« Miraculé » d'une longue série de décès parmi les princes du sang, qui a failli éteindre la dynastie, Louis XV a cinq ans lorsqu'il succède à son bisaïeul Louis XIV. Au jour même de la mort du vieux roi, Voltaire raconte qu'il a vu des feux de joie s'allumer tout au long de la route de Saint-Denis. Cette explosion libératrice donne aussi le ton de la Régence assurée par le duc Philippe d'Orléans durant la minorité de Louis XV. Jusqu'en 1723, la période de la Régence est encore marquée par une violente réaction à tout ce qui avait caractérisé la fin du règne précédent. Le palais de Versailles, cadre de la monarchie absolue, est délaissé et la Cour s'établit de nouveau à Paris, au Palais Royal. Lassée du carcan de la pompe royale et de la rigidité des mœurs imposée par un Louis XIV tombé en dévotion, la noblesse aspire à la gaieté et à l'insouciance. L'exemple du libertinage affiché par le Régent encourage cette libération. Ecartés du pouvoir, poursuivis ou interdits hier, hommes et idées sont maintenant les bienvenus. Les jansénistes sortent des prisons, les nobles sont rappelés aux hautes fonctions gouvernementales, le Parlement recouvre son droit de remontrances. Mais, pour à nouveau s'étourdir de fêtes et de fastes, le Régent et la cour ont besoin d'argent. Le Trésor est vide. La dette publique dépasse 3 milliards de livres. Le financier écossais John Law va un temps y remédier en introduisant la monnaie de papier, en fondant une banque privée, puis la Banque d'Etat. Toutefois, les emprunts publics qu'elle émet et les infimes dividendes qu'elle produit ruinent pour longtemps la confiance que des milliers de personnes, nobles ou bourgeois, possesseurs de petits ou de gros capitaux avaient mis en elle. Law est contraint de s'enfuir. Louis XV, majeur, accède peu après au trône. La banqueroute de Law n'a cependant pas terni l'image du jeune souverain auprès de son peuple qui l'a surnommé Le Bien Aimé. Comme la société toute entière est portée par un nouvel esprit de liberté, l'économie française est relancée par un nouveau souffle qui va apporter un bien-être général. Au delà d'une sensible poussée démographique, la vie matérielle devient plus facile. Le taux de mortalité infantile baisse sensiblement, l'espérance moyenne de vie s'allonge. Tragiquement appauvris à la fin du XVIIe siècle, les milieux ruraux rattrapent peu à peu leur retard. Le temps des grandes disettes semble passé. Du moins la France ne connaîtra plus ces effroyables hécatombes dues à la famine qui, en 1709, avaient fait plusieurs millions de morts. A la tête d'une trentaine d'hectares, les paysans propriétaires les plus favorisés peuvent maintenant participer à l'essor commercial, trafiquer régulièrement aux foires, acheter en échange de leurs ventes. Les journaliers gagnent mieux leur vie. Le paysage rural et la mentalité paysanne évoluent : les terres se regroupent d'un seul tenant, se protègent d'enclos, et l'individualisme agraire se substitue aux servitudes collectives. Rendements et production globale s'améliorent. Influencé par la rénovation de l'agriculture anglaise, on s'essaie à l'économie rurale, on expérimente de nouvelles méthodes pour labourer et semer, on abandonne la jachère. Après la moisson, la terre est maintenant ensemencée pour produire des cultures fourragères, trèfle sainfoin, luzerne, qui fournissent d'importants appoints de nourriture aux cheptels. L'aisance que la culture du maïs a apporté aux paysans du Midi de la France, où elle s'est implantée, marque une véritable frontière avec le nord du pays moins riche. A l'exception de quelques régions, Basse-Bretagne, Sologne, Quercy, la vie rurale dans son ensemble s'est sortie du marasme du siècle précédent et la paysannerie, malgré ses charges, passe le seuil de la simple subsistance. Elle se trouve même avec un surplus agricole en fin d'année et les plus cossus « rentrent » de l'argent. Mais la grande majorité des paysans ne rentre pas encore dans les vastes circuits commerciaux, tel le riche maquignon, le viticulteur réputé, ou le grand laboureur (paysan propriétaire), marchand de grain. Le pain blanc, le lard et le vin sont rares sur la table du petit paysan qui craint à tout moment le gabelou qui viendra lui réclamer la gabelle, impôt sur le sel. Toujours mal logé, dans une maison sans air et sombre parce que les vitres sont un luxe inutile, le paysan n'est pas non plus à l'abri de « mauvaises » années, qui rallument çà et là l'agitation dans les campagnes. Mais, l'aisance croissante du monde rural est une réalité, spécialement pour les rentiers du sol, seigneurs, clergé, et riches bourgeois sans cesse plus nombreux ayant acquis des biens fonciers. Cette prospérité fait également celle des villes et des marchés urbains bien fournis en produits agricoles et redistribuant des denrées de toutes sortes venues des ports de France. Les cités font un bond dans l'accroissement de leur population et de leurs activités. Délaissant leurs châteaux souvent incommodes, les nobles résident maintenant comme les bourgeois dans les villes. Enrichis des bons profits de leur terre, ils se font construire d'élégants hôtels particuliers qui embellissent de leur nouveau quartier des villes comme Dijon, Bordeaux, Nantes, Aix-en-Provence ou Paris. Ces grands propriétaires terriens dépensent sans trop compter en mobilier, en vin pour leur cave, en nombreuse domesticité pour les servir. Car ce que l'on demande à cette nouvelle résidence urbaine, c'est de se trouver bien chez soi et de pouvoir recevoir. Les hôtels, ouvrant sur des jardins « à la française », sont construits pour y mener une vie confortable, plus intime, plus « familiale », où les salons, encore de belles proportions, ne jouent plus « la Galerie des Glace en réduction », où les appartements sont réduits pour être mieux chauffés. Sans doute c'est à Paris que « tout se passe », mais les petites capitales de province ne sont pas les dernières à ouvrir de brillants salons mondains où se presse « la bonne société » et où l'on fait de la musique, on chante l'opéra et surtout on s'adonne à la philosophie, cette passion du temps. Chaque ville de quelque importante se doit d'avoir une bibliothèque publique pour assouvir son appétit de connaissance, avec un cabinet de lecture où l'on peut dévorer le Journal des Savants  et les gazettes littéraires qui prolifèrent. Toute proche, un salle de conversation réunit les bavards qui discutent sans fin et commentent les nouvelles politiques quand ils ne se retrouvent pas au café ou dans un club à l'anglaise, comme le fameux L'Entresol  à Paris. Les grandes villes ont également ouvert des académies et des sociétés scientifiques, dont certaines sont de véritables succursales de l'Académie des Sciences fondée par Colbert. Mais c'est principalement dans les salons qu'il faut se rendre, se faire connaître ou pour briller, se mêler de politique, tenir des discussions savantes ou lancer des mots d'esprit. Si on a quelque ambition et des revenus suffisants on ouvre salon, on a « son jour », et la maîtresse de maison est le plus souvent meneur de jeu dans ces réceptions brillantes où se mêlent et s'affrontent les clans littéraire, scientifiques et  politiques, après 1750. Qui n'a été invité chez Mme Geoffrin, Mme de Tencin ou Mlle de Lespinasse, qui n'y a rencontré le vieux philosophe Fontenelle, le hautain Montesquieu ou l'étincelant Voltaire, les encyclopédistes Diderot, Jean-Jacques Rousseau ou d'Alembert, qui n'y a écouté le célèbre Rameau que Mozart même admire, qui n'y a frôlé Marivaux, ou Choderlos de Laclos... ne peut se targuer d'avoir approché l'esprit des « Lumières ». Mais cette société vouée aux plaisirs de l'esprit et des fêtes galantes exigent un cadre à sa mesure. L'hôtel particulier de la haute noblesse, mais aussi d'un puissant banquier, d'un richissime négociant, se parent de scènes charmantes  et gracieuses qui évoquent la danse et l'amour ou les joies champêtres sous le pinceau d'un Watteau, d'un Boucher ou d'un Chardin. Dans les salons de province la vie intellectuelle, mondaine et artistique n'a pas le même éclat que dans la capitale. Du moins on y pratique ce même « esprit de liberté » si cher à Diderot et cette même « belle galanterie » dont la marquise de Pompadour puis la comtesse Du Barry, maîtresses de Louis XV, vont être à Versailles où la cour s'est réinstallée les plus exquises ambassadrices. En province se sont également implantées ces nouvelles sociétés de pensée que sont les loges maçonniques, introduites d'Angleterre en France à partir de 1721. Nullement anti-cléricales à leur création, les loges adoptent la liberté de propos commune au temps mais un régime égalitaire de recrutement encore peu admis. Par la diversité de leurs préoccupations et des courants qui les traversent, les loges ressemblent aux académies; elles seront pour une part responsables de la diffusion des idées philosophiques. Ainsi chaque ville vit au rythme de ces réunions intellectuelles, devient un centre de culture actif et animé auquel participent bourgeois, nobles et membre du clergé. Dès lors la noblesse n'est plus seule à donner le ton de la vie urbaine, à imposer la mode, le goût et les manières. Les choses évoluent aussi à l'intérieur des trois ordres qui officiellement divisent la société française. A l'intérieur de chacun d'eux, c'est l'argent qui devient le critère majeur de différenciation. Ainsi, la haute aristocratie du XVIIIe siècle qui ne peut plus vivre de sa seule rente foncière, s'allie par mariage à la noblesse de moindre rang mais fortunée, descend dans l'arène économique où elle trouve de nouvelles sources de revenus. Dans cette course à l'argent, elle va se mettre en compétition avec la haute bourgeoisie, et plus tard se heurter, d'une manière sourde mais résolue, à la paysannerie qui va être la première à l'abattre, après 1789. Bourgeoisie et aristocratie irriguent essentiellement la vie commerciale par des acquisitions de biens de consommation dont la vie artisanale sera la grande bénéficiaire. Bâtiment et textile sont les principales « industries » de l'époque et les agents de la prospérité urbaine. Couvreurs, charpentiers, tisserands, ébénistes travaillent à ne plus y suffire et les Compagnons du Devoir accélèrent leur tour de France. Pour satisfaire aux commandes, les ateliers artisanaux renouvellent et rajeunissent leurs matériels. Mais, la révolution des techniques ne se fait pas encore sentir en France. Cette carence va d'ailleurs creuser un profond écart avec l'Angleterre qui, au XVIIIe siècle, prend le pas sur tous les pays européens, en matière industrielle aussi bien qu'agricole. Ce retard en équipement n'empêche pas une fabrication de qualité, celle des métiers jurés  (corporations), celle des manufactures privilégiées ou royales, sur laquelle le gouvernement veille en distribuant protection et avantages. Aussi, avec également l'essor de la Finance (la Bourse de Paris prend consistance à partir de 1724), la vie commerciale et industrielle semble sortie des vicissitudes du siècle précédent.

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Olivier

Professeur en lycée et classe prépa, je vous livre ici quelques conseils utiles à travers mes cours !