HÉMON, entre en criant.

Père !

CRÉON, court à lui, l'embrasse.

Oublie-la, Hémon ; oublie-la, mon petit.

HÉMON

Tu es fou, père. Lâche-moi.

CRÉON, le tient plus fort.

J'ai tout essayé pour la sauver, Hémon. J'ai tout essayé, je te le jure. Elle ne t'aime pas. Elle aurait pu vivre. Elle a préféré sa folie et la mort.

HÉMON, crie, tentant de s'arracher à son étreinte.

Mais, père, tu vois bien qu'ils l'emmenent ! Père, ne laisse pas ces hommes l'emmener !

CRÉON

Elle a parlé maintenant. Tout Thèbes sait ce qu'elle a fait. Je suis obligé de la faire mourir.

HÉMON, s'arrache de ses bras.

Lâche-moi !

Un silence. Ils sont l'un en face de l'autre. Ils se regardent.

LE CHŒUR, s'approche.

Est-ce qu'on ne peut pas imaginer quelque chose, dire qu'elle est folle, l'enfermer ?

CRÉON

Ils diront que ce n'est pas vrai. Que je la sauve parce qu'elle allait être la femme de mon fils. Je ne peux pas.

LE CHŒUR

Est-ce qu'on ne peut pas gagner du temps, la faire fuir demain ?

CRÉON

La foule sait déjà, elle hurle autour du palais. je ne peux pas.

HÉMON

Père, la foule n'est rien. Tu es le maître.

CRÉON

Je suis le maître avant la loi. Plus après.

HÉMON

Père, je suis ton fils, tu ne peux pas me la laisser prendre.

CRÉON

Si, Hémon. Si, mon petit. Du courage. Antigone ne peut plus vivre. Antigone nous a déjà quittés tous.

HÉMON

Crois-tu que je pourrai vivre, moi, sans elle ? Crois-tu que je l'accepterai, votre vie ? Et tous les jours, depuis le matin jusqu'au soir, sans elle. Et votre agitation, votre bavardage, votre vide, sans elle.

CRÉON

Il faudra bien que tu acceptes, Hémon. Chacun de nous a un jour, plus ou moins triste, plus ou moins lointain, où il doit enfin accepter d'être un homme. Pour toi, c'est aujourd'hui… Et te voilà devant moi avec ces larmes au bord de tes yeux et ton cœur qui te fait mal -mon petit garçon, pour la dernière fois… Quand tu te seras détourné, quand tu auras franchi ce seuil tout à l'heure, ce sera fini.

HÉMON, recule un peu, et dit doucement.

C'est déjà fini.

CRÉON

Ne me juge pas, Hémon. Ne me juge pas, toi aussi.

HÉMON, le regarde, et dit soudain.

Cette grande force et ce courage, ce dieu géant qui m'enlevait dans ses bras et me sauvait des monstres et des ombres, c'était toi ? Cette odeur défendue et ce bon pain du soir sous la lampe, quand tu me montrais des livres dans ton bureau, c'était toi, tu crois ?

CRÉON, humblement.

Oui, Hémon.

Hémon.

Tous ces soins, tout cet orgueil, tous ces livres pleins de héros, c'était donc pour en arriver là ? Etre un homme, comme tu dis, et trop heureux de vivre ?

CRÉON,

Oui, Hémon.

Hémon, crie soudain comme un enfant, se jetant dans ses bras.

Père, ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas toi, ce n'est pas aujourd'hui ! Nous ne sommes pas tous les deux au pied de ce mur où il faut seulement dire oui. Tu es encore puissant, toi, comme lorsque j'étais petit. Ah ! je t'en supplie, père, que je t'admire, que je t'admire encore ! Je suis trop seul et le monde est trop nu si je ne peux plus t'admirer.

CRÉON, le détache de lui.

On est tout seul, Hémon. Le monde est nu. Et tu m'as admiré trop longtemps. Regarde-moi, c'est cela devenir un homme, voir le visage de son père en face, un jour.

HÉMON, le regarde, puis recule en criant.

Antigone ! Antigone ! Au secours !

Il est sorti en courant.

LE CHŒUR, va à Créon.

Créon, il est sorti comme un fou.

CRÉON, qui regarde au loin, droit devant lui, immobile.

Oui. Pauvre petit, il l'aime.

LE CHŒUR

Créon, il faut faire quelque chose.

CRÉON

Je ne peux plus rien.

LE CHŒUR

Il est parti, touché à mort.

CRÉON, sourdement.

Oui, nous sommes tous touchés à mort.

Antigone entre dans la pièce, poussée par les gardes qui s'arc-boutent contre la porte, derrière laquelle on devine la foule hurlante.

LE GARDE

Chef, ils envahissent le palais !

ANTIGONE

Créon, je ne veux plus voir leurs visages, je ne veux plus entendre leurs cris, je ne veux plus voir personne ! Tu as ma mort maintenant, c'est assez. Fais que je ne voie plus personne jusqu'à ce que ce soit fini.

CRÉON, sort en criant aux gardes.

La garde aux portes ! Qu'on vide le palais ! Reste ici avec elle, toi.

Les deux autres gardes sortent, suivis par le chœur.

Vous avez aimé cet article ? Notez-le !

Aucune information ? Sérieusement ?Ok, nous tacherons de faire mieux pour le prochainLa moyenne, ouf ! Pas mieux ?Merci. Posez vos questions dans les commentaires.Un plaisir de vous aider ! :) 4.00 (4 note(s))
Loading...

Agathe

Professeur de langues dans le secondaire, je partage avec vous mes cours de linguistique !