😶‍🌫️ Un homme amnésique, adopté par une famille, découvre son passé lors de la Première Guerre mondiale. Identités troubles, quête de vérité et mémoire perdue interrogent l'essence de l'existence dans ce drame poignant d'Anouilh.

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C'est parti

Résumé rapide : quête d'identité et révélations 🤫

Le voyageur sans bagage est une pièce de théâtre écrite par Jean Anouilh et représentée pour la première fois en 1937.

L'expression « sans bagage » est une métaphore : elle fait référence à l'amnésie du protagoniste central, Gaston, qui a perdu la mémoire à la suite d'une blessure endurée lors de la Première Guerre mondiale. Cet homme ne se souvient donc pas de son passé.

La duchesse Dupont-Dufort se mettra en tête de lui retrouver sa famille d'origine, qu'elle est persuadée être noble. Or, comment faire accepter à un homme un passé qu'il n'a plus ?

Personnages de l'oeuvre 👨

PersonnageQualité
GastonPersonnage principal de la pièce, amnésique
Georges RenaudSon frère présumé
Mme RenaudSa mère présumée
Valentine RenaudFemme de Georges
La duchesse Dupont-DufortDame patronesse
Mr HusparAvoué, chargé des intérêts de Gaston
Le petit garçon
Mr PicwickAvocat du petit garçon
Le maître d'hôtel
Les domestiques de la famille Renaud

Résumé de la pièce par tableau 🖼️

Premier tableau

La duchesse Dupont-Dufort s’annonce auprès du maître d’hôtel des Renaud en compagnie de Monsieur Huspar, un avoué, et un certain Gaston. Après que le maître d’hôtel s’en est allé prévenir ses employeurs, les trois discutent à l’entrée.

La duchesse se réjouit : elle est certaine que Gaston, en entrant dans cette maison, sera submergé par ses souvenirs. Car il s’agit d’un ancien soldat de la Grande Guerre, qui s’est terminée quinze ans auparavant, et qui a passé ces quinze années dans un asile. On l’avait retrouvé dans un train de prisonniers venant d’Allemagne, amnésique, incapable de dire qui il était.

Il fut d’abord le patient du docteur Bonfant, qui l’utilisa pour bêcher ses salades. À la mort de celui-ci, Gaston devint le patient du docteur Jibelin, qui est le neveu de la duchesse. Celle-ci se prit tout de suite d’affection pour cet homme, ce héros de guerre, en qui elle sent un passé d’aristocrate. Après enquête, elle identifie même six familles parmi lesquelles pourrait se trouver celle de Gaston. Les voilà donc devant la première famille à confronter, les Renaud.

Quand les Renaud sont annoncés, la duchesse demande à Gaston de s’éloigner un peu, afin qu’elle puisse tranquillement échanger avec eux. Viennent alors Mme Renaud, Georges Renaud, le fils, et Valentine Renaud, sa femme. Ils remercient tout de suite la duchesse pour leur venue et déplorent de n’avoir que vu leur « petit Jacques » deux ans auparavant, dans l’asile, et dans des conditions déplorables. Cette dernière entrevue est le fait de Valentine, qui s’était faite passer pour une lingère et qui l’avait vu toute une après-midi, mais jamais seule. Ils s’étonnent enfin de la liste des six familles potentielles ; c’est que, leur répond Monsieur Huspar, Gaston n’a jamais pu toucher sa pension de mutilé, qui s’élève maintenant à deux cent cinquante mille francs !

La duchesse trépigne à l’idée de ces retrouvailles qu’elle a tant fantasmées, mais une chose la déçoit : elle s’était imaginé voir Gaston enlacé par la femme qui l’a toujours aimé... Et c’est l’occasion, pour le spectateur, de découvrir un secret de famille :

LA DUCHESSE

Je suis une grande romanesque… J’avais rêvé – vous le dirai-je ? – qu’une femme qu’il aurait passionnément aimée serait là pour le reconnaître et échanger avec lui un baiser d’amour, le premier au sortir de cette tombe. Je vois que ce ne sera pas.

GEORGES, net.

Non, Madame. Ce ne sera pas.

LA DUCHESSE

Tant pis pour mon beau rêve !

(Elle va à la baie.)

Mais comme Maître Huspar est long !… Votre parc est si grand et il est un peu myope : je gage qu’il s’est perdu.

VALENTINE, bas à Georges.

Pourquoi me regardez-vous ainsi ? Vous n’allez pas ressortir toutes vos vieilles histoires ?

GEORGES, grave.

En vous pardonnant, j’ai tout effacé.

Lorsque la duchesse envoie Huspar chercher Gaston, celui-ci revient peu après sans lui. Il n’a pas osé le déranger alors qu’il regardait une statue de Diane chasseresse au milieu d’un banc circulaire. Ce fait provoque l’émoi discret de Valentine.

Finalement, Huspar y retourne et revient avec l’amnésique.

Deuxième tableau

L'ensemble des domestiques de la famille Renaud (le valet de chambre, Juliette, sa femme, le chauffeur, la cuisinière, le maître d’hôtel) se trouvent sur la scène et espionnent à travers le trou de la serrure pour apercevoir Gaston, dont ils connaissent l’histoire.

Le maître d’hôtel l’affirme : il est certain qu’il s’agit bien de Jacques Renaud. De là, les domestiques parlent de leurs souvenirs respectifs, ceux d’avant-guerre.

Il apparaît à travers leurs discussions que Jacques était un maître irrespectueux et mal élevé. Tous en gardent un souvenir aigri – sauf Juliette, dont on comprend que, peut-être, elle a pu être l’amante de « Monsieur Jacques »...

Troisième tableau

Georges, Gaston et Mme Renaud visitent la chambre de Jacques, mais Gaston ne reconnaît rien. Quand la maîtresse de maison explique qu’enfant, il tuait tous les animaux qu’il attrapait, Gaston s’en étonne ; quand Georges lui dit qu’il était très talentueux en sciences et en géographie, Gaston n’y croit pas. Enfin, il demande aux deux Renaud s’ils lui connaissaient un meilleur ami : Mme Renaud hésite avant de lui apprendre que Jacques s’est brouillé à dix-sept ans avec un garçon devenu infirme à la suite d’une dispute entre eux. Gaston, sous prétexte d’un détail potentiellement important pour le recouvrement de sa mémoire, exige qu’on lui raconte en détail la scène. On fait donc venir Juliette, la domestique, seule témoin de l’accident.

Après avoir sorti Georges et sa mère, Gaston commence à questionner Juliette qui, très vite, fond en sanglots. Elle désespère de voir que son Jacques ne la reconnaît pas. C’est bien lui qui l’a déflorée, à 17 ans, quand elle en avait 15. C’est lui qui lui a brisé le cœur en ayant d’autres amantes. Et c’est encore pour elle que Jacques s’est battu avec Marcel, son ami, qui avait voulu l’embrasser, elle.

JULIETTE

Et puis il l’a poussé, pardi ! En lui criant : « Tiens, petit salaud, ça t’apprendra à embrasser les poules des autres ! » Voilà. [Silence] Ah ! c’était quelqu’un, Monsieur Jacques !

Georges arrive ensuite, et lui apprend d’autres choses dont Jacques s’est rendu coupable. Il aurait arnaqué une vieille amie de la famille, lui volant près de cinq cent mille francs... Et il aurait été l’amant de sa propre femme, avoue-t-il en pleurant, avant de sortir.

C’est au tour de Mme Renaud de revenir et tous deux commencent à parler de certaines relations familiales compliquées, quand Gaston demande à sa mère supposée de lui rappeler l’une des joies de Jacques, afin qu’il s’en souvienne lui-même. C’est alors que Mme Renaud lui apprend qu’entre le collège et le régiment, soit une année entière, elle ne parlait plus du tout à son fils. Elle s’énervait en effet du souhait de Jacques de vouloir épouser une couturière contre son avis. C’est après cet aveu que Gaston déclare qu’il n’est pas Jacques – ou plutôt, qu’il ne veut pas être Jacques.

GASTON

Et puis, ne m’appelez plus Jacques… Il a fait trop de choses, ce Jacques. Gaston, c’est bien ; quoique ce ne soit personne, je sais qui c’est. Mais ce Jacques dont le nom est déjà entouré des cadavres de tant d’oiseaux, ce Jacques qui a trompé, meurtri, qui s’en est allé tout seul à la guerre sans personne à son train, ce Jacques qui n’a même pas aimé, il me fait peur.

Enfin, se retrouvant seuls, Gaston répète à Valentine qu’il n’est pas Jacques, alors que celle-ci voit en lui le seul homme qu’elle a jamais aimé. Elle lui apprend qu’elle s’est mariée avec son frère pour se trouver plus proche de lui, qu’ils ont toujours été amants, et qu’elle n’a jamais cessé de penser à lui. Mais lui refuse d’être l’amant de la femme de son frère. Pourtant, c’est déjà fait, comme l'affirme la femme de Georges : ils se sont embrassés lorsque Valentine se fit passer pour une lingère, à l’asile. Et lorsque celle-ci s’apprête à lui dévoiler un secret qui lui prouvera son identité, la duchesse débarque avec Huspar : trois des quatre autres familles sont à l’entrée, exigeant de voir Gaston.

Quand les deux sortent finalement, Valentine peut dévoiler son secret : Gaston aurait une toute petite cicatrice sous l’omoplate gauche, faite avec une épingle à chapeau de ses propres mains, lors d’une crise de jalousie...

Quatrième tableau

Le valet de chambre et le chauffeur espionnent Gaston par un œil de bœuf. C’est le premier qui nous décrit ce qu’il fait : il enlève sa chemise, monte sur une chaise pour regarder son dos dans un miroir, redescend, s’assoit, et pleure...

Cinquième tableau

Le lendemain matin, tandis que Gaston dort dans la chambre de Jacques, les Renaud dispersent les bêtes empaillées jadis tuées par celui-ci autour du lit, dans l’espoir que l’amnésique les reconnaissent. Pendant ce temps, toutes les familles sont revenues à la charge et attendent dans le salon.

À son réveil, Gaston s’effraie des bêtes et, même s’il ne se rappelle toujours de rien, il se promet de donner des noisettes à tous les écureuils qu’il croisera. Vient alors Georges, qui indique à sa mère vouloir essayer par lui-même.

Dans la chambre de Jacques, Georges s’excuse pour ses mots d’hier : il lui dit qu’il n’aurait pas dû l’accabler depuis toute sa jalousie, et veut lui répéter son amour de frère. Gaston s’en étonne : comment pouvait-il aimer un être aussi vil que Jacques ? Georges lui explique alors qu’il se sentait son protecteur, se sentant utile dans son rôle de grand frère, avec ses sept années de plus.

Après cette conversation, Valentine reparaît, alors que Gaston est seul. Elle s’étonne de ne pas avoir entendu de bonne nouvelle au réveil. C’est que Gaston n’a parlé à personne de la cicatrice, et ne veut pas en parler. Il l’affirme : elle n’existe pas. Valentine comprend alors qu’il ment volontairement ; elle se met en colère, mais cela ne change rien. Gaston refuse d’être Jacques. Pourtant, s’il n’est pas Jacques, il va devoir choisir une autre famille car, comme le lui dit Valentine, il doit appartenir à quelqu’un – à une famille ou à l’asile, là où il n’est rien ni personne.

Gaston comprend qu’il est perdu et reste seul, assis sur le lit, non sans avoir cassé le miroir dans lequel apparaissait son reflet.

Au bout d’un moment apparaît un petit garçon devant lui. Celui-ci semble chercher quelque chose dans la chambre puis, n’ayant pas trouvé, demande à Gaston :

LE PETIT GARÇON

Je vous demande pardon, Monsieur. Mais vous pourrez peut-être me renseigner. Je cherche le petit endroit.

GASTON, qui sort d’un rêve.

Le petit endroit ? Quel petit endroit ?

LE PETIT GARÇON

Le petit endroit où on est tranquille.

Par là, le petit garçon entend « les toilettes », mais Gaston rit de la coïncidence, parce que lui aussi voudrait bien le trouver, cet endroit où être tranquille. Il indique à l'enfant la salle de bain et quand celui-en ressort, il entame avec lui une conversation.

Il est de la famille Madensale, et en est même l’unique représentant. En effet, tous ses parents sont morts dans une croisière, il y a longtemps, et il ne reste plus que lui, l’oncle Madensale, accompagné d’un vieil ami de la famille représentant ses droits, l’oncle Job, ou Maître Picwick.

Gaston s'émerveille soudain, quand il comprend la possibilité que cette rencontre fortuite lui offre. Il fait demander la duchesse et va vite trouver l’homme pour s’entretenir seul avec lui avant la confrontation. Lorsqu’il revient vers la duchesse, accompagné du petit garçon et de Maître Picwick, il affirme que cet homme a appris, par un document de la famille, ce que nul autre ne savait : l’existence sur son corps d’une minuscule cicatrice sous l’omoplate gauche...

Alors, court-circuitant l’émotion de la duchesse, Gaston prend vite congé, avec une seule pensée pour un membre de la famille qu’il abandonne :

GASTON

Non. Pas de commission. Si, pourtant…

(Il hésite.)

… Vous direz à Georges Renaud que l’ombre légère de son frère dort sûrement quelque part dans une fosse commune en Allemagne. Qu’il n’a jamais été qu’un enfant digne de tous les pardons, un enfant qu’il peut aimer sans crainte, maintenant, de jamais rien lire de laid sur son visage d’homme. Voilà ! Et maintenant…

(Il ouvre la porte toute grande, leur montre gentiment le chemin. Il tient le petit garçon contre lui.)

Laissez-moi seul avec ma famille. Il faut que nous confrontions nos souvenirs…

(Musique triomphante. La duchesse sort avec Mr. PICWICK.)

Pistes d'analyse de l'oeuvre ✍️

Satire & comédie

Un voyageur sans bagage est d'abord une comédie. Cela se sent dans certaines attitudes ou paroles des domestiques des Renaud ou dans le sarcasme de Gaston. Mais c'est avant tout parce que le dramaturge se moque de la duchesse et des Renaud que le spectateur rit. En cela, cette pièce recèle une certaine critique de l'aristocratie ou, à tout le moins, de l'attitude mondaine.

Il y a par exemple le moment où la duchesse s'extasie pour le mot « foutriquet » prononcé par Gaston et qu'elle comprend comme un résidu de son passé oublié :

LA DUCHESSE répète, ravie.

Foutriquet. Quand Albert est venu m’annoncer ce résultat inespéré, il m’a crié en entrant : « Tante, mon malade a dit un mot de son passé : c’est un juron ! » Je tremblais, mon cher. J’appréhendais une ordure. Un garçon qui a l’air si charmant, je serais désolée qu’il fût d’extraction basse. Cela serait bien la peine que mon petit Albert ait passé ses nuits – il en a maigri, le cher enfant – à l’interroger et à lui faire des abcès à la fesse, si le gaillard retrouve sa mémoire pour nous dire qu’avant la guerre il était ouvrier maçon ! Mais quelque chose me dit le contraire. Je suis une romanesque, mon cher Maître. Quelque chose me dit que le malade de mon neveu était un homme extrêmement connu. J’aimerais un auteur dramatique. Un grand auteur dramatique.

Or, ce mot-là, « foutriquet », qui est un juron, a été prononcé par Gaston lorsqu'il subit un abcès de fixation, c'est-à-dire une opération douloureuse à la fesse. N'est-il pas tout à fait normal de jurer lorsqu'on a mal ?

En outre, la duchesse a des exigences avant tout formelles : elle souhaite par exemple que Gaston respecte ce qu’il représente, c'est-à-dire le « soldat inconnu vivant ».

LA DUCHESSE

Il n’importe ! Au nom de ce que vous représentez, vous devriez vous interdire de rire de vous-même. Et j’ai l’air de dire une boutade, mais elle exprime le fond de ma pensée : quand vous vous rencontrez dans une glace, vous devriez vous tirer le chapeau, Gaston.

Elle fait montre plusieurs fois de son dédain pour les classes sociales supposément inférieures à l'aristocratie. Dans le dernier tableau, elle osera même :

LA DUCHESSE

Ils sont autant qu’hier ? C’est bien une idée de paysans de venir en groupe pour mieux se défendre.

Et depuis cette incarnation toute patriotique et littéralement épique, elle ne pourrait accepter que Gaston fût autre chose qu’un aristocrate. Elle l’habille donc en conséquence, elle le promène parmi ses connaissances, elle exige de la bienséance de sa part.

C’est pourquoi qu’elle fait passer les Renaud en premier alors qu'ils n’étaient que sixièmes en suivant l’ordre d’inscription des familles sur la liste. Elle se justifie ainsi :

LA DUCHESSE

Un lampiste, oui, Madame, un lampiste ! Nous vivons à une époque inouïe ! Ces gens-là ont toutes les prétentions… Oh ! mais, n’ayez crainte, moi vivante on ne donnera pas Gaston à un lampiste !

Les Renaud sont aussi l’objet de ces moqueries. Le début du deuxième tableau met par exemple en scène leurs domestiques qui espionnent Gaston à travers une serrure. Ils se remémorent alors la personne de Jacques et le décrivent comme un aristocrate irrespectueux et coupable de maltraitance :

LA CUISINIÈRE

Et des brutalités ! Tu te souviens, à cette époque, il y avait un petit gâte-sauce aux cuisines. Chaque fois qu’il le voyait, le malheureux, c’était pour lui frotter les oreilles ou le botter.

LE CHAUFFEUR

Et sans motif ! Un vrai petit salaud, voilà ce que c’était. Et, quand on a appris qu’il s’était fait casser la gueule en 1918, on n’est pas plus méchants que les autres, mais on a dit que c’était bien fait.

L’identité

La thématique centrale de cette pièce, c'est sans aucun doute l'identité, dont découlent d'autres idées, telles que l'oubli ou le passé.

Car en se confrontant aux Renaud, Gaston doit faire face à une personnalité qu'on lui impose, et pour laquelle il n'a ni sympathie, ni proximité. Il le sent d'emblée, au moment d'attendre dans le hall avec la duchesse :

GASTON

J’étais si tranquille à l’asile… Je m’étais habitué à moi, je me connaissais bien et voilà qu’il faut me quitter, trouver un autre moi et l’endosser comme une vieille veste. Me reconnaîtrai-je demain, moi qui ne bois que de l’eau, dans le fils du lampiste à qui il ne fallait pas moins de quatre litres de gros rouge par jour ? Ou, bien que je n’aie aucune patience, dans le fils de la mercière qui avait collectionné et classé par familles douze cents sortes de boutons ?

Très vite, tous affirment que Gaston est Jacques ; Gaston doit donc se défendre d'être une personne qu'il sent complètement étranger à lui-même.

Cela a pour conséquence que, malgré les dénégations du principal intéressé, à savoir Gaston, le spectateur en vient à l’identifier à ce Jacques qu’il refuse pour lui-même. La question (philosophique) qui en découle, c’est donc la suivante : les autres décident-ils pour nous de notre identité, comme les autres personnages et nous avec le faisons pour Jacques ?

Du reste, si Gaston est vraiment Jacques - comme cela se révèle être le cas -, comment comprendre la césure que le personnage sent entre son « moi » conscient et son « moi » oublié ?

Prenons un exemple issu du troisième tableau : Mme Renaud lui explique qu’il tuait des oiseaux ; Gaston ne sait que lui opposer un « non » issu de son profond sentiment, à partir duquel il décrit un souvenir forcément inventé, mais qu’il veut croire plus conforme à ce qu’il a été.

L'une des choses que nous dit cette pièce, c'est qu’il faut aussi accepter son passé (son « bagage ») comme pouvant être incohérent, ou en désaccord avec ce qu’on se sent être dans le présent. Gaston semble d'ailleurs le pressentir dans l’une de ses répliques :

GASTON

Il ne faut pas s’attendrir, m’appeler prématurément mon petit Jacques. Nous sommes là pour enquêter comme des policiers – avec une rigueur et, si possible, une insensibilité de policiers. Cette prise de contact avec un être qui m’est complètement étranger et que je serai peut-être obligé dans un instant d’accepter comme une partie de moi-même, ces bizarres fiançailles avec un fantôme, c’est une chose déjà suffisamment pénible sans que je sois obligé de me débattre en outre contre vous. Je vais accepter toutes les épreuves, écouter toutes les histoires, mais quelque chose me dit qu’avant tout je dois savoir la vérité sur cette dispute. La vérité, si cruelle qu’elle soit.

En somme, ce que met en exergue la pièce d’Anouilh, c’est combien le poids du passé peut être lourd, et combien les chaînes qui nous y lient peuvent être – au moins aux yeux des autres – handicapantes. Ou encore, dit autrement : comment être autre aux yeux des autres ?

Finalement, ce passé a beau être handicapant, rien ne peut l’effacer – puisque les autres au moins s’en souviennent pour celui qui l’oublie -, et il doit pour cette raison-là être accepté, afin de s’accepter soi-même. C’est ce à quoi Valentine invite Gaston, alors qu’elle voit en lui Jacques, le seul homme qu’elle a jamais aimé :

VALENTINE

Écoute, Jacques, il faut pourtant que tu renonces à la merveilleuse simplicité de ta vie d’amnésique. Écoute, Jacques, il faut pourtant que tu t’acceptes. Toute notre vie avec notre belle morale et notre chère liberté, cela consiste en fin de compte à nous accepter tels que nous sommes… Ces dix-sept ans d’asile pendant lesquels tu t’es conservé si pur, c’est la durée exacte d’une adolescence, ta seconde adolescence qui prend fin aujourd’hui. Tu vas redevenir un homme, avec tout ce que cela comporte de taches, de ratures et aussi de joies. Accepte-toi et accepte-moi, Jacques.

[...]

On n’échappe pas à tant de monde, Jacques. Et, que tu veuilles ou non, il faudra que tu appartiennes à quelqu’un ou que tu retournes dans ton asile,

GASTON, sourdement.

Eh bien, je retournerai dans mon asile.

L’oubli

La pièce se finit néanmoins avec bonheur, puisque Gaston parvient à échapper aux Renaud, qui était sa véritable famille. C'est dire qu'il parvient à échapper à son passé. Cela peut se comprendre à partir de plusieurs solutions :

  • Gaston n'a pas recouvré la mémoire : l'oubli (total) lui permet de se réinventer
  • Gaston fuit sa famille, c'est-à-dire ceux qui lui donnaient une identité qu'il refusait
  • Gaston s'intègre à une autre famille seulement constituée d'un « petit garçon », c'est-à-dire un être humain au regard neuf et candide, qui ne le connaît pas et qui ne peut pas lui prêter des qualités a priori

Dès lors, Gaston a la possibilité de refuser son passé - puisque ce passé n'existe pas, en somme :

GASTON

Oui. Je suis en train de refuser mon passé et ses personnages – moi compris. Vous êtes peut-être ma famille, mes amours, ma véridique histoire. Oui, mais seulement, voilà… vous ne me plaisez pas. Je vous refuse.

VALENTINE

Mais tu es fou ! Mais tu es un monstre ! On ne peut pas refuser son passé. On ne peut pas se refuser soi-même…

GASTON

Je suis sans doute le seul homme, c’est vrai, auquel le destin aura donné la possibilité d’accomplir ce rêve de chacun… Je suis un homme et je peux être, si je veux, aussi neuf qu’un enfant ! C’est un privilège dont il serait criminel de ne pas user. Je vous refuse. Je n’ai déjà depuis hier que trop de choses à oublier sur mon compte.

Son amnésie lui permet littéralement de choisir ce qu'il veut être, d'inventer son passé, et de créer son avenir :

GASTON

Je ne vois de lui, en ce moment, que la haine de vos yeux… C’est sans doute un visage de l’amour dont seul un amnésique peut s’étonner ! En tout cas, il est bien commode. Je ne veux pas en voir un autre. Je suis un amant qui ne connaît pas l’amour de sa maîtresse – un amant qui ne se souvient pas du premier baiser, de la première larme – un amant qui n’est le prisonnier d’aucun souvenir, qui aura tout oublié demain. Cela aussi, c’est une aubaine assez rare… J’en profite.

Gaston est finalement un homme sans histoire, c'est-à-dire qu'il est pareil à un livre fait de pages blanches qui ne demandent qu'à être remplies d'encre noir :

LE PETIT GARÇON

Vous l’avez, au moins, cette cicatrice ? Je serais désolé que ce ne soit pas vous.

GASTON

N’ayez crainte. C’est moi… Alors, c’est vrai que vous ne vous rappelez rien de votre famille… Même pas un visage ? même pas une petite histoire ?

LE PETIT GARÇON

Aucune histoire. Mais si cela vous ennuie, peut-être que je pourrais tâcher de me renseigner.

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Nathan

Ancien étudiant de classe préparatoire b/l (que je recommande à tous les élèves avides de savoir, qui nous lisent ici) et passionné par la littérature, me voilà maintenant auto-entrepreneur pour mêler des activités professionnelles concrètes au sein du monde de l'entreprise, et étudiant en Master de Littératures Comparées pour garder les pieds dans le rêve des mots.