Chapitres
- Obéir à la société ?... reprit la marquise en laissant échapper un geste d'horreur. Hé ! monsieur, tous nos maux viennent de là. Dieu n'a pas fait une seule loi de malheur ; mais en se réunissant les hommes ont faussé son œuvre. Nous sommes, nous femmes, plus maltraitées par la civilisation que nous ne le serions par la nature. La nature nous impose des peines physiques que vous n'avez pas adoucies, et la civilisation a développé des sentiments que vous trompez incessamment. La nature étouffe les êtres faibles, vous les condamnez à vivre pour les livrer à un constant malheur. Le mariage, institution sur laquelle s'appuie aujourd'hui la société, nous en fait sentir à nous seules tout le poids : pour l'homme la liberté, pour la femme des devoirs. Nous vous devons toute notre vie, vous ne nous devez de la vôtre que de rares instants. Enfin l'homme fait un choix là où nous nous soumettons aveuglément. Oh ! monsieur, à vous je puis tout dire. Hé bien, le mariage, tel qu'il se pratique aujourd'hui, me semble être une prostitution légale. De là sont nées mes souffrances. Mais moi seule parmi les malheureuses créatures si fatalement accouplées je dois garder le silence ! moi seule suis l'auteur du mal, j'ai voulu mon mariage.
Elle s'arrêta, versa des pleurs amers et resta silencieuse.
- Dans cette profonde misère, au milieu de cet océan de douleur, reprit-elle, j'avais trouvé quelques sables où je posais les pieds, où je souffrais à mon aise ; un ouragan a tout emporté. Me voilà seule, sans appui, trop faible contre les orages.
- Nous ne sommes jamais faibles quand Dieu est avec nous, dit le prêtre. D'ailleurs, si vous n'avez pas d'affections à satisfaire ici-bas, n'y avez-vous pas des devoirs à remplir ?
- Toujours des devoirs ! s'écria-t-elle avec une sorte d'impatience. Mais où sont pour moi les sentiments qui nous donnent la force de les accomplir ? Monsieur, rien de rien ou rien pour rien est une des plus justes lois de la nature et morale et physique. Voudriez-vous que ces arbres produisissent leurs feuillages sans la sève qui les fait éclore ? L'âme a sa sève aussi ! Chez moi la sève est tarie dans sa source.
Méthode du commentaire composé
On rappellera ici la méthode du commentaire composé vu en cours francais :
Partie du commentaire | Visée | Informations indispensables | Écueils à éviter |
---|---|---|---|
Introduction | - Présenter et situer le texte dans le roman - Présenter le projet de lecture (= annonce de la problématique) - Présenter le plan (généralement, deux axes) | - Renseignements brefs sur l'auteur - Localisation du passage dans l'œuvre (début ? Milieu ? Fin ?) - Problématique (En quoi… ? Dans quelle mesure… ?) - Les axes de réflexions | - Ne pas problématiser - Utiliser des formules trop lourdes pour la présentation de l'auteur |
Développement | - Expliquer le texte le plus exhaustivement possible - Argumenter pour justifier ses interprétations (le commentaire composé est un texte argumentatif) | - Etude de la forme (champs lexicaux, figures de styles, etc.) - Etude du fond (ne jamais perdre de vue le fond) - Les transitions entre chaque idée/partie | - Construire le plan sur l'opposition fond/forme : chacune des parties doit impérativement contenir des deux - Suivre le déroulement du texte, raconter l'histoire, paraphraser - Ne pas commenter les citations utilisées |
Conclusion | - Dresser le bilan - Exprimer clairement ses conclusions - Elargir ses réflexions par une ouverture (lien avec une autre œuvre ? Événement historique ? etc.) | - Les conclusions de l'argumentation | - Répéter simplement ce qui a précédé |
Ici, nous détaillerons par l'italique les différents moments du développement, mais ils ne sont normalement pas à signaler. De même, il ne doit normalement pas figurer de tableaux dans votre commentaire composé. Les listes à puces sont également à éviter, tout spécialement pour l'annonce du plan.
En outre, votre commentaire ne doit pas être aussi long que celui ici, qui a pour objectif d'être exhaustif. Vous n'aurez jamais le temps d'écrire autant !
Commentaire composé de l'extrait
Introduction
La femme de trente ans est un roman écrit par Honoré de Balzac publié en 1842. L'auteur est l'un des plus fameux contributeurs du courant réaliste, qui s'impose à tous ou presque dans la première moitié du XIXème siècle.
Son roman raconte ainsi l'histoire de Julie, une jeune femme qui rêve d'un mariage avec Victor d'Aiglement. Cependant, une fois mariée, c'est pour elle une désillusion : Victor la déçoit beaucoup, et elle fuit son ménage pour se réfugier en Touraine. L'extrait qui nous occupe intervient au moment où le curé de Saint-Lange tente une deuxième fois de la raisonner, alors qu'il a déjà essuyé un premier refus.
Annonce de la problématique
Dès lors, comment l'auteur se sert-il de cette scène pour dénoncer la condition féminine de son époque ?
Annonce des axes
Nous verrons dans un premier temps comment les caractéristiques du réalisme sert la critique sociale de Balzac. Nous analyserons ensuite la manière dont le mariage sert les hommes au détriment des femmes.
Développement
Un dialogue réaliste
Balzac est un chantre du réalisme, courant littéraire dont il a contribué au formidable développement. Cet extrait nous en montre certaines caractéristiques, en présentant une femme ancrée dans son époque.
Le réalisme veut rendre une impression de réalité, et cela doit passer par des descriptions minutieuses, tout en mettant en scène des personnages réalistes.
Une femme qui implose
Si cette scène est un dialogue, et laisse par là peu de place à la description, quelques éléments textuels nous montrent néanmoins l’attention portée au réalisme. Par deux fois, les répliques de Julie sont appuyées de précisions :
- « reprit la marquise en laissant échapper un geste d’horreur »
- « s’écria-t-elle avec une sorte d’impatience »
Ces précisions sont faites pour que le lecteur s’imagine la colère et la lassitude de la jeune femme, en même temps que lui permettre de se figurer la scène, avec des images réelles.
Mais le discours lui-même fait montre de caractéristiques réalistes. Il y a par exemple ces interjections du type « Hé ! » ou « Oh ! », qui donnent un réalisme oral aux paroles pourtant écrites. Il y a également ce « Hé bien », qui n’est là que pour rappeler un flux verbal réaliste, plutôt qu’artificiel.
En outre, le champ lexical utilisé pour ces répliques (« horreur », « s’écria », « impatience ») place la femme dans le registre pathétique, ce que l’auteur souligne un peu mieux dans le discours même de Julie. On trouve en effet de nombreux points d’exclamation (« je dois garder le silence ! », « Toujours des devoirs ! »), qui viennent vitaliser, rendre davantage énergique, les mots de papier de la jeune femme.
C’est aussi que cette femme implose sous la pression imposée par la société de son époque.
Le témoignage d'une époque
Car le réalisme, c’est aussi prendre son inspiration dans la réalité du quotidien, c’est se faire le témoin de son époque. Or, cette femme témoigne de fait de son appartenance au XIXème siècle.
Le quatrième mot de notre extrait est le mot « société », et ce n’est pas anodin. Julie est une femme partie prenante de cette société, dont elle se fait le témoin et dont elle se dit la victime. C’est là le sens de l’utilisation du pronom personnel « nous » : « Nous sommes, nous femmes ». Elle se fait alors la porte-parole et la représentante des femmes de son époque.
Elle oppose ainsi « nature » et « société », pour mieux accuser la seconde : « Nous sommes, nous femmes, plus maltraitées par la civilisation que nous ne le serions par la nature. », ou encore : « La nature nous impose des peines physiques que vous n'avez pas adoucies, et la civilisation a développé des sentiments que vous trompez incessamment. »
Elle utilise un champ lexical issu de la politique, des théories civiques : « loi », « civilisation », « condamnez », « mariage », « institution », « liberté », « devoirs », … Cela témoigne de la nature profondément politique de son propos, et donc profondément contemporain.
On peut enfin relever la figure du prêtre, bien dans son rôle : en tant que prêtre, il parle de Dieu (« Nous ne sommes jamais faibles quand Dieu est avec nous »), et en tant qu’homme, il rappelle la femme à sa condition (« n’y avez-vous pas des devoirs à remplir ? »).
Transition
Car on se marie toujours sous le regard de Dieu, au XIXème siècle, et le prêtre y a son mot à dire. Mais les deux entités (le mariage et le prêtre) relayent de fait la domination patriarcale qui fait tant souffrir Julie.
Le mariage, outil de domination
Ce qui concentre les critiques de Julie, c’est le mariage. C’est par lui que la domination patriarcale s’impose : il assoit le pouvoir des hommes, et assure la faiblesse des femmes. Julie s’en trouve alors personnellement désespérée.
Le pouvoir des hommes, la faiblesse des femmes
Le mariage, dans la conception de Julie, sert à l’homme pour écraser un peu mieux les femmes :
Le mariage, institution sur laquelle s'appuie aujourd'hui la société, nous en fait sentir à nous seules tout le poids : pour l'homme la liberté, pour la femme des devoirs.
Si la nature a fait les femmes moins fortes physiquement que les hommes (« La nature nous impose des peines physiques … »), les hommes empirent pourtant leur condition (« … que vous n'avez pas adoucies »).
Elle met en évidence la domination exercée par l’homme sur la femme avec des hypozeuxes (forme de parallélisme qui consiste tout simplement à répéter une certaine structure grammaticale, une certaine tournure de phrase) : « pour l'homme la liberté, pour la femme des devoirs. », ou encore : « Nous vous devons toute notre vie, vous ne nous devez de la vôtre que de rares instants. »
Pour elle, c’est à l’homme que revient tout le bénéfice du mariage, non seulement parce qu’il a le loisir de choisir (« l'homme fait un choix »), mais aussi parce qu’il garde sa vie pour lui-même, quand la femme devient une chose : « Nous vous devons toute notre vie » ; « nous nous soumettons aveuglément » ; « le mariage, tel qu'il se pratique aujourd'hui, me semble être une prostitution légale. ». Car, en effet, la femme de la haute société, ne travaille pas, et dépend entièrement de l'argent de son mari pour vivre.
Transition
Julie est d’autant plus souffrante qu’elle sait avoir elle-même voulu ce qu’elle hait aujourd’hui.
Le désespoir de Julie
Car si ces souffrances sont nées de sa rencontre avec la réalité du mariage, elle se sent responsable de l’avoir voulu :
Mais moi seule parmi les malheureuses créatures si fatalement accouplées je dois garder le silence ! moi seule suis l'auteur du mal, j'ai voulu mon mariage.
Ici, pour la première fois, elle se départit du « nous femmes » dans lequel elle s’englobait jusqu’alors. Elle témoigne d’une lucidité douloureuse qu’elle paraît ne pas prêter aux autres femmes. On relève à ce titre le champ lexical de la souffrance : « souffrances », « malheureuses », « mal », « misère », « douleur », « souffrais », …
Elle se sent ainsi profondément seule, privée même de la compagnie de Dieu. Elle estime ne bénéficier d’aucune aide ni ne recevoir aucun droit : « Me voilà seule, sans appui, trop faible contre les orages. » La métaphore maritime (« océan ») sert à signifier son malheur et à montrer son impuissance à combattre des éléments trop forts pour elle.
L’extrait se finit ainsi dans une autre métaphore, par laquelle elle se compare à un arbre, pour mieux réfuter les dernières exhortations du prêtre :
Voudriez-vous que ces arbres produisissent leurs feuillages sans la sève qui les fait éclore ? L'âme a sa sève aussi ! Chez moi la sève est tarie dans sa source.
En somme, vidée de son énergie, parce que la société l’en a privé, elle se révolte contre sa condition et réclame son droit à n’avoir aucun devoir. La société, ne la considérant pas comme un citoyen à l’égal de l’homme et ne la nourrissant pas correctement, ne peut alors, tout logiquement, rien exiger d’elle.
Conclusion
Dans ce passage, Balzac nous donne à voir une scène de dialogue dans laquelle se fait jour une argumentation contre la société. Ce qui est en cause, c'est la condition des femmes, et comment le mariage (qui est au fondement de cette société !) est utilisé pour les asservir.
Quand les hommes peuvent, par l'exercice de leur intellect ou de leur force, s'affirmer individuellement dans une société qui récompense de plus en plus les initiatives personnelles - confère par exemple le personnage de Rastignac, central dans La comédie humaine -, la plupart des femmes sont au contraire assignées à résidence et intimées de rester silencieuses...
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salut avez vous un questionnaire pour ce texte y compris le corrige. merci