. A l’intérieur ou hors les murs des villes, églises et basiliques s’élèvent en toutes régions. Parlant de Lyon, l’évêque Avit remarque : « Cette ville est plus efficacement défendue par ses basiliques que par ses remparts ». Paris compte dix églises sur sa rive droite et quatre sur sa rive gauche. En plus de sa mission spirituelle, le haut clergé exerce un rôle temporel. L’abbaye ou le monastère est un véritable centre d’exploitation agricole qu’il faut gérer et enrichir. Aux moines qui instruisent les clercs on doit également le défrichement de nombreuses régions. Saint-Denis ou Fleury-en-Loire deviennent des pôles importants de développement économique. Les évêques doivent remplir également une fonction administrative. Ce sont des fonctionnaires, des agents du pouvoir royal au même titre que les comtes. Qu’il soit laïc ou ecclésiastique, le personnel dirigeant du royaume sort généralement de l’aristocratie. Indistinctement le roi emploie l’aristocratie sénatoriale d’origine gallo-romaine, ou l’aristocratie franque composée des amis du prince qui se sont distingués jadis au combat et qui ont reçu des terres au moment du partage selon la tradition germanique. Le roi attire à la cour les fils de bonne famille de tous les coins du royaume. Sans règle précise de recrutement, les jeunes aristocrates viennent au palais (d'où leur nom de palatin), où l’on s’occupe de leur éducation en même temps que de celle des princes pour qui ils seront des compagnons (leudes) et plus tard des serviteurs dévoués aux futurs rois. Mais la cour a une réputation de débauche. Eloignées de leurs enfants, les mères s’inquiètent et écrivent de pieux conseils à leur progéniture : « Choisis avec soin tes compagnons, aime et crains Dieu, garde avant tout la chasteté. » A la cour, école de cadres, ils apprennent à être fonctionnaire ou soldat. Ceux qui sont distingués par le souverain pourront diriger la chancellerie et le trésor royal (chambellan), les écuries (connétable) ou l’ensemble de tous les services (maire du palais). Chargé de coordonner les activités des services domestiques et civils de la cour, le maire du palais va devenir un véritable premier ministre, et son pouvoir grandissant ira jusqu’à se substituer à l’autorité du roi. Pour se faire respecter et lever les armées, le roi doit avoir un trésor important. Dans la « chambre » du trésor, l’or s’entasse sous tous ses aspects : monnaies, bijoux, vaisselles, lingots. Le souverain est fier de montrer à un invité de marque ses richesses, cadeaux de l’empereur de Byzance ou biens confisqués aux vaincus. Le produit des amendes, les levées d'impôts directs ou indirects sont un apport non négligeable au trésor royal. Le roi n’a pas de capitale fixe. Avec son entourage il se déplace de domaine en domaine, quittant l’un pour l’autre quand les ressources sont épuisées. Mais ce nomadisme permet au roi d’inspecter son royaume, de recevoir les doléances de ses sujets qui en appellent au tribunal royal, de surveiller les comtes qu’il a nommés dans les provinces et qu’il peut révoquer en cas d’abus. Dans son fief, le comte détient tous les pouvoirs : administratifs, financiers (levée des impôts), judiciaires et militaires (levée des armées). Tout homme libre est un soldat en puissance qui doit être prêt à prendre les armes au service des grands. Juge équitable ou tyran, le comte a une autorité absolue sur la population rurale ou urbaine. Rare est celui qui n’en abuse pas, oubliant que son devoir, édicté par son suzerain, est d’être « particulièrement le défenseur de la veuve et de l’orphelin » avant de « châtier les larrons et malfaiteurs impitoyablement ». La pitié n’est pas la qualité première des Francs. Au sein de la famille, le père était également un maître absolu ayant droit de vie et de mort sur ses enfants et pratiquant la vengeance privée (faida). Pour la faute d’un membre de la famille ou d’un voisin, on exigeait le « prix du sang ». Afin de diminuer les excès, une nouvelle législation royale établit des amendes (wergeld) en manière de dédommagement. Proportionnel à la gravité du délit ou à l’échelon social de la victime, le wergeld est minutieusement tarifé : « Quiconque aura blessé quelqu’un de sorte que le sang coule, devra payer 15 sous d’or. S’il est sorti trois esquilles, 30 sous d’or. Si le cerveau a été mis à découvert, 45 sous d’or. » Tuer un noble franc coûte 600 sous d’or, un aristocrate gallo-romain, 300 seulement.
Le monde rural n’a guère évolué au temps de Dagobert. La Gaule ne compte pas plus de cinq à six millions d’habitants. Les guerres liées aux invasions des siècles précédents mais aussi les famines, la tuberculose, les épidémies de peste et la mortalité infantile expliquent cette régression démographique. Dans les campagnes, les sols s’épuisent à donner de maigres récoltes. L’arrivée des Barbares n’a pas modifié les méthodes d’exploitation agricole. L’araire reste l’outil médiocre du paysan. Il n’est pas rare de voir une femme attelée, faute d’un animal de trait. Une classe de petits propriétaires cultive directement ses terres. A côté de ces petites exploitations familiales ou manses (du latin manéo, demeure), les aristocrates mettent en valeur d’immenses propriétés, villae,  qu’ils ont occupées par la force ou reçues de la générosité des rois. La main-d’œuvre étant rare, ces grands propriétaires terriens font non seulement appel aux serfs mais aussi à des contingents d’esclaves. Ce sont des débiteurs insolvables ou des prisonniers que l’on a ramené d’expéditions militaires  « attachés deux à deux comme on le faisait pour les chiens ». Les grands domaines sont organisés sur le même modèle. Le seigneur des lieux, dominus, vit dans sa maison fortifiée, parfois richement décorée de mosaïques, entourée de thermes, d’une chapelle privée et prolongée par une cour fermée (pouvant atteindre 600 m2) où prennent place les bâtiments agricoles et les ateliers. Entre les villae, la forêt, qui a progressé au détriment des terres cultivées, couvre de très vastes étendues. Ces forêts peuvent former de véritables frontières naturelles entre les différentes parties du royaume. Refuge des hors-la-loi ou des ermites, elles ne sont pas laissées à l’abandon. Grands chasseurs, les rois y ont aménagé des réserves. Eux seuls et l’entourage princier ont le droit de chasser les bêtes fauves : ours, sangliers, aurochs. Pour les paysans, la forêt est une source essentielle à l’alimentation (viande, baies, miel) et un lieu de pacage pour les troupeaux. Pour les citadins, le bois sert à alimenter les fours des « industries » du verre, de la poterie ou du métal. La vie économique reprend un certain élan. On commerce avec la monnaie sortie des ateliers royaux de monnayage et à l’effigie du souverain : sou, tiers de sou ou trientes. Hommes et marchandises circulent mieux sur le réseau ancien des routes gallo-romaines qui a été amélioré. Les syri, marchands syriens et juifs de langue grecque, sont les intermédiaires actifs du grand commerce. Narbonne, Marseille, Bordeaux restent en liaison avec le Levant d’où provient du poivre, des soieries, des épices, des esclaves, des pièces d’or de Byzance. Des bateaux chargés de blé en vrac, de céramiques, de marbre pyrénéen voyagent jusqu’aux ports d’Espagne ou de Constantinople. Tout au long des routes marchandes, les villes repliées sur elles-mêmes à l’abri de leurs remparts au temps des invasions, s’ouvrent à nouveau vers l’extérieur. A la croisée des chemins et des trafics, des bourgs (vici) se sont partout implantés. Des marchés assurent la circulation des produits agricoles, des foires animent et relancent les échanges. Des hospices routiers jalonnent les voies de pèlerinage et la qualité de leur administration témoigne du rôle important des moniales qui les dirigent. Presque entièrement réservée aux nobles dames ou princesses de l’entourage du roi, l’instruction des femmes s’est peu à peu développée. Les femmes lisent et écrivent, sont copistes dans les monastères ou auteurs de poèmes. Un nouveau courant poétique est né, stimulé en particulier par les femmes mais aussi par les évêques. L’un des plus fameux, Eloi, évêque de Noyon, orfèvre de métier, a contribué à la renommée de l'orfèvrerie mérovingienne et notamment du damasquinage. Au contact des lettrés ecclésiastiques mais aussi des aristocrates gallo-romains, la haute société franque a été gagnée par l’écrit (actes de vente ou de donation, brevets de nomination, testaments, édits royaux). Cependant les monastères restent le refuge des études au VIIe siècle et les principaux foyers de la vie culturelle. D’Irlande ou d’Italie des moines y viennent, apportant avec eux leur propre culture, échangeant idées et manuscrits, suscitant des embellissements dans l’architecture religieuse, provoquant un renouveau de la vie artistique et intellectuelle. Cet éclat retrouvé au temps de Dagobert va être de courte durée. Après son règne,  ceux que l’on nomme les « rois fainéants » seront entièrement livrés à la tutelle des maires du palais qui exerceront le pouvoir effectif. Ces rois enfants dont la plupart sont morts avant d’atteindre la majorité, vont précipiter la fin de la dynastie mérovingienne et permettre à un maire du palais, plus brillant que les autres, Charles Martel, de donner naissance à une nouvelle dynastie : les Carolingiens.

Vous avez aimé cet article ? Notez-le !

Aucune information ? Sérieusement ?Ok, nous tacherons de faire mieux pour le prochainLa moyenne, ouf ! Pas mieux ?Merci. Posez vos questions dans les commentaires.Un plaisir de vous aider ! :) 4.40 (5 note(s))
Loading...

Olivier

Professeur en lycée et classe prépa, je vous livre ici quelques conseils utiles à travers mes cours !