Chapitres
L'extrait commenté
ANTIGONE : Il faut être sergent pour être garde ?
LE GARDE : En principe, oui. Sergent ou avoir suivi le peloton spécial. Devenu garde, le sergent perd son grade. Un exemple : je rencontre une recrue de l'armée, elle peut ne pas me saluer.
ANTIGONE : Ah oui ?
LE GARDE : Oui. Remarquez que, généralement, elle le fait. La recrue sait que le garde est un gradé. Question solde : on a la solde ordinaire du garde, comme ceux du peloton spécial, et, pendant six mois, à titre de gratification, un rappel de supplément de la solde de sergent. Seulement, comme garde, on a d'autres avantages. Logement, chauffage, allocations. Finalement, le garde marié avec deux enfants arrive à se faire plus que le sergent de l'active.
ANTIGONE : Ah oui ?
LE GARDE : Oui. C'est ce qui vous explique la rivalité entre le garde et le sergent. Vous avez peut-être pu remarquer que le sergent affecte de mépriser le garde. Leur grand argument, c'est l'avancement. D'un sens, c'est juste. L'avancement du garde est plus lent et plus difficile que dans l'armée. Mais vous ne devez pas oublier qu'un brigadier des gardes, c'est autre chose qu'un sergent chef.
ANTIGONE (lui dit soudain) : Écoute...
LE GARDE : Oui.
ANTIGONE : Je vais mourir tout à l'heure.
LE GARDE (Le garde ne répond pas. Un silence. Il fait les cent pas. Au bout d'un moment, il reprend.) : D'un autre côté, on a plus de considération pour le garde que pour le sergent de l'active. Le garde, c'est un soldat, mais c'est presque un fonctionnaire.
ANTIGONE : Tu crois qu'on a mal pour mourir ?
LE GARDE : Je ne peux pas vous dire. Pendant la guerre, ceux qui étaient touchés au ventre, ils avaient mal. Moi, je n'ai jamais été blessé. Et, d'un sens, ça m'a nui pour l'avancement.
ANTIGONE : Comment vont-ils me faire mourir ?
LE GARDE : Je ne sais pas. Je crois que j'ai entendu dire que pour ne pas souiller la ville de votre sang, ils allaient vous murer dans un trou.
ANTIGONE : Vivante ?
LE GARDE : Oui, d'abord. (Un silence. Le garde se fait une chique.)
ANTIGONE : Ô tombeau ! Ô lit nuptial ! Ô ma demeure souterraine !... (Elle est toute petite au milieu de la grande pièce nue. On dirait qu'elle a un peu froid. Elle s'entoure de ses bras. Elle murmure.) Toute seule...
LE GARDE (qui a fini sa chique) : Aux cavernes de Hadès, aux portes de la ville. En plein soleil. Une drôle de corvée encore pour ceux qui seront de faction. Il avait d'abord été question d'y mettre l'armée. Mais, aux dernières nouvelles, il paraît que c'est encore la garde qui fournira les piquets. Elle a bon dos, la garde ! Étonnez-vous après qu'il existe une jalousie entre le garde et le sergent d'active...
Méthode du commentaire composé
On rappellera ici la méthode du commentaire composé vu en cours francais :
Partie du commentaire | Visée | Informations indispensables | Écueils à éviter |
---|---|---|---|
Introduction | - Présenter et situer le texte dans le roman - Présenter le projet de lecture (= annonce de la problématique) - Présenter le plan (généralement, deux axes) | - Renseignements brefs sur l'auteur - Localisation du passage dans l'œuvre (début ? Milieu ? Fin ?) - Problématique (En quoi… ? Dans quelle mesure… ?) - Les axes de réflexions | - Ne pas problématiser - Utiliser des formules trop lourdes pour la présentation de l'auteur |
Développement | - Expliquer le texte le plus exhaustivement possible - Argumenter pour justifier ses interprétations (le commentaire composé est un texte argumentatif) | - Etude de la forme (champs lexicaux, figures de styles, etc.) - Etude du fond (ne jamais perdre de vue le fond) - Les transitions entre chaque idée/partie | - Construire le plan sur l'opposition fond/forme : chacune des parties doit impérativement contenir des deux - Suivre le déroulement du texte, raconter l'histoire, paraphraser - Ne pas commenter les citations utilisées |
Conclusion | - Dresser le bilan - Exprimer clairement ses conclusions - Elargir ses réflexions par une ouverture (lien avec une autre œuvre ? Événement historique ? etc.) | - Les conclusions de l'argumentation | - Répéter simplement ce qui a précédé |
Ici, nous détaillerons par l'italique les différents moments du développement, mais ils ne sont normalement pas à signaler. De même, il ne doit normalement pas figurer de tableaux dans votre commentaire composé. Les listes à puces sont également à éviter, tout spécialement pour l'annonce du plan.
Remarque : nous visons ici l'exhaustivité et tentons de citer un maximum de choses pour appuyer notre propos. Vous n'aurez jamais le temps de tout repérer et de tout écrire le jour de l'épreuve !
Commentaire composé de l'extrait
Introduction
Jean Anouilh fit représenter en 1944 une réécriture de la pièce du dramaturge Grec Sophocle, Antigone. Une telle date, qui correspond à l'Occupation de la France par les nazis, est évidemment lourde de sens, au regard du sujet de la pièce. C'est l'histoire de la fille d'Œdipe qui se révolte contre la loi humaine interdisant d'enterrer le corps de son frère Polynice, ancien tyran de Thèbes.
Antigone bravera cette loi et enterrera son frère, pour s'indigner de l'absurdité des lois qui dirigent les Hommes. Mais elle se fera prendre et Créon, le roi, est obligé de la pendre, conformément au droit de la cité.
Dans l'extrait qui nous occupe, Antigone, dans l'attente de sa mort, s'entretient avec le garde chargé de la surveiller. Elle cherche une oreille réconfortante, au moment où les remords et les regrets la prennent. C'est une scène ajouté par Anouilh, par rapport à la pièce originale ; le dramaturge semble ainsi vouloir souligner un peu plus l'absurdité tragique de sa lutte.
Annonce de la problématique
Dès lors, en quoi cette scène présente-elle Antigone comme une héroïne tragiquement moderne ?
Annonce des axes
Nous verrons dans un premier temps que le dialogue entre les deux personnages est impossible. Nous mettrons ensuite en évidence la déréliction (= état de la personne qui se sent abandonnée, privée de tout secours) d'Antigone.
Développement
Un dialogue impossible
Alors que cette scène se présente sous la forme d'un dialogue, avec deux personnes discutant sans personne autour, l'analyse nous montre qu'en réalité, il n'y a aucune discussion entre les deux interlocuteurs. Le garde est odieux et l'impression finale, c'est le grotesque de la scène.
L'apparence du dialogue
C'est Antigone qui sollicite le dialogue. Outre le fait que l'extrait commence par l'une de ses répliques, c'est surtout l'abondance de formules interrogatives issues de celles-ci qui nous le montre : « Il faut être sergent pour être garde ? », « Ah oui ? », « Tu crois qu'on a mal pour mourir ? », etc.
Ces questions appellent des réponses, que le garde donne par des longues répliques, mais qui ne sont jamais réellement pertinentes :
- il y a des formules négatives, telles que « je ne sais pas », « je ne peux pas vous dire »
- il y a des absences de réponse pures et simples, comme le montrent les didascalies « silence »
- il y a l'égocentrisme du garde, qui ramène tout à lui : on relève la fréquence de la première personne du singulier (« je », « m' », « moi ») - ces termes étant souvent mis en valeur par leur place dans la phrase : « Moi, je n'ai jamais été blessé » ou « Je risquerais gros, moi, à ce petit jeu-là »
- il y a également des répétitions, comme si le dialogue n'avançait pas, telles que le « Ah oui ? » d'Antigone
En dernier lieu, on peut relever par deux fois des points de suspension dans les répliques d'Antigone, qui montrent que le garde lui coupe la parole :
- ANTIGONE (lui dit soudain) : Écoute...
- (Elle est toute petite au milieu de la grande pièce nue. On dirait qu'elle a un peu froid. Elle s'entoure de ses bras. Elle murmure.) Toute seule...
Cela contribue à faire du garde quelqu'un d'antipathique, absolument aveugle à la douleur de la condamnée à mort.
Un interlocuteur antipathique
Le garde se révèle en effet un piètre confident, en plusieurs endroits :
- il est égocentrique, comme nous l'avons relevé
- il insiste sur les détails sordides de la mort, faisant fi de la sensibilité d'une femme qui s'apprête à vivre cette expérience terrible ; on peut à ce titre relever le champ lexical de l'horreur, issu de ses répliques : « souiller », « sang », « murer », etc. Il lui décrit les moindres détails sans faire cas de la situation.
- il ne l'écoute pas et s'écoute plutôt parler : lorsque l'on croit qu'Antigone commence une déclamation tragique, le garde ne faisait que finir sa chique, et recommence à parler
Enfin, alors qu'il est face à une personne qui s'apprête à mourir, c'est-à-dire à connaître la pire des souffrances, lui se plaint de la corvée à venir :
« Aux cavernes de Hadès, aux portes de la ville. En plein soleil. Une drôle de corvée encore pour ceux qui seront de faction. »
L'attitude du garde est réellement grotesque : il ne prend pas la mesure de la situation et, du même coup, la mort d'Antigone paraît devenir une gigantesque farce sans importance...
Une scène grotesque
Il faut se rendre compte du moment de cette scène : Antigone est emprisonnée pour s'être révoltée contre des lois humaines qu'elle trouve absurdes, et cette révolte la condamne à la mort. C'est la première fois de la pièce où semble poindre un regret chez elle, une prise de distance - et le garde lui parle de la logistique d'avancement en grade !
C'est un garde insignifiant - d'ailleurs appelé « Le garde » plutôt que par un prénom ou un nom - face à cette héroïne dont le souvenir a traversé les siècles. Il faut alors se souvenir qu'il s'agit d'une réécriture et que, dès lors, Anouilh joue lui-même avec la renommée de la pièce qu'il fait rejouer. Et pourtant, ce soldat inconnu se comporte comme s'il discutait de fruits et de légumes.
Le climax (= le summum) de cette situation se trouve à la fin de l'extrait : la répétition des apostrophes, marquées par les « Ô » d'Antigone, qui veulent figurer le summum de sa douleur, se situe entre deux moments de parole de garde, parce qu'il prend le temps de finir sa chique.
Celui-ci finit par appeler « une drôle de corvée » le fait de devoir s'occuper de cadavre futur de la femme qu'il a en face lui. L'adjectif « drôle » qualifie normalement ce qui est « comique, amusant ». Or, ici, nous sommes dans une tragédie, avec Antigone en appelant aux Dieux... Soit rien de moins qu'une comédie.
Transition
Cette opposition dans les émotions renforcent finalement le caractère tragique de la situation d'Antigone, laissée seule dans sa douleur comme dans sa cellule.
La déréliction d'Antigone
Antigone est ainsi laissée seule à elle-même, et la fausse discussion avec le garde le signifie bien. Dans la plus profonde solitude, elle expérimente le tragique et la mort.
Condamnée à être seule
Certes, Antigone a mené son combat toute seule tout au long de la pièce. Mais, dans cette scène, la voilà finalement arrivée au bout du chemin, et elle se retrouve effectivement seule face à la mort qui arrive.
La présence du garde, paradoxalement, accentue cette impression. La didascalie : « Elle est toute petite au milieu de la grande pièce nue. » montre que la mise en scène doit insister sur cette disposition spatiale, avec l'antithèse « petite » et « grande », comme une mise en abyme du monde qui l'a laissée tomber.
Antigone n'a donc qu'elle-même pour se soutenir, comme le prouve la phrase d'après : « Elle s'entoure de ses bras. » Personne n'est là pour la réconforter, elle doit affronter sa fin « toute seule... ». Les points de suspension soulignent le sentiment désespérée et fataliste de l'héroïne.
Cette solitude, finalement, accentue le tragique de sa mort.
L'héroïne tragique
Évidemment, le passage est conduit sous le signe de la mort. On peut relever le champ lexical qui y a trait, mais c'est surtout la répétition du verbe « mourir », dans trois répliques d'Antigone à la suite, qui fonctionne comme un coup de butoir. Pour elle, il n'y a pas d'autre issue que de « mourir ».
L'envolée lyrique participe de cette même ambiance tragique, avec l'anaphore du « Ô » et l'enchainement de formules synonymiques : « tombeau », « lit nuptial », « demeure souterraine ». On remarque surtout la métaphore « lit nuptial » : Antigone s'apprête à s'unir, pour toujours, avec la mort. Elle s'apprête à l'épouser.
Enfin, comme une métaphore de la modernité, Antigone meurt dans l'indifférence du garde, qui ne s'inquiète que de sa situation financière. Outre la pitié que cela déclenche chez le spectateur, c'est aussi une manière d'imager, en pleine Occupation, l'indifférence du monde pour les héros mourant pour leurs idées, puisque la société est régentée avant tout par des problématiques pécuniaires.
Conclusion
En définitive, cette scène est marquée par la solitude d'Antigone, malgré ses apparences discursives (= qui a trait à la discussion, au dialogue). Après s'être révoltée contre sa cité, c'est-à-dire contre le monde, Antigone est laissée seule avec elle-même, seule avec ses idées, seule avec sa mort.
Antigone est un personnage solitaire par excellence : elle fut seule face à sa famille, seule face à la loi, seule face à l'absurde, elle finit donc seule face à la peur et à la mort.
Ouverture
Il serait intéressant de mener une étude comparative entre les deux pièces (l'originale de Sophocle et celle de Jean Anouilh) pour y trouver les éléments de modernité inclus dans la plus récente, ainsi que de comprendre leurs effets.
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