Corrigé Bac 2009 Section L     Epreuve anticipée de français

Je vous propose dans ces lignes quelques éléments de réponse. N'oubliez
pas que ce n'est pas un corrigé-type et que des variantes sont
possibles sans pour autant être mauvaises (heureusement que toutes les
copies ne sont pas identiques, imaginez l'ennui le cas échéant!) Par
ailleurs, la longueur est importante dans votre copie. Acceptez
toutefois que j'aie ici voulu donner le maximum d'informations dans un
texte sans doute plus long que celui qui est exigé de vous à l'examen.

Question d'ensemble

Quelle question essentielle ces textes posent-ils sur le jeu des acteurs?

[Petite remarque préalable: la question posée est curieuse dans la mesure où elle rejoint de très près le sujet de dissertation (l'avez-vous remarqué aussi? )]

Ces quatre textes appartiennent au genre théâtral. Tous proposent une mise en abyme: nous assistons à une pièce dans la pièce. Tous les quatre évoquent également le rôle de l'acteur, de son jeu, de son implication dans le sujet de la pièce. Soulignons dès à présent que l'expression consacrée pour parler du travail de l'acteur est la suivante: un acteur incarne un rôle, un personnage. Incarner est un terme fort: il signifie étymologiquement qu'il rentre dans la chair, dans la peau de ce personnage, lui donne vie. Or cette incarnation ne se fait pas toujours sans heurts. Tout l'enjeu de ces textes est de montrer la difficulté qu'il y a à incarner un personnage sur scène, à rester soi tout en devenant un autre, un autre qui n'est pas nécessairement à notre image, qui ne nous sera pas forcément sympathique, voire qui est à l'antipode de ce que nous sommes vraiment. Certains voient même dans cette idée la condition sine qua non de la réussite de cette incarnation. Il faut jouer à être un autre que soi. Mais en même temps, la réussite de cette interprétation vient du fait que vous vivez ce rôle, que vous pensez le temps de la représentation comme le personnage. Certains acteurs sortent épuisés de scène, changent de visage même tant ils sont habités par leur rôle.

Le personnage de Genest dans la pièce de Rotrou dit bien toute cette ambiguité dans l'identité: "D'effet comme de nom, je me trouve être un autre". Le problème posé dans son cas est qu'une identification avec son personnage provoquerait chez lui une évolution de ses convictions profondes: en effet, il incarne un personnage chrétien, lui qui est païen. Il semble alors douter de ses convictions religieuses à force de se mettre dans la peau de ce personnage touchant: "[Je] prends avec son nom, des sentiments chrétiens". Pourtant il semble résolu à garder ses distances avec son personnage mais la fréquentation de ce dernier fait vaciller ses convictions. Pour incarner un personnage, nous le disions plus haut, il faut se mettre à sa place, penser comme lui. A force de se l'approprier, je deviens un autre. Genest semble conscient de cette mutation qui s'opère et se remémore qu'il ne lui faut pas devenir le personnage: "Il s'agit d'imiter, et non de devenir".

Dans la pièce de Molière, les acteurs assistent à la distribution des rôles. Or nombre sont ceux qui s'insurgent de cette distribution tant les personnages ne leur ressemblent pas. Le metteur en scène, Molière lui-même, explique alors que ces incongruités sont pensées, réfléchies: c'est parce que tel acteur ne ressemble pas à son personnage qu'il pourra l'incarner "c'est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes comédienne". Grâce à cette distorsion, les acteurs peuvent incarner leur personnage sans pour autant s'identifier à eux. Il faut "vous figurer que vous êtes ce que vous représentez". Se figurer, c'est-à-dire s'imaginer: il faut que l'on croie à cette identification sans que celle-ci soit réelle. Notons dans ce texte la répétition de l'expression "vous faites" qui indique bien l'idée d'une construction, d'une élaboration du rôle. Il faut bien s'imprégner de son personnage et en connaître les travers, les expressions pour mieux l'interpréter. Mais nul n'est besoin d'être comme lui au départ, au contraire.

Cette confusion dans l'identité est confirmée par la réplique d'Hortensia dans le texte d'Anouilh: elle distingue son personnage "elle" de sa personne "je": "Est-elle sincère en disant cela? Je sens que je parle faux". Cette réplique nous apprend également qu'elle a besoin de connaître le fonctionnement psychologique du personnage afin de mieux appréhender et restituer ses réactions. D'ailleurs, Hortensia corrige le comte quand il fait l'amalgame: "Il ne s'agit pas de moi". Là encore, comme dans la pièce de Molière, le comte-metteur en scène a donné sciemment les rôles aux acteurs. Sachant que l'actrice et le personnage n'ont rien à voir, les répliques sincères de l'actrice sonnent faux dans la bouche du personnage, ce qui intéresse le metteur en scène. Molière et le comte jouent donc avec les caractères des acteurs pour les faire incarner tel ou tel personnage.

Dans le texte de Sartre, l'acteur se voit confronter directement à son public. incarnant un personnage criminel, Othello, il s'étonne que, prenant la parole en qualité de Kean, comme acteur et non plus comme personnage, il soit hué. C'est pourtant bien l'acteur que l'on salue à la fin de la pièce, son jeu, la façon dont il a fait vivre son personnage sur scène: "voilà l'homme" (ce qui fait référence, entre nous soit dit au fameux Ecce homo de Nietzche). Il est donc contraint, face à la réaction de l'assemblée de conclure que les spectateurs n'aiment rien tant que les faux-semblants, Kean en Othello: "Vous n'aimez que ce qui est faux"; La transformation de l'homme en acteur puis de l'acteur en personnage crée un monstre, un individu sans réelle personnalité, qui joue à être un autre. Au terme de la représentation, on ne sait plus qui de l'acteur ou du personnage a joué ou a été interprété. La confusion atteint son paroxysme.

L'accès apparent de folie de Kean-Othello atteste de la difficulté pour un acteur de rentrer dans la peau d'un personnage au point de l'incarner tout en préservant son identité, sa personnalité. Pour jouer un rôle, "je" devient un autre (pour reprendre la célèbre formule de Rimbaud dans la Lettre du voyant). Afin que cette incarnation soit crédible, il faut habiter le personnage, le comprendre au point de faire siennes ses idées, au risque de perdre nos propres repères. La solution est sans doute d'interpréter un personnage dont on est sûr qu'il ne nous ressemble pas. Mais une telle opposition est rare. Chaque personnage contient un peu de moi et je suis un peu de chaque également!

 

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Agathe

Professeur de langues dans le secondaire, je partage avec vous mes cours de linguistique !