Il y a, dans le chapitre 8, l’histoire d’un homme terrible qui a vécu toute sa vie, nous dit Machiavel, dans la scélératesse, c’est Agathocle de Sicile, devenu roi de Syracuse.

Militaire à l’origine, cet homme monte en grade et devient tyran.

Machiavel va alors réfléchir sur « les bons usages ou les mauvais usages de la cruauté », ce qui veut dire que la cruauté en tant que telle n’est pas condamnée non pas qu’elle soit mauvaise mais par ces usages.

« On peut parler de bon usage pour celles qui se font d’un seul coup, pour la nécessité de sa sûreté, on ne s’y enfonce point, on les fait tourner au profit des sujets le plus qu’on le peut ».

Autrement dit, si pour des besoins d’efficacité politique on est amené à un certain moment à faire des choses horribles et Machiavel dit que s’il faut le faire alors il faut le faire mais dans ce cas il faut le faire vite, d’un seul coup, et en faire profiter les sujets dans la mesure du possible.

D'autre part, Machiavel a une phrase terrible : «la férocité de ce spectacle fit demeurer tout le peuple à la fois content et stupéfait» (chapitre 7) lorsque le prince fit décapiter un ministre.

Il y a clairement non pas l’éloge de la terreur pour la terreur, mais un certain éloge de la terreur en vue de l’efficacité.

Les guerres d'Italie sont une suite de conflits (11 guerres) menés par les souverains français en Italie à partir de la fin du XVe.
La bataille de Pavie, huile sur bois, XVIe siècle

L’efficacité en politique (la maîtrise de la fortune), chez Machiavel, se fait quasiment par n’importe quel moyen, la limite dans les moyens utilisés n’étant jamais morale mais politique.

Ainsi, si l’on pense que les effets psychologiques de la répression sont mauvais sur le plan politique alors effectivement il faut mettre une limite de nature politique mais tant que le peuple reste stupéfait, c’est bon.

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C'est parti

La politique chez les anciens opposée à la politique moderne

Léo Strauss parle d’une révolte réaliste de Machiavel car il rejette la philosophie politique classique qui se demandait « comment l’homme doit-il vivre» et sort définitivement de la conception politique telle que la concevaient les anciens qui présente la politique comme s'inspirant de l’ordre naturel ou de l’ordre du cosmos chez les grecs.

Ainsi, jusqu’à Machiavel, il y avait généralement dans la réflexion politique la référence à cet ordre transcendant (qui est en quelque sorte parfait, harmonieux, juste, bon, etc.), et on se donnait par la théorie le moyen de connaître cet ordre juste, parfait.

La thèse de Machiavel sur les enjeux de la période de guerre s’énonce nettement.
Ce qui disparaît, c'est donc une certaine manière de penser la politique en référence à une sorte d’étalon universel, transcendant ou éternel.

Alors que là précisément ce qui va disparaître c'est cette référence à quelque chose d’extérieur, d’intemporel, éternel, naturel, on ne trouve pas, chez Machiavel, de référence à un cosmos dont la cité ferait intrinsèquement partie.

On ne trouve pas chez Machiavel, dans le Prince en tout cas, de perspective sur la nature humaine qui serait en quelque sorte normative ou contraignante et c’est probablement une des conditions de la liberté (cf. infra).

 

La recherche du meilleur régime...

Le projet de la philosophie politique des anciens, comme Strauss l’indique lui même, était une quête du meilleure régime ou du meilleur ordre politique, le meilleur régime étant entendu comme le plus favorable au mode de vie que les hommes devaient mener.

Au fond, c’est l’ordre politique, juridique, qui est le plus favorable à la pratique de la vertu, et bien sûr la vertu des anciens n’est pas la vertu de Machiavel.

 Chez les anciens, les vertus étaient pensées par référence à une norme naturelle càd l’idée qu’il y a une manière naturelle, bonne, parfaite, de se comporter.

Il y a évidemment l’idée que la cité et l’action des hommes doit être pensée comme le reflet d’un ordre naturel extérieur.

Avec Machiavel, on sort complètement de cette conception de l’ordre politique car l’action politique n’est plus soumise aux entraves de la religion, de la morale, ni à des entraves faisant référence à la nature humaine.

De plus, on ne trouve pas non plus l’idée qu’il y a quelque chose dans chaque homme qui lui appartient en tant qu'indépendant de toute caractéristique particulière et que si on ne préserve pas cela il s’en suit toute une séries de conséquences mortifères pour les individus càd tout ce qui accompagne les droits de l’homme.

=>On est loin de cette conception chez Machiavel. Il se situe dans un moment charnière qui cristallise de manière claire la sortie de l’ordre architectonique des anciens.

... Rendue inutile par Machiavel

Avec Machiavel, dans ce texte, les repères traditionnels de la politique sont perdus : « il est vain de se livrer à la réflexion portant sur le meilleur régime. Il suffit d'élaborer une liste d'actions du prince pour être efficace sans que la nature n'impose aucune norme ».

Cela n'est intelligible que par rapport à l'action des hommes car il ne renvoie à aucun au-delà donc ils doivent choisir et c'est à ce moment là qu'intervient la vertu du prince machiavélien.

=>Il faut présupposer la méchanceté des hommes quand on fait de la politique autrement dit l'affirmation de Machiavel est un présupposé de méthode, un postulat, un apriori...

Certains auteurs ont pu considérer qu'avec Machiavel on assistait à une autonomisation cruciale de la sphère politique et qu'à travers celle-ci on assistait à l'avènement de la politique comme technique par un double processus avec d'une part la transformation profonde du rapport avec la nature (= pur chaos) et d'autre part la transformation de la connaissance humaine qui, tel que Machiavel en parle, est toute entière dirigée vers la maîtrise de l'action.

=>Machiavel vante les qualités de maniabilité du prince mais aussi les capacités de la ruse.

 Léo Strauss sur Machiavel : « on doit désormais partir de la façon dont les hommes vivent effectivement, réajuster le point de mire et le corolaire immédiat de cette proposition est la réinterprétation de la vertu, elle ne doit pas être comprise comme la finalité de la cité, de la politique, de la république. Elle existe exclusivement en vue de la politique et la moralité politique n'est pas possible en dehors de la société politique et présuppose cette société. Elle ne peut être préservée et établie en restant dans les limites de la moralité pour la simple raison que l'effet ne peut précéder la cause ».

 C'est un renversement fondamental de l'approche traditionnelle de la politique qui considérait que la morale était quelque chose de substantielle devant à chaque pas guider l'action de tous les hommes en général et du prince en particulier.

La moralité peut être pensée par Machiavel comme un résultat de la politique.

Cette conception semble aujourd'hui aller de soi même si nous reculons sur un certain nombre de ses conséquences.

=>La morale désigne la volonté subjective des hommes.

 Machiavel n'est pas pour autant un homme immoral mais le conseil donné au prince est de faire précéder la morale par une réflexion sur l'action politique.

La morale est un effet, ce qui veut dire que Machiavel n'ignore pas la question du mal, mais lui donne un autre statut à travers une affirmation qui aurait pu choquer les anciens à savoir qu'il n'y a pas de constitution parfaite, de conception politique parfaite mais simplement des tentatives pour essayer d'organiser le monde humain sachant que le mal et la violence sont toujours là.

Le réalisme de Machiavel

Dans ce contexte d’une cité sans au-delà, artificielle, les hommes doivent choisir la politique à partir de la réalité concrète, à partir du monde tel qu’il est et non plus à partir du monde tel qu’ils aimeraient qu’il soit.

Donc si l’on veut, Machiavel oppose son approche réaliste de la politique à l’idéalisme des anciens mais c’est tout de même un réalisme très particulier (cf. citation supra sur la fortune qui est femme) car c le réalisme de la maîtrise, de l’emprise, de la capacité de maîtriser et d’agir qui cherche, dans la mesure du possible, à éliminer l’influence des circonstances et du hasard qui comptait beaucoup dans la pensée politique grecque.

On cherche donc à réduire tout ce qui dans l’ordre de la réussite politique.

 Le geste machiavélien consiste ainsi à rabaisser l’étalon moral, étalon auquel on mesurait le meilleur régime chez les anciens.

Et donc il l'abaisse de telle sorte que la probabilité de l’atteindre augmente.

Tout son livre est ainsi une réflexion sur les moyens, non sur les fins.

La raison instrumentale

On retrouve une dimension technique de la pensée de Machiavel chez les auteurs philosophes de l'école de Francfort (fondé en 1923 et reprise par Max Orchaimer en 1930) qui ont mis sur pied une critique du développement de la rationalité occidentale débouchant, selon eux, sur les horreurs de 1930 et l'ont appelé le développement de la raison instrumentale.

=>C’est en quelque sorte une raison qui est extraordinairement impressionnante, puissante, dans l’élaboration de moyens et extraordinairement stupide dans la pensée des finalités.

La raison instrumentale est une raison oublieuse des fins càd une raison qui n’élabore que les moyens et qui n’est capable de penser que ces moyens.

C’est d'ailleurs ce qu’un autre philosophe appelle la raison calculante [Martin Heidegger].

Ainsi, la raison instrumentale, telle que la critique les auteurs de l’école de Francfort, est une raison qui est capable effectivement de nous faire passer de 100 à 200 km/h mais qui n’est pas capable de nous dire en vue de quoi il faut développer cette finalité.

Chez Machiavel, et c’est pour cela qu’on a pu parler d'un « technicien borné », il y a une pensée qui est très technique sous cet angle là car c’est une pensée qui élabore la sphère des moyens et qui délaisse le problème des fins.

Maintenant, avec Machiavel, on sait comment s'y prendre pour réussir dans la politique : on envoie un homme qui met fin à la répression puis on le tue mais au fond pourquoi faire ? En vue de quoi ?

Politique et efficacité

On comprend pourquoi un auteur anti-moderne comme Strauss considère Machiavel comme le penseur de la première vague de la modernité, condamnable pour cette même raison puis on voit assez clairement que la politique est réduite à un problème technique.

 La politique ici ne pose pas la question des fins, de la cité bonne, de l’excellence humaine ou de la vie réussie mais de l’efficacité.

Ainsi, on réduit ce qui doit être au profit de ce qui est et de ce point de vue là, on peut défendre que Machiavel nous met sur la voie de l’avènement de la politique comme technique.

Cet avènement se produit alors dans un double processus :

  • Le rapport à la nature change. La nature renvoyée à un cosmos hiérarchisée, qui avait du sens, à la fois signifiant et finalisé, désormais devient simplement un pur chaos dépourvu de sens (transformation dans la modernité occidentale). Cela peut être un chaos dans lequel ensuite on va repérer des régularités ou des lois, il n’y aura pas plus de sens pour autant donc les phénomènes n’ont plus de sens dans le monde désenchanté (Max Weber).
  • La connaissance humaine se transforme. Ainsi, Machiavel était capable d’un regard contemplatif et désintéressé sur le monde, néanmoins chez lui la connaissance historique est une activité dirigée en vue de la maîtrise de la nature, des circonstances, de la fortune, de la cité.

Autrement dit, la connaissance humaine va progressivement se transformer dans certaine de ses dimensions en tout cas.

Ainsi, elle était contemplative avant (chez les grecs, il s’agissait d’observer le cosmos et d’en tirer l’ordre parfait, imitable, etc.) et maintenant elle est directement une action.

Il y a donc ce lien entre savoir et pouvoir, càd le fait de se donner une certaine connaissance en vue d’agir et cette action de connaître vise à soumettre la nature, ce chaos désordonné, qui est devenu aux yeux de la science moderne la nature.

=>C’est anachronique car on est tout début du 16e, le dév de la science venant après mais on retrouve chez Machiavel toute une dimension de regard scientifique sur les choses.

Toute une série d’auteurs antimodernes développeront par la suite une critique de ce rapport technique au monde et de ce rapport de maîtrise à la nature.

Ainsi, dans la modernité, va se mettre en place une volonté d’arraisonner la nature externe mais aussi la nature interne.

La limite du réalisme machiavélien

Certains auteurs vont critiquer cette forme de malléabilité ou de plasticité qui ouvre selon eux au risque de ce que l’on appelle souvent en philosophie la démesure ou hubris (en grec) car il y a l’idée que rien ne vient limiter l’action politique et on a l'impression qu'il n'y a pas d'autre finalité que la prise et le maintien au pouvoir (cf. Staline).

=>Le texte de Machiavel peut se prêter à tous les usages et il n'est pas étonnant que son ouvrage Le prince ait été lu par les tyrans modernes. K. Jaspers estime qu' « aucun penseur politique moderne ne peut être vrai sans Machiavel mais cette pensée réaliste est trop courte et devient fausse si elle prétend tout dire ». Dimension mortifère de l'utopie en politique.

Machiavel précise même la forme que doivent prendre ces « armes propres » : l’« ordre tiers » de l’infanterie, capable d’échapper aux défauts des infanteries suisses et espagnoles grâce au « genre des armes et à la variation des ordres ».
Il y a une modernité incontournable de Machiavel, tout simplement à cause de tout ce qu’on a vu précédemment, càd sa contribution à l’autonomisation de la politique.

Ainsi, nous avons tous en politique le besoin de penser la catégorie politique de manière autonome mais le point de référence est toujours le réel car ce n’est pas avec des utopies qu’on fait de la politique.

On peut donc penser que la grandeur de Machiavel consiste précisément dans cette volonté initiale la politique à l’égard de la religion et de partir du réel et nous sommes là dans la première vague de la modernité.

=>Le problème principal de Machiavel est l’instabilité qui avoisine la guerre civile dans laquelle il est, càd le temps des cités italiennes au 16e siècle.

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Simon

Juriste et ancien élève de l'UPPA et de la Sorbonne, je mets à dispositions mes TD, notes et fiches de cours pour aider les étudiants. N'hésitez à poser vos questions en commentaire : On essaiera de vous aider en faisant de notre mieux !