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Introduction

Le vers de Boileau « Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème » a statufié le sonnet comme le genre-roi de la poésie française. Une histoire du sonnet de langue française recouperait à peu près celle de la poésie (en laissant cependant de côté quelques grands réfractaires, comme Victor Hugo). Imposé par une longue tradition, il est devenu la forme fixe « naturelle » de la langue française, comme l'alexandrin en est le vers par excellence.  Forme fixe parce que le sonnet, au même titre que le rondeau, le virelai ou la ballade, obéit à des règles d'organisation tant sur le plan de ses rimes que sur celui de sa disposition typographique. La limitation du sonnet due à un carcan formel qui le caractérise, donc, peut permettre d'étudier la contrainte, aussi sclérosante que stimulante, que peut constituer pour le poète une forme fixe. C'est d'ailleurs, selon Baudelaire, l'adaptation à cette contrainte formelle qui permet le jaillissement de la merveille.

Qu'est-ce qui dans ce poème fascine ? Est-ce le grand nombre de ses contraintes – et donc des transgressions possibles – ou la perfection d'une idée dont on n'attendrait jamais que des simulacres ? Qu'est-ce qui pousse notamment le poète à l'infraction et au détournement, comme si le sonnet, au même titre que le vers, ne devait qu'à son saccage de ne pas mirlitonner ? Il est probable que la norme n'existe – en poésie comme ailleurs – que parce qu'elle est transgressée, que pour être transgressée ; dans quelle mesure cela s'applique-t-il aussi au sonnet ? Le sonnet ne s'affirme-t-il pas comme genre d'autant qu'il est mis en péril comme forme ?

Ces kyrielles d'interrogations montrent bien que le sonnet est au centre d'un réseau de tensions inhérentes à la poésie : tradition et modernité, forme et sens, syntaxe et métrique, poétique et prosaïque, etc.

En cours de français, il est intéressant de retracer en quelques lignes l'histoire particulièrement riche de ce genre, histoire qui, malgré la structure originellement rigide du sonnet, en explique les nombreuses variations connues selon l'époque et  le pays, tant dans sa construction strophique ou dans l'agencement des rimes que dans les thèmes évoqués : sonnet italien des origines, sonnet pétrarquiste, sonnet marotique, sonnet français, sonnet shakespearien et sonnets variés du XIXème siècle avec Baudelaire, Verlaine et Rimbaud.

Cette forme poétique est apparue en Italie au XIIIème siècle à la cour de Frédéric II de Hohenstaufen, ce serait Giacomo (Jacopo) da Lentini qui en serait le créateur. Le sonnet est issu de la poésie populaire et n'était alors destiné qu'à l'oralité. Puis, la forme a acquis ses lettres de noblesse au XIVème sous la plume de l'italien Pétrarque (Francesco Petrarca) dans les sonnets qui composent la célèbre élégie passionnée qu'il dédicaça à son amour intemporel : Laure de Sade. La forme a ensuite été très exploitée dans toute l'Europe. Dans les deux premiers siècles qui suivent son apparition, elle ne se pratique qu'en Italie, puis en France lors de la Renaissance, aux XVIème et XVIIème siècles, tout particulièrement chez les poètes de la Pléiade comme Pierre de Ronsard (Sonnets pour Hélène, 1578) ou Joachim du Bellay (Les Regrets, 1558), mais aussi chez Louise Labé dont les vingt-quatre sonnets chantent à la suite de Sappho la passion d'une femme.

Le sonnet  reste la forme poétique la plus pratiquée durant toute la première moitié du XVIIème siècle, que ce soit par les baroques tels que Sponde (« Tout s'enfle contre moy ») ou Maynard (« Mon âme, il faut partir »), par le premier des poètes classiques qu'est Malherbe ( « Sonnet à Caliste »), ou par les Précieux, comme Voiture et Maleville qui l'utilisèrent lors de la célèbre joute poétique de « la Belle Matineuse » (1635). Néanmoins, le sonnet perd peu à peu de son prestige dans la seconde moitié du XVIIème siècle, jusqu'à ce que Boileau le condamne dans son Art poétique de 1674. Le sonnet tombe alors en désuétude puis dans l'oubli jusqu'à ce que le XIXème siècle le redécouvre et le revisite.

Bien qu'il ait subi de nombreuses altérations, le sonnet, comme tout poème à forme fixe qui se respecte, était à sa naissance un canevas imposé à ceux qui voulaient y recourir. Il permettait de discipliner la création poétique et en quelque sorte d'apporter une aide aux poètes délaissés par Calliope.

Dans sa codification originelle, il comprend invariablement  quatorze vers, répartis en quatre strophes (deux quatrains, suivis de deux tercets), dont la séparation est ou n'est pas marquée par un blanc typographique : chez Ronsard, les quatre strophes sont soudées, elles seront distinctes chez Baudelaire.

Les mètres employés pour ces quatorze vers furent jusqu'au XIXème siècle, le décasyllabe, puis l'alexandrin. La disposition des rimes a été fixée au XVIème siècle et la formule des quatrains est théoriquement stricte ABBA / ABBA. Pour les tercets, deux formes codifiées sont admises. La formule canonique est celle de Du Bellay : CCD / EDE mais Marot en a proposé une autre : CCD / EED (on parle alors  de sonnet marotique).

D'autres règles régissent l'organisation du sonnet , celles-ci ont principalement été établies par Ronsard comme la nécessaire alternance des rimes masculines et des rimes féminines dans les quatrains ( FMMF ou bien MFFM), la césure à l'hémistiche ( donc après la sixième mesure) comme coupe formelle et signifiante ou encore le refus de l'enjambement, contrainte ajoutée par Malherbe pour pousser le poète à faire des alexandrins qui sont et ont une complétude et pour faire coïncider syntaxe et sens. Cependant, les règles du sonnet ne concernent pas seulement sa forme, elles exigent une certaine discipline du contenu.

En effet, le sonnet revêtant une forme dissymétrique qui l'apparente «  à une figure dont le buste serait trop long et les jambes trop grêles et trop courtes » (Petit traité sur le sonnet de Théodore de Banville, 1872), le poète doit faire preuve de dextérité et d'adresse pour rétablir un équilibre sémantique. Pour ce faire, Théodore de Banville préconise un artifice qui consiste « à grandir les tercets, à leur donner de la pompe, de l'ampleur, de la force et de la magnificence. Mais ici il s'agit d'exécuter ce grandissement sans rien ôter aux tercets de  leur légèreté et leur rapidité essentielles ».

Au delà de ces règles, le sonnet doit respecter certaines modalités de construction qui nécessitent chez le poète la maîtrise d'un art de la composition, indissociable du genre.

En effet, le sonnet est censé être scindé en deux par une charnière que les Italiens nomment « volta » et qui introduit un bouleversement dans la progression du poème. Ce tournant permet de séparer les deux membres d'une comparaison comme le fait Baudelaire dans la « Cloche fêlée » grâce à la phrase « Moi, mon âme est fêlée, … », ou bien ceux d'une opposition comme le même Baudelaire le fait dans le « Couvercle » par le biais du syntagme « En haut, le ciel ! ». Enfin, cette volta peut également permettre de distinguer deux thèmes liés, évoqués l'un, dans les deux quatrains, l'autre, dans les deux tercets, comme on peut l'observer dans « Le mal » de Rimbaud où le renversement est opéré par le syntagme « -Il est un Dieu ». Cependant, il faut aussi noter que certains sonnets ne répondent pas à cette scission en deux blocs, mais non pas par une volonté de subversion mais pour le respect d'une progression qui s'étend du premier au quatorzième vers. On peut citer comme exemple « Le dormeur du val » de Rimbaud. De plus, les deux tercets apportent ordinairement une résolution au tissu de tensions qu'ont tissé (petite assonance sifflante involontaire !) les deux premiers quatrains, il constitue une délivrance.

Enfin, last but not least, caractéristique sine qua none du sonnet, sa chute (aussi appelée « concetto »). « Le dernier vers du Sonnet doit contenir un trait - exquis, ou surprenant, ou excitant l'admiration par sa justesse et par sa force ».Comme l'enseigne Théodore de Banville,  le dernier vers du sonnet constitue une « pointe » qui se distingue par son caractère de clausule. Cette brève conclusion,  brillamment formulée, inattendue, voire paradoxale doit conclure le poème en le renfermant sur lui-même. Ce peut être un dernier coup de pinceau donné au tableau décrit par le poème le résumant, ou encore une formule satirique, spirituelle, un effet de surprise, une sorte de morale éclairant le sens du texte, etc.

Voici deux exemples qui permettent d'illustrer ce à quoi peut ressembler la rencontre de tous ces critères(ou du moins la plupart), l'un est extrait du canonique Canzoniere de Pétrarque, l'autre des Poèmes saturniens de Paul Verlaine :

Pétrarque

Benedetto sia 'l giorno, e 'l mese, e l'anno,
e la stagione, e 'l tempo, e l'ora, e 'l punto,
e 'l bel paese, e 'l loco ov' io fui giunto
da' duo begli occhi, che legato m'hanno ;

E benedetto il primo dolce affanno
ch'i' ebbi ad esser con Amor congiunto,
e l'arco, e le saette ond'i' fui punto,
e le piaghe che 'n fin al cor mi vanno.

Benedetto le voci tante ch'io
chiamando il nome de mia donna ho sparte,
e i sospiri, e le lagrime, e l' desio ;

E benedetto sian tutte le carte
ov'io fama l'acquisto, e l' pensier mio,
ch'è sol di lei, si ch' altra non v' ha parte.

Traduction

Ah, bénis soient le jour, et le mois, et l'année,
La saison, le moment, l'heure et l'instant précis,
Le beau pays, l'endroit où je fus pris
Par les deux beaux yeux qui m'ont enchainé.

Béni soit le premier tourment, si doux,
Que j'éprouvai au contact de l'amour,
Bénis soient l'arc, les traits qui m'ont percé
Et leurs plaies qui jusqu'à mon cœur pénètrent.

Bénis les mille appels que je lançai
En invoquant le prénom de ma Dame,
Tant de soupirs, de larmes, de désirs ;

Et bénis soient aussi tous les écrits
Où je bâtis sa gloire, et bénie ma pensée
Qui n'est qu'à elle, et qu'aucune autre ne partage

Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur transparent
Pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l'ignore.
Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.

L'énumération de tous ces critères qui singularisent le sonnet (énumération que vous auriez raison de trouver fastidieuse) montre bien le caractère contraignant du genre. C'est justement cette  coercition qu'exerce la forme fixe qui fait jaillir, dans l'esprit du démiurge, « l'idée plus intense ».  En effet, chaque poète d'autorité, lorsqu'il s'adonne à la pratique du sonnet, contribue dans sa littérature à asseoir une norme mais, ce faisant, il soulève également la question de l'écart.  De ce fait, au lieu d'avoir une seule et unique définition, le sonnet est mis en danger dans son unicité par la diversité des dérivations formelles qu'il  subit de la par de poètes pourtant tous considérés comme théoriciens de sa forme canonique. En fait, la fixité de la forme du sonnet montre paradoxalement de nombreux signes d'instabilité puisqu'elle est inexorablement ébranlée par les modifications qu'elle subit au contact de la modernité.  Parmi les nombreuses expérimentations de Baudelaire sur le sonnet, cet exemple est particulièrement suggestif :

La Vie antérieure

J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d'une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Au couleurs du couchant reflété par mes yeux.

C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs,
Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeurs,

Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l'unique soin était d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.

Quatorze alexandrins répartis en deux quatrains et deux tercets, présence de la « volta » et du « concetto », au premier abord, on ne voit rien d'irrévérencieux dans ce sonnet extrait des Fleurs du Mal considéré comme un modèle du genre. Pourtant, première irrégularité : les rimes des quatrains sont inversées ABBA / BAAB, la première règle énoncée par Théodore de Banville dans son Petit Traité sur le Sonnet est donc bafouée. Peut-être Baudelaire se permet-il cette légère hérésie pour mettre en évidence la correspondance et les échanges qui s'instaurent entre le ciel et la mer. Seconde irrégularité : le schéma rimique des tercets est du type CCD / CEE, Baudelaire s'émancipe donc des modèles canoniques hérités de Du Bellay ou de Marot. La disposition pour laquelle Baudelaire à opté brise la clôture du sonnet, puisqu'elle détache un distique isolé en fin de poème et fait succéder aux quatrains réguliers le quatrain parasite des vers 9-12, aux rimes embrassées. Or, le distique, sur le plan sémantique, vient ruiner le bonheur paradisiaque qui s'étalait dans les trois quatrains. C'est le système des rimes, que tente de masquer l'artifice typographique de la présentation en tercets, qui porte le sens du poème : faux sonnet, et faux paradis….

Ce qu'il faut retenir, il me semble, de l'expérience baudelairienne du sonnet c'est que ce n'est pas la virtuosité du poète qui est subordonnée à la forme fixe mais l'inverse. Le poète inspiré décide, non pas forcément par subversion, du choix qu'il fait pour la forme de son sonnet tout en respectant les caractéristiques sine que none du genre s'il veut que sa création en garde l'appartenance.

On voit donc que la fixité du sonnet acquiert sous l'action de poètes comme Baudelaire une flexibilité, même si ce qui semble être le critère principal de la forme, à savoir l'effet de sens,  demeure respecté. Le caractère immuable et limité de la forme contraignante du sonnet semble mis à mal par une loi inévitable : l'interdit, dès lors qu'il est formulé, appelle à sa transgression.

Le corset du sonnet serait donc une manière à la fois de mettre en valeur et de contenir ses débordements.  Plutôt qu'une prison, la forme fixe est source d'originalité car elle contraint le poète à innover (peut-être cette contrainte, elle, est-elle insurmontable), à ne pas s'en faire lui-même prisonnier, elle devient un défi à relever et, de ce fait, un élément dynamique étant donné qu'elle invite à l'innovation. Les limites sont donc avec Baudelaire repoussées et l'on voit bien qu'une forme que l'on a tendance à croire « limitée » offre en fait une multitude de choix dans la disposition des rimes ou dans le choix du mètre, par exemple, comme en témoigne la popularité des sonnets layés dont la principale transgression est d'être hétérométrique. On peut citer comme exemple « Rêve pour l'hiver » d'Arthur Rimbaud. Des sonnets semblent donc s'éloigner du carcan de base que Banville formalisait dans son Petit traité sur le Sonnet, cependant, ceux-ci ne contrecarrent pas les règles de base et acceptent de se soumettre à certaines contraintes incontournables.

Si certains poèmes acceptent de ne pas trop sortir du cadre délimité par les premiers théoriciens du sonnet, d'autres s'en affranchissent totalement, à tel point qu'en exagérant un peu on peut se demander si une ballade qu'on intitulerait « Sonnet » n'en deviendrait pas un. En effet, un poème qui transgresserait audacieusement les règles fondamentales d'organisation du sonnet peut-il par le simple truchement de s'en réclamer en devenir un ?

Rien ne le montre mieux que le sort qu'Apollinaire fait subir au sonnet dans ce poème d'Alcools :

Les Colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s'empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-la
Violatres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne

Les enfants de l'école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne

Ce poème n'offre nullement à l'œil la physionomie d'un sonnet : il n'en a ni la disposition typographique, ni le nombre de vers (15 au lieu de 14). Cependant le retour des rimes automne/s'empoisonne et de la rime en a (lilas/fleur-là/fracas/harmonica) met en évidence une importante régularité. Mais les vers 2 et 3 sont choquants par leur brièveté, dans un environnement d'alexandrins (ou de quasi-alexandrins). Or, si l'on réunit ces vers 2 et 3 :

Les vaches y paissant lentement s'empoisonnent

On obtient un alexandrin parfaitement régulier. Et le poème compte maintenant 14 vers. L'étude de la genèse du poème a montré que c'est sur les épreuves qu'Apollinaire a scindé ce qui était initialement un alexandrin. En le restituant, on retrouve la forme matricielle du poème, la forme du sonnet encore discernable malgré ses métamorphoses. Seul vestige très visible de la forme-mère : le tercet maintenu à la fin du poème. Le jeu des rimes plates tourne le dos au système du sonnet ; pourtant la reprise des mêmes rimes sur les huit premiers vers rappelle l'homologie des rimes des quatrains. La forme de l'alexandrin subit des métamorphoses analogues : le modèle alexandrin s'impose dans les premiers vers tout à fait conformes à la norme. Puis il se défait, par exemple aux vers 9, 11,14, qui souffrent d'un excès de syllabes. C'est donc out le poème qui joue sur les formes canoniques, en les faisant sortir de leurs normes. « Les Colchiques » n'est pas un sonnet, mais le souvenir d'un modèle, le tombeau d'une grande forme. Et cette mise en pièces du sonnet est encore un hommage à sa puissance de poésie.

Ce que révèlent les pratiques de ce genre, aux limites de la tradition et des normes qu'elle établit, c'est une posture, singulière chaque fois, qu'il importe de situer entre révérence et contestation, imitation et transgression. Plus difficiles à recenser et à codifier seraient les pratiques où le sonnet pulvérisé, disséminé, reste néanmoins identifiable, ou du moins revendiqué.

Voici deux exemples qui écartèlent le patron de la matrice légué par les sonnettistes de la Pléiade, l'un de langue française crée par Jules de Rességuier, l'autre de langue anglaise par Edward Morgan qui a consisté à faire 14 variations sur 14 vers :

Sonnet

Fort
Belle,
Elle
Dort ;

Sort
Frêle !
Quelle
Mort !

Rose
Close,
La

Brise
L'a
Prise.

Opening the Cage

"I have nothing to say and I am saying it and that is poetry.
~ John Cage

I have to say poetry and is that nothing and I am saying it
I am and I have poetry to say and is that nothing saying it
I am nothing and I have poetry to say and that is saying it
I that am saying poetry have nothing and it is I and to say
And I say that I am to have poetry and saying it is nothing
I am poetry and nothing and saying it is to say that I have
To have nothing is poetry and I am saying that and I say it
Poetry is saying I have nothing and I am to say that and it
Saying nothing I am poetry and I have to say that and it is
It is and I am and I have poetry saying say that to nothing
It is saying poetry to nothing and I say I have and am that
Poetry is saying I have it and I am nothing and to say that
And that nothing is poetry I am saying and I have to say it
Saying poetry is nothing and to that I say I am and have it

Nous sommes bien loin du schéma respecté par « Mon Rêve familier » de Paul Verlaine. Le sonnet organisé de la sorte ne répond plus d'aucune limitation. L'appellation de sonnet dont jouissent ces deux poèmes doit beaucoup plus aux revendications de leur créateur qu'au respect de règles fondamentales.  Ces sonnets provocateurs, à défaut d'anéantir la définition originelle du sonnet, l'enrichissent.

En définitive, le sonnet ne représenterait-il pas une forme fixe seulement pour le poète qui accepte de surmonter l'écueil de ses contraintes et d'en écrire en respectant avec le plus de méticulosité ses règles fondamentales ?

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Conclusion

La diversité des pratiques – même les plus débridées – révèle avant tout l'unité de la tradition. Le sonnet apparaît alors comme une manière d'archétype jamais atteint, dont les réalisations multiples et forcément imparfaites – dans la mesure où elles refusent le stéréotype – confirmeraient la perfection. De surcroît, le sonnet apparaît également comme une forme implicite en cela qu'aucune définition complète de la formule qui le gouverne ne semble au premier abord possible. Les contraintes étant posées pour être autant bafouées ou contournées que respectées, de nombreux poètes ont inventé des formes spécifiques de sonnets rendant impossible l'élaboration de cette définition exhaustive et immuable. Le sonnet continue d'être pratiqué au XXe siècle par des poètes comme Louis Aragon et Philippe Jaccottet. En 1992, un important recueil de sonnets a été publié en France: il s'agit de Liturgie de Robert Marteau. Ce sont des sonnets assez libres dans leur forme. Le fait d'écrire des sonnets à la fin du XXe siècle est fortement significatif: cela marque une prise de position contre les principes de l'écriture poétique moderne: rupture avec le passé, absence d'unité et de continuité, etc.

La pérennité de ce genre est certainement due au fait que le sonnet continue de séduire, non pas en tant que forme fixe, mais en tant que « forme difforme », voire en tant que  « forme informe ». Cependant, n'oublions pas que le sonnet est un poème de la fixité, fixité qui, loin d'anesthésier la création poétique, agit sur elle comme un aphrodisiaque.

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Agathe

Professeur de langues dans le secondaire, je partage avec vous mes cours de linguistique !