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C'est parti

Lecture

Arrondie en croissant de lune, la petite ville d'Étretat, avec ses
falaises blanches, son galet blanc et sa mer bleue, reposait sous le
soleil d'un grand jour de juillet. Aux deux pointes de ce croissant,
les deux portes, la petite à droite, la grande à gauche, avançaient
dans l'eau tranquille, l'une son pied de naine, l'autre sa jambe de
colosse ; et l'aiguille, presque aussi haute que la falaise, large d'en
bas, fine au sommet, pointait vers le ciel sa tête aiguë.
Sur la plage, le long du flot, une foule assise regardait les
baigneurs. Sur la terrasse du Casino, une autre foule, assise ou
marchant, étalait sous le ciel plein de lumière un jardin de toilettes
où éclataient des ombrelles rouges et bleues, avec de grandes fleurs
brodées en soie dessus.
Sur la promenade, au bout de la terrasse, d'autres gens, les
calmes, les tranquilles, allaient d'un pas lent, loin de la cohue
élégante.
Un jeune homme, connu, célèbre, un peintre, Jean Summer, marchait
d'un air morne, à côté d'une petite voiture de malade où reposait une
jeune femme, sa femme. Un domestique poussait doucement cette sorte de
fauteuil roulant, et l'estropiée contemplait d'un oeil triste la joie
du ciel, la joie du jour, et la joie des autres.

Ils ne parlaient point. Ils ne se regardaient pas.

- Arrêtons-nous un peu, dit la jeune femme.

Ils s'arrêtèrent, et le peintre s'assit sur un pliant, que lui présenta le valet.
Ceux qui passaient derrière le couple immobile et muet le
regardaient d'un air attristé. Toute une légende de dévouement courait.
Il l'avait épousée malgré son infirmité, touché par son amour,
disait-on.

Non loin de là, deux jeunes hommes causaient, assis sur un cabestan, et le regard perdu vers l'horizon.

- Non, ce n'est pas vrai ; je te dis que je connais beaucoup Jean Summer.

- Mais alors, pourquoi l'a-t-il épousée ? Car elle était déjà infirme lors de son mariage, n'est-ce pas ?

- Parfaitement. Il l'a épousée... il l'a épousée... comme on épouse, parbleu, par sottise !

- Mais encore ?...
- Mais encore... mais encore, mon ami. Il n'y a pas d'encore. On
est bête, parce qu'on est bête. Et puis, tu sais bien que les peintres
ont la spécialité des mariages ridicules ; ils épousent presque tous
des modèles, des vieilles maîtresses, enfin des femmes avariées sous
tous les rapports. Pourquoi cela ? Le sait-on ? Il semblerait, au
contraire, que la fréquentation constante de cette race de dindes qu'on
nomme les modèles aurait dû les dégoûter à tout jamais de ce genre de
femelles. Pas du tout. Après les avoir fait poser, ils les épousent.
Lis donc ce petit livre, si vrai, si cruel et si beau, d'Alphonse
Daudet : Les Femmes d'artistes.
Pour le couple que tu vois là, l'accident s'est produit d'une façon
spéciale et terrible. La petite femme a joué une comédie ou plutôt un
drame effrayant. Elle a risqué le tout pour le tout, enfin. Était-elle
sincère ? Aimait-elle Jean ? Sait-on jamais cela ? Qui donc pourra
déterminer d'une façon précise ce qu'il y a d'âpreté et ce qu'il y a de
réel dans les actes des femmes ? Elles sont toujours sincères dans une
éternelle mobilité d'impressions. Elles sont emportées, criminelles,
dévouées, admirables, et ignobles, pour obéir à d'insaisissables
émotions. Elles mentent sans cesse, sans le vouloir, sans le savoir,
sans comprendre, et elles ont, avec cela, malgré cela, une franchise
absolue de sensations et de sentiments qu'elles témoignent par des
résolutions violentes, inattendues, incompréhensibles, folles, qui
déroutent nos raisonnements, nos habitudes de pondération et toutes nos
combinaisons égoïstes. L'imprévu et la brusquerie de leurs
déterminations font qu'elles demeurent pour nous d'indéchiffrables
énigmes. Nous nous demandons toujours : "Sont-elles sincères ?
Sont-elles fausses ?"
Mais, mon ami, elles sont en même temps sincères et fausses, parce
qu'il est dans leur nature d'être les deux à l'extrême et de n'être ni
l'un ni l'autre.
Regarde les moyens qu'emploient les plus honnêtes pour obtenir de
nous ce qu'elles veulent. Ils sont compliqués et simples, ces moyens.
Si compliqués que nous ne les devinons jamais à l'avance, si simples
qu'après en avoir été les victimes, nous ne pouvons nous empêcher de
nous en étonner et de nous dire "Comment ! elle m'a joué si bêtement
que ça ?"

Et elles réussissent toujours, mon bon, surtout quand il s'agit de se faire épouser.

Mais voici l'histoire de Summer.

La petite femme est un modèle, bien entendu. Elle posait chez lui.
Elle était jolie, élégante surtout, et possédait, paraît-il, une taille
divine. Il devint amoureux d'elle, comme on devient amoureux de toute
femme un peu séduisante qu'on voit souvent. Il s'imagina qu'il l'aimait
de toute son âme. C'est là un singulier phénomène. Aussitôt qu'on
désire une femme, on croit sincèrement qu'on ne pourra plus se passer
d'elle pendant tout le reste de sa vie. On sait fort bien que la chose
vous est déjà arrivée ; que le dégoût a toujours suivi la possession ;
qu'il faut, pour pouvoir user son existence à côté d'un autre être, non
pas un brutal appétit physique, bien vite éteint, mais une accordance
d'âme, de tempérament et d'humeur. Il faut savoir démêler, dans la
séduction qu'on subit, si elle vient de la forme corporelle, d'une
certaine ivresse sensuelle ou d'un charme profond de l'esprit.

Enfin, il crut qu'il l'aimait ; il lui fit un tas de promesses de fidélité et il vécut complètement avec elle.
Elle était vraiment gentille, douée de cette niaiserie élégante
qu'ont facilement les petites Parisiennes. Elle jacassait, elle
babillait, elle disait des bêtises qui semblaient spirituelles par la
manière drôle dont elles étaient débitées. Elle avait à tout moment des
gestes gracieux bien faits pour séduire un oeil de peintre. Quand elle
levait les bras, quand elle se penchait, quand elle montait en voiture,
quand elle vous tendait la main, ses mouvements étaient parfaits de
justesse et d'à-propos.

Pendant trois mois, Jean ne s'aperçut point qu'au fond elle ressemblait à tous les modèles.

Ils louèrent pour l'été une petite maison à Andrésy.

J'étais là, un soir, quand germèrent les premières inquiétudes dans l'esprit de mon ami.
Comme il faisait une nuit radieuse, nous voulûmes faire un tour au
bord de la rivière. La lune versait dans l'eau frissonnante une pluie
de lumière, émiettait ses reflets jaunes dans les remous, dans le
courant, dans tout le large fleuve lent et fuyant.
Nous allions le long de la rive, un peu grisés par cette vague
exaltation que jettent en nous ces soirs de rêve. Nous aurions voulu
accomplir des choses surhumaines, aimer des êtres inconnus,
délicieusement poétiques. Nous sentions frémir en nous des extases, des
désirs, des aspirations étranges. Et nous nous taisions, pénétrés par
la sereine et vivante fraîcheur de la nuit charmante, par cette
fraîcheur de la lune qui semble traverser le corps, le pénétrer,
baigner l'esprit, le parfumer et le tremper de bonheur.

Tout à coup Joséphine (elle s'appelle Joséphine) poussa un cri :

- Oh ! as-tu vu le gros poisson qui a sauté là-bas ?

Il répondit sans regarder, sans savoir :

- Oui, ma chérie.

Elle se fâcha.

- Non, tu ne l'as pas vu, puisque tu avais le dos tourné.

Il sourit :

- Oui, c'est vrai. Il fait si bon que je ne pense à rien.

Elle se tut ; mais, au bout d'une minute, un besoin de parler la saisit, et elle demanda :

- Iras-tu demain à Paris ?

Il prononça :

- Je n'en sais rien.

Elle s'irritait de nouveau :

- Si tu crois que c'est amusant, ta promenade sans rien dire ! On parle, quand on n'est pas bête.
Il ne répondit pas. Alors, sentant bien, grâce à son instinct
pervers de femme, qu'elle allait l'exaspérer, elle se mit à chanter cet
air irritant dont on nous a tant fatigué les oreilles et l'esprit
depuis deux ans :

 

Je regardais en l'air. 

Il murmura :

- Je t'en prie, tais-toi.

Elle prononça, furieuse :

- Pourquoi veux-tu que je me taise ?

Il répondit :

- Tu nous gâtes le paysage.
Alors la scène arriva, la scène odieuse, imbécile, avec les
reproches inattendus, les récriminations intempestives, puis les
larmes. Tout y passa. Ils rentrèrent. Il l'avait laissée aller, sans
répliquer, engourdi par cette soirée divine, et atterré par cet orage
de sottises.
Trois mois plus tard, il se débattait éperdument dans ces liens
invincibles et invisibles, dont une habitude pareille enlace notre vie.
Elle le tenait, l'opprimait, le martyrisait. Ils se querellaient du
matin au soir, s'injuriaient et se battaient.
A la fin, il voulut en finir, rompre à tout prix. Il vendit toutes
ses toiles, emprunta de l'argent aux amis, réalisa vingt mille francs
(il était encore peu connu) et il les laissa un matin sur la cheminée
avec une lettre d'adieu.

Il vint se réfugier chez moi.
Vers trois heures de l'après-midi, on sonna. J'allai ouvrir. Une
femme me sauta au visage, me bouscula, entra et pénétra dans mon
atelier : c'était elle.

Il s'était levé en la voyant paraître.

Elle lui jeta aux pieds l'enveloppe contenant les billets de banque, avec un geste vraiment noble, et, d'une voix brève :

- Voici votre argent. Je n'en veux pas.
Elle était fort pâle, tremblante, prête assurément à toutes les
folies. Quant à lui, je le voyais pâlir aussi, pâlir de colère et
d'exaspération, prêt, peut-être, à toutes les violences.

Il demanda :

Qu'est-ce que vous voulez ?

Elle répondit :
- Je ne veux pas être traitée comme une fille. Vous m'avez
implorée, vous m'avez prise. Je ne vous demandais rien. Gardez-moi !

Il frappa du pied :

- Non, c'est trop fort ! Si tu crois que tu vas...

Je lui avais saisi le bras :

- Tais-toi, Jean. Laisse-moi faire.
J'allai vers elle, et doucement, peu à peu, je lui parlai raison,
je vidai le sac des arguments qu'on emploie en pareille circonstance.
Elle m'écoutait, immobile, l'oeil fixe, obstinée et muette.

A la fin, ne sachant plus que dire, et voyant que la scène allait mal finir, je m'avisai d'un dernier moyen. Je prononçai :

- Il t'aime toujours, ma petite ; mais sa famille veut le marier, et tu comprends !...

Elle eut un sursaut :

- Ah !... ah !... je comprends alors...

Et, se tournant vers lui :

- Tu vas... tu vas... te marier ?

Il répondit carrément :

- Oui.

Elle fit un pas :

- Si tu te maries, je me tue... tu entends.

Il prononça en haussant les épaules :

- Eh bien... tue-toi !

Elle articula deux ou trois fois, la gorge serrée par une angoisse effroyable :

- Tu dis ?... tu dis ?... tu dis ?... répète !

Il répéta :

- Eh bien, tue-toi, si cela te fait plaisir !

Elle reprit, toujours effrayante de pâleur :

- Il ne faudrait pas m'en défier. Je me jetterais par la fenêtre.
Il se mit à rire, s'avança vers la fenêtre, l'ouvrit, et, saluant
comme une personne qui fait des cérémonies pour ne point passer la
première :

- Voici la route. Après vous !
Elle le regarda une seconde d'un oeil fixe, terrible, affolé ;
puis, prenant son élan comme pour sauter une haie dans les champs, elle
passa devant moi, devant lui, franchit la balustrade et disparut...
Je n'oublierai jamais l'effet que me fit cette fenêtre ouverte,
après l'avoir vu traverser par ce corps qui tombait ; elle me parut en
une seconde grande comme le ciel et vide comme l'espace. Et je reculai
instinctivement, n'osant pas regarder, comme si j'allais tomber
moi-même.

Jean, éperdu, ne faisait pas un geste.

On rapporta la pauvre fille avec les deux jambes brisées. Elle ne marchera plus jamais.

Son amant, fou de remords et peut-être aussi touché de reconnaissance, l'a reprise et épousée.

Voilà, mon cher.
Le soir venait. La jeune femme, ayant froid, voulut partir ; et le
domestique se remit à rouler vers le village la petite voiture
d'invalide. Le peintre marchait à côté de sa femme, sans qu'ils eussent
échangé un mot, depuis une heure.

guy de maupassant

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Agathe

Professeur de langues dans le secondaire, je partage avec vous mes cours de linguistique !