1.                              Olson avait déjà contribué à souligner que l’action collective n’est pas un processus automatique et que certains phénomènes (et notamment l’intérêt privé) peuvent lui faire obstacle. Albert Hirschman va poursuivre cette voie selon une logique moins « économiciste », c’est à dire orientée principalement selon les intérêts des agents. Bien qu’économiste de formation, Albert Hirschman va développer une réflexion très orientée vers les sciences sociales et notamment la sociologie et la science politique.

Dans son ouvrage le plus célèbre, Défection, prise de parole et loyauté, publié en 1970, Hirschman développe un modèle d’analyse afin de comprendre les réactions des consommateurs face aux performances des firmes économiques qui sera par la suite transposé dans pour rendre compte des formes de conflictualité sociale et plus largement pour rendre compte du changement social.

Initialement Albert Hirschman s’interroge sur les différentes stratégies dont disposent les individus pour répondre à une insatisfaction ou une injustice. Trois réactions sont possibles.

2.                              La première réaction est la loyauté (loyalty), c'est-à-dire le fait que des individus demeurent fidèles à une entreprise ou une institution malgré l’insatisfaction ou le mécontentement éprouvé. « Les sentiments de fidélité, de devoir à l’égard de l’institution ou du mouvement, l’acceptation résignée de ses défauts sont assez puissants pour faire passer par-dessus les mécontentements qu’il suscite », note Erik Neveu (Sociologie des mouvements sociaux, p.31).  Dès lors, aucun changement social ne peut survenir. Bien sûr, on peut noter que toute organisation requiert un minimum de loyauté afin qu’elle puisse survivre à ses propres dysfonctionnements.

3.                              La seconde réaction possible est la défection (exit), c'est-à-dire « l’abandon de la relation dans laquelle on intervient en tant qu’acheteur d’une marchandise ou en tant que membre d’une organisation, que ce soit ne entreprise, une famille, un parti politique ou un Etat ». La défection se traduit par un changement (d’entreprise, d’association, etc.) ou par une mise en retrait. A noter que dans les économies de marché, la concurrence incite à la défection. De même qu’un acheteur sera d’autant plus tenté de changer de produit si le marché est diversifié, un militant aura d’autant plus de chance de changer d’association ou de parti que le système est pluraliste. Ainsi pour Hirschman, la « défection » constitue la stratégie classique des systèmes politiques fondés sur la concurrence.

4.                              La troisième réaction est la prise de parole (voice), c’est à dire « toute tentative visant à modifier un état de fait jugé insatisfaisant que ce soit en adressant des pétitions individuelles ou collectives à la direction en place, en faisant appel à une instance supérieure ayant barre sur la direction ou en ayant recours à divers types d’actions, notamment ceux qui ont pour but de mobiliser l’opinion publique ». La prise de parole exprime donc de façon plus générale une protestation et l’amorce d’un conflit. Cette stratégie suppose ainsi un engagement minimal des participants (contrairement aux deux premières) qui implique un certain coût (argent, temps, etc.). La propension ou capacité à se mobiliser sera apparemment d’autant plus élevé chez les individus disposant d’importantes ressources. Les stratégies qui sont à la disposition d’un individu confronté à une insatisfaction ne sont ainsi pas les mêmes que l’on soit chômeur ou avocat !

5.                              Ce dernier exemple assez simpliste permet de comprendre l’usage que Hirschman fait de cette classification ternaire. En s’intéressant aux alternatives possibles (loyauté, défection ou prise de parole), Hirschman ouvre la question des conditions d’émergence et de non-émergence de l’action collective.  La concurrence restreint, comme on l’a dit, la probabilité d’un conflit en rendant plus facile la défection. Il y a plus de probabilité par exemple qu’il y ait des mécontents qui s’expriment dans une ville où existe un seul cinéma, ou une seule piscine, que dans une ville où l’offre est beaucoup plus large et permet d’éviter la prise de parole. L’action collective est également étroitement corrélée, comme on l’a évoqué, aux ressources dont dispose les familles. Mais contrairement à ce que l’on a dit au paragraphe 4 la propension à se mobiliser peut dans certains cas être inversement proportionnelle à la dotation en ressources. Par exemple, en cas d’insatisfaction du collège public, une famille aura d’autant plus de chance de choisir la défection, en ayant recours au système d’enseignement privé, qu’elle dispose de ressources importantes. A l’inverse, la fermeture des possibilités de défection, par exemple pour une famille ne disposant pas des moyens de recourir au privé, rend plus probable le recours à la prise de parole. Hirschman en conclut aux avantages du monopole public (écoles, trains, etc.) qui contraint les usagers à se mobiliser pour l’améliorer.

6.                              Le modèle d’Hirschman permet de comprendre dans quelle mesure toute polarisation des usagers sur une seule stratégie constitue un risque pour l’entreprise ou l’institution. Il insiste donc sur la nécessaire complémentarité entre la défection/prise de parole/ loyauté qui peuvent se renforcer mutuellement. Par exemple la menace de défection de clients peut constituer une prise de parole permettant  une entreprise de corriger un dysfonctionnement, facilitant ainsi la loyauté des contestataires. Pour Hirschman, l’un des principaux freins au changement est la défection systématique des membres.

L’analyse en termes de ressources (et plus particulièrement d’inégalités) semblait adaptée à la compréhension des conflits sociaux traditionnels, s’exprimant le plus souvent sous la forme de revendications matérielles. L’émergence de mouvements centrés autour de nouveaux enjeux, moins quantitatifs et plus qualitatifs, va s’accompagner de la création de nouvelles théories .qualifiées de « nouveaux mouvements sociaux ».

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Olivier

Professeur en lycée et classe prépa, je vous livre ici quelques conseils utiles à travers mes cours !