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  1. 01. Extrait
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C'est parti

Extrait

Jeanne allait épouser son cousin Jacques. Ils se connaissaient
depuis l'enfance et l'amour ne prenait point entre eux les formes
cérémonieuses qu'il garde généralement dans le monde. Ils avaient été
élevés ensemble sans se douter qu'ils s'aimaient. La jeune fille, un
peu coquette, faisait bien quelques agaceries innocentes au jeune
homme ; elle le trouvait gentil, en outre, et bon garçon, et chaque
fois qu'elle le revoyait, elle l'embrassait de tout son coeur, mais
sans frisson, sans ce frisson qui semble plisser la chair, du bout des
mains au bout des pieds.
Lui, il pensait tout simplement : "Elle est mignonne, ma petite
cousine" ; et il songeait à elle avec cette espèce d'attendrissement
instinctif qu'un homme éprouve toujours pour une jolie fille. Ses
réflexions n'allaient pas plus loin.
Puis voilà qu'un jour Jeanne entendit par hasard sa mère dire à sa
tante (à sa tante Alberte, car la tante Lison était restée vieille
fille) : "Je t'assure qu'ils s'aimeront tout de suite, ces enfants-là ;
ça se voit. Quant à moi, Jacques est absolument le gendre que je rêve."

Et immédiatement Jeanne s'était mise à adorer son cousin Jacques.
Alors elle avait rougi en le voyant, sa main avait tremblé dans la main
du jeune homme ; ses yeux se baissaient quand elle rencontrait son
regard, et elle faisait des manières pour se laisser embrasser par
lui ; si bien qu'il s'était aperçu de tout cela. Il avait compris, et
dans un élan ou se trouvait autant de vanité satisfaite que d'affection
véritable, il avait saisi à pleins bras sa cousine en lui soufflant
dans l'oreille : "Je t'aime, je t'aime !"
A partir de ce jour, ça n'avait été que roucoulements, galanteries,
etc., un déploiement de toutes les façons amoureuses que leur intimité
passée rendait sans gêne et sans embarras. Au salon, Jacques embrassait
sa fiancée devant les trois vieilles femmes, les trois soeurs, sa mère,
la mère de Jeanne, et sa tante Lison. Il se promenait avec elle, seuls
tous deux, des jours entiers dans les bois, le long de la petite
rivière, à travers les prairies humides où l'herbe était criblée de
fleurs des champs. Et ils attendaient le moment fixé pour leur union,
sans impatience trop vive, mais enveloppés, roulés dans une tendresse
délicieuse, savourant le charme exquis des insignifiantes caresses, des
doigts pressés, des regards passionnés, si longs que les âmes semblent
se mêler ; et vaguement tourmentés par le désir encore indécis des
grandes étreintes, sentant comme des inquiétudes à leurs lèvres qui
s'appelaient, semblaient se guetter, s'attendre, se promettre.
Quelquefois, quand ils avaient passé tout le jour dans cette sorte
de tiédeur passionnée, dans ces platoniques tendresses, ils avaient, au
soir, comme une courbature singulière, et ils poussaient tous les deux
de profonds soupirs, sans savoir pourquoi, sans comprendre, des soupirs
gonflés d'attente.
Les deux mères et leur soeur, tante Lison, regardaient ce jeune
amour avec un attendrissement souriant. Tante Lison surtout semblait
tout émue à les voir.
C'était une petite femme qui parlait peu, s'effaçait toujours, ne
faisait point de bruit, apparaissait seulement aux heures des repas,
remontait ensuite dans sa chambre où elle restait enfermée sans cesse.
Elle avait un air bon et vieillot, un oeil doux et triste, et ne
comptait presque pas dans la famille.
Les deux soeurs, qui étaient veuves, ayant tenu une place dans le
monde, la considéraient un peu comme un être insignifiant. On la
traitait avec une familiarité sans gêne que cachait une sorte de bonté
un peu méprisante pour la vieille fille. Elle s'appelait Lise, étant
née aux jours où Béranger régnait sur la France. Quand on avait vu
qu'elle ne se mariait pas, qu'elle ne se marierait sans doute point, de
Lise on avait fait Lison. Aujourd'hui elle était "tante Lison", une
humble vieille proprette, affreusement timide même avec les siens, qui
l'aimaient d'une affection participant de l'habitude, de la compassion
et d'une indifférence bienveillante.
Les enfants ne montaient jamais l'embrasser dans sa chambre. La
bonne seule pénétrait chez elle. On l'envoyait chercher pour lui
parler. C'est à peine si on savait où était située cette chambre, cette
chambre où s'écoulait solitairement toute cette pauvre vie. Elle ne
tenait point de place. Quand elle n'était pas là, on ne parlait jamais
d'elle, on ne songeait jamais à elle. C'était un de ces êtres effacés
qui demeurent inconnus même à leurs proches, comme inexplorés, et dont
la mort ne fait ni trou ni vide dans une maison, un de ces êtres qui ne
savent entrer ni dans l'existence ni dans les habitudes, ni dans
l'amour de ceux qui vivent à côté d'eux.
Elle marchait toujours à petits pas pressés et muets, ne faisait
jamais de bruit, ne heurtait jamais rien, semblait communiquer aux
objets la propriété de ne rendre aucun son ; ses mains paraissaient
faites d'une espèce d'ouate, tant elles maniaient légèrement et
délicatement ce qu'elles touchaient.
Quand on prononçait : "Tante Lison", ces deux mots n'éveillaient
pour ainsi dire aucune pensée dans l'esprit de personne. C'est comme si
on avait dit : "La cafetière" ou "Le sucrier".
La chienne Loute possédait certainement une personnalité beaucoup
plus marquée ; on la câlinait sans cesse, on l'appelait : "Ma chère
Loute, ma belle Loute, ma petite Loute." 0n la pleurerait infiniment
plus.
Le mariage des deux cousins devait avoir lieu à la fin du mois de
mai. Les jeunes gens vivaient les yeux dans les yeux, les mains dans
les mains, la pensée dans la pensée, le coeur dans le coeur. Le
printemps, tardif cette année, hésitant, grelottant jusque-là sous les
gelées claires des nuits et la fraîcheur brumeuse des matinées, venait
de jaillir tout à coup.
Quelques jours chauds, un peu voilés, avaient remué toute la sève
de la terre, ouvrant les feuilles comme par miracle, et répandant
partout cette bonne odeur amollissante des bourgeons et des premières
fleurs.
Puis, un après-midi, le soleil victorieux, séchant enfin les buées
flottantes, s'était étalé, rayonnant sur toute la plaine. Sa gaieté
claire avait empli la campagne, avait pénétré partout, dans les
plantes, les bêtes et les hommes. Les oiseaux amoureux voletaient,
battaient des ailes, s'appelaient. Jeanne et Jacques, oppresses d'un
bonheur délicieux, mais plus timides que de coutume, inquiets de ces
tressaillements nouveaux qui entraient en eux avec la fermentation des
bois, étaient restés tout le jour côte à côte sur un banc devant la
porte du château, n'osant plus s'éloigner seuls, et regardant d'un oeil
vague, là-bas, sur la pièce d'eau, les grands cygnes qui se
poursuivaient.
Puis, le soir venu, ils s'étaient sentis apaisés, plus tranquilles,
et, après le dîner, s'étaient accoudés, en causant doucement, à la
fenêtre ouverte du salon, tandis que leurs mères jouaient au piquet
dans la clarté ronde que formait l'abat-jour de la lampe, et que tante
Lison tricotait des bas pour les pauvres du pays.
Une haute futaie s'étendait au loin, derrière l'étang, et, dans le
feuillage encore menu des grands arbres, la lune tout à coup s'était
montrée. Elle avait peu à peu monté à travers les branches qui se
dessinaient sur son orbe, et, gravissant le ciel, au milieu des étoiles
qu'elle effaçait, elle s'était mise à verser sur le monde cette lueur
mélancolique ou flottent des blancheurs et des rêves, si chère aux
attendris, aux poètes, aux amoureux.
Les jeunes gens l'avaient regardée d'abord, puis, tout imprégnés
par la douceur tendre de la nuit, par cet éclairement vaporeux des
gazons et des massifs, ils étaient sortis à pas lents et ils se
promenaient sur la grande pelouse blanche jusqu'à la pièce d'eau qui
brillait.
Lorsqu'elles eurent terminé les quatre parties de piquet de tous
les soirs, les deux mères, s'endormant peu à peu, eurent envie de se
coucher.

"Il faut appeler les enfants", dit l'une.

L'autre, d'un coup d'oeil, parcourut l'horizon pâle où deux ombres erraient doucement :

"Laisse-les donc, reprit-elle, il fait si bon dehors ! Lison va les attendre ; n'est-ce pas, Lison ?"

La vieille fille releva ses yeux inquiets, et répondit de sa voix timide :

"Certainement, je les attendrai."

Et les deux soeurs gagnèrent leur lit.
Alors tante Lison à son tour se leva, et, laissant sur le bras du
fauteuil l'ouvrage commencé, sa laine et la grande aiguille, elle vint
s'accouder à la fenêtre et contempla la nuit charmante.
Les deux amoureux allaient sans fin, à travers le gazon, de l'étang
jusqu'au perron, du perron jusqu'à l'étang. Ils se serraient les doigts
et ne parlaient plus, comme sortis d'eux-mêmes, mêlés à la poésie
visible qui s'exhalait de la terre. Jeanne tout à coup aperçut dans le
cadre de la fenêtre la silhouette de la vieille fille que dessinait la
clarté de la lampe.

"Tiens, dit-elle, tante Lison qui nous regarde."

Jacques leva la tête.

"0ui, reprit-il, tante Lison nous regarde."

Et ils continuèrent à rêver, à marcher lentement, à s'aimer.

Mais la rosée couvrait l'herbe. Ils eurent un petit frisson de fraîcheur.

"Rentrons, maintenant", dit-elle.

Et ils revinrent.
Lorsqu'ils pénétrèrent dans le salon, tante Lison s'était remise à
tricoter ; elle avait le front penché sur son travail, et ses petits
doigts maigres tremblaient un peu comme s'ils eussent été très
fatigués.

Jeanne s'approcha :

"Tante, nous allons dormir, maintenant."
La vieille fille tourna les yeux. Ils étaient rouges comme si elle
eût pleuré. Jacques et sa fiancée n'y prirent point garde. Mais le
jeune homme aperçut les fins souliers de la jeune fille tout couverts
d'eau. Il fut saisi d'inquiétude et demanda tendrement :

"N'as-tu point froid à tes chers petits pieds ?"
Et tout à coup les doigts de la tante furent secoués d'un
tremblement si fort que son ouvrage s'en échappa ; la pelote de laine
roula au loin sur le parquet ; et cachant brusquement sa figure dans
ses mains, la vieille fille se mit à pleurer par grands sanglots
convulsifs.

Les deux enfants s'élancèrent vers elle ; Jeanne, à genoux, écarta ses bras, bouleversée, répétant :

"Qu'as-tu, tante Lison ? Qu'as-tu, tante Lison ?..."

Alors, la pauvre vieille, balbutiant, avec la voix toute mouillée de larmes et le corps crispé de chagrin, répondit :
"C'est... c'est... quand il t'a demandé : "N'as-tu point froid...
à... tes chers petits pieds ?..." 0n ne m'a jamais... jamais dit de ces
choses-là, à moi !... jamais !... jamais !"

guy de maupassant

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Agathe

Professeur de langues dans le secondaire, je partage avec vous mes cours de linguistique !