Chapitres
L'extrait commenté
Don JuanIl n’y a plus de honte maintenant à cela ; l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer. Aujourd’hui, la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée ; et, quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l’hypocrisie est un vice privilégié qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, se les attire tous sur les bras ; et ceux que l’on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés, ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres ; ils donnent bonnement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j’en connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se font un bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d’être les plus méchants hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues, et les connaître pour ce qu’ils sont, ils ne laissent pas pour cela d’être en crédit parmi les gens ; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux roulements d’yeux, rajustent dans le monde tout ce qu’ils peuvent faire. C’est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes ; mais j’aurai soin de me cacher, et me divertirai à petit bruit. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin, c’est là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m’érigerai en censeur des actions d’autrui, jugerai mal de tout le monde, et n’aurai bonne opinion que de moi. Dès qu’une fois on m’aura choqué tant soit peu, je ne pardonnerai jamais, et garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur des intérêts du ciel ; et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d’impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d’injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle.
Méthode du commentaire composé
On rappellera ici la méthode du commentaire composé vu en cours francais :
Partie du commentaire | Visée | Informations indispensables | Écueils à éviter |
---|---|---|---|
Introduction | - Présenter et situer le texte dans le roman - Présenter le projet de lecture (= annonce de la problématique) - Présenter le plan (généralement, deux axes) | - Renseignements brefs sur l'auteur - Localisation du passage dans l'œuvre (début ? Milieu ? Fin ?) - Problématique (En quoi… ? Dans quelle mesure… ?) - Les axes de réflexions | - Ne pas problématiser - Utiliser des formules trop lourdes pour la présentation de l'auteur |
Développement | - Expliquer le texte le plus exhaustivement possible - Argumenter pour justifier ses interprétations (le commentaire composé est un texte argumentatif) | - Etude de la forme (champs lexicaux, figures de styles, etc.) - Etude du fond (ne jamais perdre de vue le fond) - Les transitions entre chaque idée/partie | - Construire le plan sur l'opposition fond/forme : chacune des parties doit impérativement contenir des deux - Suivre le déroulement du texte, raconter l'histoire, paraphraser - Ne pas commenter les citations utilisées |
Conclusion | - Dresser le bilan - Exprimer clairement ses conclusions - Elargir ses réflexions par une ouverture (lien avec une autre œuvre ? Événement historique ? etc.) | - Les conclusions de l'argumentation | - Répéter simplement ce qui a précédé |
Ici, nous détaillerons par l'italique les différents moments du développement, mais ils ne sont normalement pas à signaler. De même, il ne doit normalement pas figurer de tableaux dans votre commentaire composé. Les listes à puces sont également à éviter, tout spécialement pour l'annonce du plan.
Commentaire de l'extrait
Introduction
Molière est l'un des plus célèbres dramaturges français du XVIIème siècle. Il a notamment écrit de nombreuses comédies telles que Le médecin malgré lui (1666), Les Fourberies de Scapin (1671), ou encore L'Avare (1668).
Mais Dom Juan ou Le Festin de Pierre, représentée en 1665, est une comédie particulière. Pièce dans laquelle il reprend le mythe du grand séducteur, il fait mourir son personnage dans le dernier acte. Or, une telle fin ne répond pas aux habitudes du genre : dans une comédie, tout se termine bien.
Dans le passage que nous étudions ici, Dom Juan vante auprès de son valet Sganarelle les mérites de l'hypocrisie. Il vient, dans la scène précédente, de feindre d'être croyant auprès de son père, et lui a promis d'agir moralement et avec vertu.
Annonce de la problématique
De fait, comment Dom Juan défend-il son idée de l'hypocrisie ?
Annonce du plan
Dans un premier temps, nous verrons en quoi ce discours est-il de type argumentatif. Il s'agira ensuite de montrer que ce discours correspond à un éloge. Dans un dernier temps, nous verrons pourquoi cet éloge est ambiguë.
Développement
Un discours argumentatif
Maitrise de la rhétorique
La rhétorique, pour rappel, est l’art de bien parler, c’est-à-dire la technique de la mise en œuvre des moyens d'expression, comme les figures de style ou les enchaînements d’idées.
Or, Dom Juan en est un maître, comme nous le montre cette longue tirade.
Il s’adresse certes à Sganarelle mais, en vérité, ne l’envisage pas comme capable de fournir une réponse. C'est le propre d'une question rhétorique. Pour exemple, la question suivante :
« Combien crois-tu que j’en connaisse […] les plus méchants hommes du monde ? »
L’utilisation du présent de vérité générale (« L’hypocrisie est un vice à la mode » ou « Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer »), tout comme la généralisation de ses propos, participent de cette volonté de convaincre. Il affirme, sans justifier : il tient pour vrai, absolument vrai, tout ce qu’il dit, et il faut s’y plier, sous peine d’être dans le faux.
En outre, il utilise énormément de tournures impersonnelles, comme « on », « tous » ou encore « l’homme de bien ». Cela lui permet d’être péremptoire sans parler de qui que ce soit. Il affirme, une nouvelle fois, sans justifier.
De même, il utilise des aphorismes, qui sont des proverbes, comme des preuves de ce qu’il avance. Il s’agit de pseudo-arguments d’autorité, comme :
« Qui en choque un, se les jette tous sur les bras »
Il utilise également le syllogisme pour manifester un semblant de logique (un syllogisme est un raisonnement logique du type « si tout B est A et si tout C est B, alors tout C est A ») : « L'hypocrisie est un vice a la mode, et tous les vices a la mode passent pour vertus ».
Enfin, en rhétorique, la beauté du discours sert directement sa puissance. Pour répondre à cette exigence, Don Juan utilise de nombreuses métaphores, qui embellissent et fortifient ses paroles par la création d'images dans l’esprit de son auditeur :
- « ferme la bouche»;
- « à force de grimaces»
- « les singes»;
- « je verrai, sans me remuer »
- etc.
Mais au-delà des belles images et des effets purement stylistiques, son discours est argumentatif, et il use de tous les procédés pour convaincre Sganarelle.
La structure de l’argumentation
L’enjeu du discours de Don Juan, c’est de montrer que l’hypocrisie passe « pour une vertu ». Aussi, selon ce point de départ, tout le monde, dans la société, en use et en abuse.
Partant de cette idée, il applique son cas à cette généralisation. Utilisant d’abord des pronoms impersonnels (« on », « tous », etc.), il en vient à parler de lui-même, comme le prouve la présence de la première personne du singulier « je » comme dans « je veux me sauver ». Il se projette, même, en passant au futur : « je verrai », etc.
Sa structure est donc fondée sur une réflexion générale, qui tombe de nulle part et qu’il veut faire passer pour vraie, et qui justifie ensuite son attitude particulière. Schématiquement, cela ressemble à : « Parce que tout le monde le fait, je peux le faire. »
Ainsi, paradoxalement, il loue l’hypocrisie, la considérant même comme utile à tous pour évoluer dans la société.
L’éloge de l’hypocrisie
La justification
Nous avons vu que le point de départ de Don Juan, c’est l’affirmation que tout le monde le fait. Cela constitue une première justification.
Mais cette tirade regorge également de figures mélioratives et d’hyperboles, qui embellissent à outrance l’hypocrite : « meilleur de tous les personnages », « de merveilleux avantages », « un art », « vice privilégié », « abri favorable ».
Le point final de cette argumentation réside dans ce que l’hypocrisie apporte des avantages à celui qui la pratique.
Les avantages
Ainsi, Don Juan s’attache à démontrer les « merveilleux avantages » de cette attitude, que l’on pourrait d’abord croire condamnable (d’ailleurs, c’est en réponse à la surprise et la condamnation de Sganarelle que Don Juan se lance dans cette longue réplique) :
- il s’agit d’un « art », donc comparable à la poésie ou la musique, où l’on peut exceller en beauté
- en ceci, elle est « toujours respectée » et « on n’ose rien dire contre elle » : elle est ainsi source d’admiration
- « C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée […] on n’ose rien dire contre elle » : elle ne fait rien risquer et tout gagner
- elle favorise les liens entre les gens et la création d’un groupe : « On lie […] une société étroite avec tous les gens du parti ».
- elle permet de s’attirer la sympathie de ceux qui la pratiquent aussi et permet ainsi une protection : « si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêt à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous »
Il est enfin deux points particulièrement importants pour Don Juan, qui a subi tout au long de la pièce les reproches de tout le monde, par son attitude. En effet, avant l’acte V, Don Juan agissait avec une relative transparence, se vantant de ses conquêtes. Il était certes malhonnête dans ses actes, mais relativement honnête dans sa manière d’assumer. Devant tous les problèmes que cette posture lui a créé, l’hypocrisie devient nécessaire :
- l’hypocrisie lui permettra de continuer ses « douces habitudes » de libertin
- il profitera de la « faiblesse des hommes » puisqu’il bénéficiera d’un masque garantissant son honnêteté, comme le font les religieux
Mais malgré cela, Don Juan semble parfaitement conscient du mauvais fonds de ses actes.
Un éloge paradoxal et lui-même hypocrite
Plusieurs formules nous montrent que Don Juan a conscience, malgré son éloge, de l’immoralité de l’hypocrisie. Ainsi, les hypocrites peuvent être « les plus méchants hommes du monde » et que personne ne leur dira rien même si « on a beau savoir leurs intrigues et les connaître pour ce qu’ils sont ».
Surtout, le discours est un artifice qui n’efface par l’égoïsme profond des hommes :
« Je m’érigerai en censeur des actions d’autrui, jugerai mal de tout le monde, et n’aurai bonne opinion que de moi. »
Mais la conscience que Don Juan manifeste, c’est aussi la trace de l’auteur, à savoir Molière. Le dramaturge profite en effet de cette tirade pour dresser une critique acerbe de la société dans laquelle il vit, et plus précisément au sujet des religieux qui ont fait censurer sa pièce, Tartuffe.
Une tirade ambiguë
Don Juan et son masque
Cette sous-partie vise à approfondir l’idée de métathéâtralité. Ce terme signifie que sur la scène, le personnage qui est un personnage de théâtre, prononce un discours sur le théâtre. Il y a donc un double sens du discours : le discours qui prend son sens dans l’intrigue de la pièce, et le discours qui prend son sens au sujet du théâtre comme art (d'ailleurs, selon Don Juan, l’hypocrisie est un « art »).
On rappellera l’étymologie du mot « hypocrite », qui vient du grec « upokritês » et qui signifie « acteur ». L’hypocrisie, en outre, vise à faire illusion : or, le théâtre n’est rien d’autre que la scène où l’on cherche à ce que l’illusion soit la plus réelle possible.
Ainsi, dans sa tirade, Don Juan utilise un champ lexical relatif au théâtre :
- celui du personnage : « personnage », « profession »
- celui des costumes : « manteau », « habit »
- celui du jeu : « baissement de tête », « soupir mortifié »
De fait, Molière rappelle à son public qu’il assiste à une pièce qui parle de théâtre – procédé de mise en abyme : un acteur joue le personnage de Dom Juan, et Dom Juan joue lui-même un personnage, puisqu’il est hypocrite.
Contre la religion
Il y a une corps social de l’époque que vise directement cette tirade, c’est celui du corps religieux. Il faut rappeler que peu de temps auparavant, son Tartuffe a été interdit sous la pression du clergé qui estimait cette pièce blasphématoire.
Ainsi, Dom Juan s’attaque aux croyants et aux dévots, qui mènent dans l’ombre des « cabales ». Il utilise également le terme explicite de « censeur ». Les religieux ont un « prétexte commode », celui du « manteau » de la religion qui, parce qu’elle est censée être la voix de la morale, peut se prononcer sur tout. Mais, surtout, il ne s’agit que d’un habit : ils ne sont pas pour autant respectueux, dans leurs actes, de leur parole.
Contre la société
Plus largement, Molière vise à critiquer la société entière. C’est le sens de la généralisation prise par Dom Juan comme point de départ de sa réflexion.
Les vices sont ainsi « à la mode » ; il s’agit donc de la suivre, sous peine d’être marginalisé. L’hypocrisie est un « stratagème » des plus forts envers les plus faibles, comme le suggère la phrase de conclusion :
« C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle. »
Conclusion
Par cette tirade, tout entière dévouée à l'hypocrisie, Dom Juan franchit encore une étape dans l'impiété. Il décide, en tout âme et conscience, de persévérer sur le chemin de la débauche. Mais pire encore : il portera désormais le masque de la dévotion, et se dira au service de Dieu. C'est le blasphème en trop : la statue du Commandeur l'emmènera aux Enfers.
Mais Molière, par l'intermédiaire de son personnage, porte une critique sur les faux dévots et les religieux qui profitent de leur position. Dom Juan se montre, en outre, comme un personnage réfléchi et pédagogue ; Molière exhorte son spectateur ainsi à faire preuve de raison, et d'identifier les maux de la société.
Ouverture
De nombreux artistes ce sont intéressés à ce mythe et l'ont repris au fil du temps comme Mozart (au XVIIIème siècle) ou George Sand (au XIXème siècle). On pourrait ainsi comparer la vision de ce mythe à travers les époques.
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XVII, pardon. Je corrige.
Molière (1622-1673), un des “plus célèbres dramaturges français du [b]XVIII[/b]e siècle” ?