Chapitres

  1. 01. Extrait d'un livre
Les meilleurs professeurs de Français disponibles
Cristèle
4.9
4.9 (85 avis)
Cristèle
100€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Sophie
4.9
4.9 (33 avis)
Sophie
50€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Julie
5
5 (97 avis)
Julie
75€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Adélie
5
5 (65 avis)
Adélie
50€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Albane
4.9
4.9 (144 avis)
Albane
75€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Jules
5
5 (35 avis)
Jules
70€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Angélique
5
5 (62 avis)
Angélique
25€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Chrys
5
5 (201 avis)
Chrys
87€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Cristèle
4.9
4.9 (85 avis)
Cristèle
100€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Sophie
4.9
4.9 (33 avis)
Sophie
50€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Julie
5
5 (97 avis)
Julie
75€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Adélie
5
5 (65 avis)
Adélie
50€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Albane
4.9
4.9 (144 avis)
Albane
75€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Jules
5
5 (35 avis)
Jules
70€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Angélique
5
5 (62 avis)
Angélique
25€
/h
Gift icon
1er cours offert !
Chrys
5
5 (201 avis)
Chrys
87€
/h
Gift icon
1er cours offert !
C'est parti

Extrait d'un livre

Tout le monde, dans Fécamp, connaissait l'histoire de la mère
Patin. Certes, elle n'avait pas été heureuse avec son homme, la mère
Patin ; car son homme la battait de son vivant, comme on bat le blé
dans les granges.

Il était patron d'une barque de pêche, et l'avait épousée, jadis, parce qu'elle était gentille, quoiqu'elle fût pauvre.
Patin, bon matelot, mais brutal, fréquentait le cabaret. du père
Auban, où il buvait, aux jours ordinaires, quatre ou cinq petits verres
de fil et, aux jours de chance à la mer, huit ou dix, et même plus,
suivant sa gaieté de coeur, disait-il.
Le fil était servi aux clients par la fille au père Auban, une
brune plaisante à voir et qui attirait le monde à la maison, par sa
bonne mine seulement, car on n'avait jamais jasé sur elle.
Patin, quand il entrait au cabaret, était content de la regarder et
lui tenait des propos de politesse, des propos tranquilles d'honnête
garçon. Quand il avait bu le premier verre de fil, il la trouvait déjà
plus gentille ; au second, il clignait de l'oeil ; au troisième, il
disait : "Si vous vouliez, mam'zelle Désirée..." sans jamais finir sa
phrase ; au quatrième, il essayait de la retenir par sa jupe pour
l'embrasser ; et, quand il allait jusqu'à dix, c'était le père Auban
qui servait les autres.
Le vieux chand de vin, qui connaissait tous les trucs, faisait
circuler Désirée entre les tables, pour activer la consommation ; et
Désirée, qui n'était pas pour rien la fille au père Auban, promenait sa
jupe autour des buveurs, et plaisantait avec eux, la bouche rieuse et
l'oeil malin.
A force de boire des verres de fil, Patin s'habitua si bien à la
figure de Désirée qu'il y pensait même à la mer, quand il jetait ses
filets à l'eau, au grand large, par les nuits de vent ou les nuits de
calme, par les nuits de lune ou les nuits de ténèbres. Il y pensait en
tenant sa barre, à l'arrière de son bateau, tandis que ses quatre
compagnons sommeillaient, la tête sur leur bras. Il la voyait toujours
lui sourire, verser l'eau-de-vie jaune avec un mouvement de l'épaule,
et puis s'en aller en disant :

- Voilà ! Êtes-vous satisfait ?
Et, à force de la garder ainsi dans son oeil et dans son esprit, il
fut pris d'une telle envie de l'épouser, que, n'y pouvant plus tenir,
il la demanda en mariage.
Il était riche, propriétaire de son embarcation, de ses filets et
d'une maison au pied de la côte sur la Retenue ; tandis que le père
Auban n'avait rien. Il fut donc agréé avec empressement, et la noce eut
lieu le plus vite possible, les deux parties ayant hâte que la chose
fût faite, pour des raisons différentes.
Mais, trois jours après le mariage conclu, Patin ne comprenait plus
du tout comment il avait pu croire Désirée différente des autres
femmes.. Vrai, fallait-il qu'il eût été bête pour s'embarrasser d'une
sans-le-sou qui l'avait enjôlé avec sa fine, pour sûr, de la fine où
elle avait mis, pour lui, quelque sale drogue.
Et il jurait tout le long des marées, cassait sa pipe entre ses
dents, bourrait son équipage ; et, ayant sacré à pleine bouche avec
tous les termes usités et contre tout ce qu'il connaissait, il
expectorait ce qui lui restait de colère au ventre sur les poissons et
les homards tirés un à un des filets, et ne les jetait plus dans les
mannes qu'en les accompagnant d'injures et de termes malpropres.
Puis, rentré chez lui, ayant à portée de la bouche et de la main sa
femme, la fille au père Auban, il ne tarda guère à la traiter comme la
dernière des dernières. Puis, comme elle l'écoutait résignée,
accoutumée aux violences paternelles, il s'exaspéra de son calme, et,
un soir, il cogna. Ce fut alors, chez lui, une vie terrible.
Pendant dix ans on ne parla sur la Retenue que des tripotées que
Patin flanquait à sa femme et que de sa manière de jurer, à tout
propos, en lui parlant. Il jurait, en effet, d'une façon particulière,
avec une richesse de vocabulaire et une sonorité d'organe qu'aucun
autre homme, dans Fécamp, ne possédait. Dès que son bateau se
présentait à l'entrée du port, en revenant de la pêche, on attendait la
première bordée qu'il allait lancer, de son pont sur la jetée, dès
qu'il aurait aperçu le bonnet blanc de sa compagne.
Debout, à l'arrière, il manoeuvrait, l'oeil sur l'avant et sur la
voile, aux jours de grosse mer, et malgré la préoccupation du passage
étroit et difficile, malgré les vagues de fond qui entraient comme des
montagnes dans l'étroit couloir, il cherchait, au milieu des femmes
attendant les marins, sous l'écume des lames, à reconnaître la sienne,
la fille au père Auban, la gueuse !
Alors, dès qu'il l'avait vue, malgré le bruit des flots, et du
vent, il lui jetait une engueulade avec une telle force de gosier, que
tout le monde en riait, bien qu'on la plaignît fort. Puis, quand le
bateau arrivait à quai, il avait une manière de décharger son lest de
politesse, comme il disait, tout en débarquant son poisson, qui
attirait autour de ses amarres tous les polissons et tous les
désoeuvrés du port.
Cela sortait de la bouche, tantôt comme des coups de canon,
terribles et courts, tantôt comme des coups de tonnerre qui roulaient
durant cinq minutes un tel ouragan de gros mots, qu'il semblait avoir
dans les poumons tous les orages du Père Eternel.
Puis, quand il avait quitté son bord et qu'il se trouvait face à
face avec elle au milieu des curieux et des harengères, il repêchait à
fond de cale toute une cargaison nouvelle d'injures et de duretés, et
il la reconduisait ainsi jusqu'à leur logis, elle devant, lui derrière,
elle pleurant, lui criant,
Alors, seul avec elle, les portes fermées, il tapait sous le
moindre prétexte. Tout lui suffisait pour lever la main et, dès qu'il
avait commencé, il ne s'arrêtait plus, en lui crachant alors au visage
les vrais motifs de sa haine. A chaque gifle, à chaque horion il
vociférait : "Ah ! sans-le-sou, ah ! va-nu-pieds, ah ! crève-la-faim,
j'en ai fait un joli coup le jour où je me suis rincé la bouche avec le
tord-boyaux de ton filou de père !"
Elle vivait, maintenant, la pauvre femme, dans une épouvante
incessante, dans un tremblement continu de l'âme et du corps, dans une
attente éperdue des outrages et des rossées.,
Et cela dura dix ans. Elle était si craintive qu'elle pâlissait en
parlant à n'importe qui, et qu'elle ne pensait plus à rien qu'aux coups
dont elle était menacée, et qu'elle était devenue plus maigre, jaune et
sèche qu'un poisson fumé.

 

 

 

II

 

Une nuit, son homme étant à la mer, elle fut réveillée tout à coup
par ce grognement de bête que fait le vent quand il arrive ainsi qu'un
chien lâché ! Elle s'assit dans son lit, émue, puis, n'entendant plus
rien se recoucha ; mais, presque aussitôt, ce fut dans sa cheminée un
mugissement qui secouait la maison tout entière, et cela s'étendit par
tout le ciel comme si un troupeau d'animaux furieux eût traversé
l'espace en soufflant et en beuglant.
Alors elle se leva et courut au port. D'autres femmes y arrivaient
de tous les côtés avec des lanternes. Les hommes accouraient et tous
regardaient s'allumer dans la nuit, sur la mer, les écumes au sommet
des vagues.

La tempête dura quinze heures. Onze matelots ne revinrent pas, et Patin fut de ceux-là.

On retrouva, du côté de Dieppe, des débris de la Jeune-Amélie,
sa barque. On ramassa, vers Saint-Valéry, les corps de ses matelots,
mais on ne découvrit jamais le sien. Comme la coque de l'embarcation
semblait avoir été coupée en deux, sa femme, pendant longtemps,
attendit et redouta son retour ; car, si un abordage avait eu lieu, il
se pouvait faire que le bâtiment abordeur, l'eût recueilli, lui seul,
et emmené au loin.
Puis, peu à peu, elle s'habitua à la pensée qu'elle était veuve,
tout en tressaillant chaque fois qu'une voile, qu'un pauvre, ou qu'un
marchand ambulant entrait brusquement chez elle.
Or, un après-midi, quatre ans environ après la disparition de son
homme, elle s'arrêta, en suivant la rue aux Juifs, devant la maison
d'un vieux capitaine, mort récemment, et dont on vendait les meubles.
Juste en ce moment, on adjugeait un perroquet, un perroquet vert à
tête bleue, qui regardait tout ce monde d'un air mécontent et inquiet.

- Trois francs ! criait le vendeur ; un oiseau qui parle comme un avocat, trois francs

Une amie de la Patin lui poussa le coude :
- Vous devriez acheter ça, vous qu'êtes riche, dit-elle. Ça vous
tiendrait compagnie ; il vaut plus de trente francs, c't oiseau-là.
Vous le revendrez toujours ben vingt à vingt-cinq !
- Quatre francs ! mesdames, quatre francs ! répétait l'homme. Il
chante vêpres et prêche comme M. le curé. C'est un phénomène... un
miracle !

La Patin ajouta cinquante centimes et on lui remit, dans une petite cage, la bête au nez crochu, qu'elle emporta.
Puis elle l'installa chez elle et, comme elle ouvrait la porte de
fil de fer pour offrir à boire à l'animal, elle reçut, sur le doigt, un
coup de bec qui coupa la peau et fit venir le sang.

- Ah ! qu'il est mauvais, dit-elle.
Elle lui présenta cependant du chènevis et du maïs, puis le laissa
lisser ses plumes en guettant d'un air sournois sa nouvelle maison et
sa nouvelle maîtresse.
Le jour commençait à poindre, le lendemain, quand la Patin
entendit, de la façon la plus nette, une voix, une voix forte, sonore,
roulante, la voix de Patin, qui criait :

- Te lèveras-tu, charogne !
Son épouvante fut telle qu'elle se cacha la tête sous ses draps,
car, chaque matin, jadis, dès qu'il avait ouvert les yeux, son défunt
les lui hurlait dans l'oreille, ces quatre mots qu'elle connaissait
bien.
Tremblante, roulée en boule, le dos tendu à la rosée quelle
attendait déjà, elle murmurait, la figure cachée dans la couche :

- Dieu Seigneur, le v'là ! Dieu Seigneur, le v'là ! Il est r'venu, Dieu Seigneur !
Les minutes passaient ; aucun bruit ne troublait plus le silence de
la chambre. Alors, en frémissant, elle sortit sa tête du lit, sûre
qu'il était là, guéttant, prêt à battre.

Elle ne vit rien, rien qu'un trait de soleil passant par la vitre et elle pensa :

- Il est caché, pour sûr.

Elle attendit longtemps, puis, un peu rassurée, songea :

- Faut croire que j'ai rêvé, puisqu'il n'se montre point.
Elle refermait les yeux, un peu rassurée, quand éclata, tout près,
la voix furieuse, la voix de tonnerre du noyé qui vociférait :

- Nom d'un nom, d'un nom, d'un nom, d'un nom, te lèveras-tu, ch...
Elle bondit hors du lit, soulevée par l'obéissance, par sa passive
obéissance de femme rouée de coups, qui se souvient encore, après
quatre ans, et qui se souviendra toujours, et qui obéira toujours à
cette voix-là ! Et elle dit :

- Me v'là, Patin ; qué que tu veux ?

Mais Patin ne répondit pas.
Alors, éperdue, elle regarda autour d'elle, puis elle chercha
partout, dans les armoires, dans la cheminée, sous le lit, sans trouver
personne, et elle se laissa choir enfin sur une chaise, affolée
d'angoisse, convaincue que l'âme de Patin, seule, était là, près
d'elle, revenue pour la torturer.
Soudain, elle se rappela le grenier, où on pouvait monter du dehors
par une échelle. Assurément, il s'était caché là pour la surprendre. Il
avait dû, gardé par des sauvages sur quelque côte, ne pouvoir
s'échapper plus tôt, et il était revenu, plus méchant que jamais. Elle
n'en pouvait douter, rien qu'au timbre de sa voix.

Elle demanda, la tête levée vers le plafond :

- T'es-ti là-haut, Patin ?

Patin ne répondit pas.
Alors elle sortit et, avec une peur affreuse qui lui secouait le
coeur, elle monta l'échelle, ouvrit la lucarne, regarda, ne vit rien,
entra, chercha et ne trouva pas.
Assise sur une botte de paille, elle se mit à pleurer ; mais,
pendant qu'elle sanglotait, traversée d'une terreur poignante et
surnaturelle, elle entendit, dans sa chambre, au-dessous d'elle, Patin
qui racontait des choses. Il semblait moins en colère, plus tranquille,
et il disait :

- Sale temps ! - Gros vent ! - Sale temps ! - J'ai pas déjeuné, nom d'un nom !

Elle cria à travers le plafond :

- Me v'là, Patin ; j'vas te faire la soupe. Te fâche pas, j'arrive.

Et elle redescendit en courant.

Il n'y avait personne chez elle.
Elle se sentit défaillir comme si la Mort la touchait, et elle
allait se sauver pour demander secours aux voisins, quand la voix, tout
près de son oreille, cria :

- J'ai pas déjeuné, nom d'un nom !

Et le perroquet, dans sa cage, la regardait de son oeil rond, sournois et mauvais.

Elle aussi, le regarda, éperdue, murmurant :

- Ah ! c'est toi !

Il reprit, en remuant sa tête :

- Attends, attends, attends, je vas t'apprendre à fainéanter !
Que se passa-t-il en elle ? Elle sentit, elle comprit que c'était
bien lui, le mort, qui revenait, qui s'était caché dans les plumes de
cette bête pour recommencer à la tourmenter, qu'il allait jurer, comme
autrefois, tout le jour, et la mordre, et crier des injures pour
ameuter les voisins et les faire rire. Alors elle se rua, ouvrit la
cage, saisit l'oiseau qui, se défendant, lui arrachait la peau avec son
bec et avec ses griffes. Mais elle le tenait de toute sa force, à deux
mains, et, se jetant par terre, elle se roula dessus avec une frénésie
de possédée, l'écrasa, en fit une loque de chair, une petite chose
molle, verte, qui ne remuait plus, qui ne parlait plus, et qui
pendait ; puis, l'ayant enveloppée d'un torchon comme d'un linceul,
elle sortit, en chemise, nu-pieds, traversa le quai, que la mer battait
de courtes vagues, et, secouant le linge, elle laissa tomber dans l'eau
cette petite chose morte qui ressemblait à un peu d'herbe ; puis elle
rentra, se jeta à genoux devant la cage vide, et, bouleversée de ce
qu'elle avait fait, demanda pardon au bon Dieu, en sanglotant, comme si
elle venait de commettre un horrible crime.

guy de maupassant

Vous avez aimé cet article ? Notez-le !

Aucune information ? Sérieusement ?Ok, nous tacherons de faire mieux pour le prochainLa moyenne, ouf ! Pas mieux ?Merci. Posez vos questions dans les commentaires.Un plaisir de vous aider ! :) 5.00 (1 note(s))
Loading...

Agathe

Professeur de langues dans le secondaire, je partage avec vous mes cours de linguistique !