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Analayse

Amis de la science et de la volupté : Le deuxième quatrain s'ouvre sur une nouvelle ambiguïté. On peut en effet se demander qui sont ces amis de la science et de la volupté. Grammaticalement, ce sont incontestablement les amoureux fervents et les savants austères, ce qui serait logique en considérant les notions évoquées, et malgré l'ordre des termes croisé, la science étant à présent affectée aux amoureux fervents et la volupté aux savants austères (bon, je vais faire un effort, je vais parler de chiasme). Mais en lisant la suite, on comprend évidemment qu'il s'agit des chats. Nous retrouvons ici les éléments qui opposaient les amoureux fervents aux savants austères, le monde de la raison opposé au monde des sens, le monde de l'esprit opposé à celui de la matière. Mais faut-il y voir une discrète confrontation entre le bien et le mal ? Même si elle peut être inspirée par l'extase religieuse, la volupté nous conduit implicitement sur le terrain du vice, du péché : La volupté est contraire à la vertu. La volupté affaiblit l'esprit et corrompt le coeur, pouvait-on lire dans le Dictionnaire de l'Académie Française de 1762.

Ils cherchent le silence et l'horreur des ténèbres : Il semble que s'arrête ici la série des ET dotés d'une fonction distributive, à moins qu'on ne considère que le poète parle du silence en général. Mais à la lecture de la phrase, on pressent qu'il ne s'agit pas de n'importe quel silence, d'une absence de bruit dans l'absolu, mais bien plutôt du silence particulier des ténèbres, et que le ET prend une fonction cumulative, pour additionner et unir deux caractéristiques de ce domaine inquiétant. Et ce dernier ET scelle également la fin des couplages qui faisaient l'équilibre du début du sonnet. Au sens premier, les ténèbres sont tout simplement l'absence de lumière, l'obscurité. Mais le mot est largement teinté d'une connotation religieuse. Les ténèbres, dans la Bible, sont les forces du mal, la sombre malfaisance des démons (Littré). Les ténèbres désignent aussi l'ignorance, et pour le chrétien, le monde païen qui n'était pas encore éclairé par la lumineuse révélation de Jésus. La lumiere de l'Évangile a dissipé les ténèbres du Paganisme, lit-on dans le Dictionnaire de Furetière. Il y a quelque chose de contradictoire dans cette attirance pour l'horreur des ténèbres, de la part d'amis de la science qui, à ce titre, devraient plutôt chercher la lumière du savoir que l'obscurité de l'ignorance. Quelle voix les attire donc dans l'ombre et dans le monde souterrain, ces félins éclairés ? Quels périls ont-ils traversés, et qu'ont-ils vu, ces chats qui ont disparu un soir et qui reviennent deux ou trois jours plus tard le poil sale, l'oreille fièrement déchirée et la patte ensanglantée ? Sont-ils allés au royaume des morts visiter les esprits de leurs lointains et glorieux ancêtres égyptiens, et de ceux, moins fortunés, qui périrent dans les flammes où ils étaient jetés avec les sorcières ?

La science et la volupté du vers précédent, deux notions abstraites, nous laissaient pressentir que nous sortions de la maison, de l'appartement, du boudoir de l'amoureux ou du cabinet de travail du savant. Les murs s'éloignent, l'espace s'élargit. Dans cette chambre close, confinée, le chat est comme une fenêtre ouverte sur autre chose, il a la fonction de ce que les peintres appellent une échappée, tantôt un reflet, tantôt un tableau au mur, un paysage peint sur un vase en faïence, une illustration sur la page d'un livre ouvert, un élément familier qui nous ouvre un autre monde, qui nous entraîne hors de l'espace clos du tableau. Le Prêteur et sa femme, de Quentin Metsys (1466-1530) illustre parfaitement ce procédé :

Un espace resserré, une impression d'intimité, d'univers clos, la concentration des deux personnages penchés sur une tâche minutieuse, mais au premier plan, un miroir convexe qui reflète une fenêtre et un énigmatique personnage en rouge, un miroir qui nous entraîne ailleurs, comme le chat sédentaire lové sur un coussin suggèrera d'autres mondes à l'amoureux et au savant :

L'Érèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres : L'Érèbe n'est pas décrit de façon semblable par tous les auteurs anciens. La Théogonie d'Hésiode (VIIIe siècle avant J.C.) nous apprend qu'il naquit du Chaos avec Nyx, la nuit. L'Érèbe n'est pas à proprement parler une divinité, mais plutôt un principe, une entité. L'Érèbe représente la masse lourde et confuse de ces ténèbres qui s'étendaient partout avant la naissance du monde, comme nous le dit Moïse. Les poètes l'ont pris pour l'enfer. (Anne Bignan - 1795-1841). De fait, Virgile et Homère utilisent le mot Érèbe pour désigner les Enfers, qui comprennent les Champs-Élysées et le Tartare. Dans l'Énéide du poète Virgile (70 - 19 av. J.C.) , les ombres des morts sont appelées les pâles habitantes de l'Érèbe. Il faut donc prendre ici le nom comme la désignation de l'empire des morts, ce qui est confirmé par le mot funèbre (Qui appartient aux funérailles ou Qui inspire des idées de tristesse et de mort - Littré). Le vers est ambigu et peut être compris de deux façons. Au sens propre, prendre, c'est saisir, s'accaparer, au sens figuré, prendre pour signifie considérer, regarder comme. L'Érèbe les aurait-il utilisés comme ses coursiers, ou aurait-il été trompé, abusé par ces créatures diaboliques au point de les confondre avec ses coursiers funèbres ? Et je trouve sur Internet un devoir donné par un professeur de lettres qui insiste beaucoup sur l'absolue nécessité de trouver une problématique et des sous-parties et qui indique en note, dans le but louable d'aider ses élèves : il eût pris : subjonctif plus-que-parfait ! Même si les deux formes sont identiques, il s'agit plus probablement de ce qu'on appelait dans ma jeunesse un conditionnel passé 2ème forme. Mais bon, comme la grande majorité des élèves (et ce n'est pas de leur faute) est absolument incapable de distinguer un présent d'un futur ou d'un passé composé, je suppose que ça n'a guère d'importance.

S'ils pouvaient au servage incliner leur fierté. Évidemment, la plupart des potaches ne connaissent ni le mot servage ni le sens du verbe incliner. Ils chercheront donc dans leur dictionnaire avant de s'intéresser à cette nouvelle ambiguïté grammaticale : le pronom personnel ils devrait se rapporter à l'Érèbe. Il était d'ailleurs au singulier dans l'édition du Corsaire-Satan, ainsi rédigée : S'il pouvait au servage... ce qui était correct au point de vue de la structure de la phrase, mais qui constituait une faute au regard de la concordance des temps. Un conditionnel passé doit se combiner avec un plus-que-parfait ou un passé antérieur : l'Érèbe les eût pris... s'il avait pu, ou s'il eût pu. Ce sont donc bien les chats qui sont incapables, aujourd'hui comme dans le passé, de s'abaisser à l'esclavage et à la soumission. Il n'en demeure pas moins qu'à l'oreille, la phrase reste ambiguë.

Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s'endormir dans un rêve sans fin ; Nous pressentions que nous avions quitté dès le deuxième quatrain, au moins par la pensée, l'intérieur douillet et confiné des amoureux et des savants. Nous voici à présent dans le désert égyptien. Créature mythologique composite, le sphinx est constitué d'une tête de femme, d'un corps de lion et d'ailes d'oiseau. Animal redoutable, véritable fléau, le sphinx, ou plutôt la sphinge, sa femelle, a fait le serment de ne quitter la province de Béotie, qu'elle ravage, que lorsqu'un homme sera assez perspicace pour déchiffrer son énigme. Tous ceux qui s'y risquent échouent et sont impitoyablement tués. Seul Oedipe y parviendra. De rage et de dépit, la bestiole se jettera du haut d'un rocher. Cette référence au sphinx nous suggère évidemment l'idée de l'énigme. Nous le savions depuis le début du poème, le chat pose une énigme, il est lui-même énigme. Et ce n'est pas par hasard que, rebutés par la complexité du problème, nous donnons notre langue au chat. Donner sa langue au chat, c'est le laisser répondre à notre place. Lui seul, gardien des secrets, maître des énigmes, a la science et la perspicacité suffisantes pour résoudre le mystère.

Leurs reins féconds sont pleins d'étincelles magiques : On qualifie de fécond ce qui est propre à la reproduction, qui peut produire beaucoup. La fécondité du chat était relevée dans l'Antiquité. Plutarque notait ...elle porte beaucoup, car on dit qu'elle porte premièrement un chaton à la première portée, puis à la seconde deux, à la troisième trois, et puis quatre, et puis cinq, jusqu'à sept fois, tant qu'elle en porte en tout vingt-huit, autant comme il y a de jours de la lune (D'Isis et d'Osiris - Traduction Amyot). Preuve, s'il en était encore besoin, que l'image du chat est intimement liée à l'image de la lune. Les étincelles magiques nous renvoient à l'électricité statique, phénomène encore mal connu à l'époque. On trouve cette référence à l'électricité dans le poème Le Chat :

Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s’enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,

Je vois ma femme en esprit. (...)
(Le Chat - FdM - XXXIV)

Preuve, s'il en était encore besoin, que l'image du chat chez Baudelaire est intimement liée à l'image de la femme.

Et des parcelles d'or, ainsi qu'un sable fin,
Étoilent vaguement leurs prunelles mystiques. Le mot vaguement vient faire écho au songe et au rêve évoqués dans le tercet précédent. Nous sommes plongés dans un monde vaporeux, incertain, aux contours imprécis. Tout au long du sonnet, Baudelaire cultive l'imprécision, tant par les ambiguïtés grammaticales ou sémantiques que nous avons relevées que par l'absence de précision géographique. De l'Érèbe du deuxième quatrain au fond des solitudes du premier tercet, nous ne savons jamais exactement où les chats nous entraînent.

Le chat de Chester (ou du Cheschire) d'Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll (1832-1898) avait le pouvoir de disparaître et d'apparaître à volonté. Toutefois, il ne pouvait disparaître complement. Même invisible, son sourire demeurait.

John Tenniel - Illustration pour Alice au Pays des Merveilles

J'ai l'impression, dans ce dernier tercet, que les chats de Baudelaire ont le même pouvoir que celui d'Alice. En effet, ils semblent se dissoudre, s'atomiser, disparaître progressivement, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que les yeux. Le sphinx massif, imposant du tercet précédent est à présent décomposé, il se résout en éléments de plus en plus petits, de plus en plus infimes, et de plus en plus nombreux : des étincelles, des parcelles d'or, comme les paillettes qui luisent dans la cuvette des orpailleurs, le sable fin, et les étoiles. Et cette prunelle mystique m'apparaît comme le miroir convexe du tableau de Quentin Metsys, comme une autre échappée, une échappée dans une échappée, qui m'ouvre une fenêtre sur un ciel infini dans une nuit infinie. Des prunelles dont le poète s'efforce de déchiffrer l'énigme et dans lesquelles il plonge comme au fond d'un gouffre...

                             ...Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !
(Le Voyage - FdM - CXXVI)

Mais ne nous y trompons pas. Lorsque la rêverie sera finie, lorsque nous ouvrirons les yeux et reviendrons à la réalité, nous serons toujours dans le boudoir confortable et bourgeois de l'amoureux fervent ou dans le laboratoire du savant austère. Nous n'en sommes sortis, fugitivement, que par le pouvoir du chat hiéroglyphique et symbolique et par sa fonction d'échappée. Baudelaire est un impuissant, un sédentaire pathologique, il ne peut vivre que dans l'atmosphère confinée de son appartement et dans la foule parisienne. Malgré ses invitations au voyage, rien ne le paralyse davantage que l'idée de voyager, et le seul grand périple qu'il a fait vers les Indes orientales en 1841 a été une insupportable corvée qu'il s'est empressé d'abréger. Et les chats ne nous donnent-ils pas la même leçon que les hiboux ?

Leur attitude au sage enseigne
Qu’il faut en ce monde qu’il craigne
Le tumulte et le mouvement,

L’homme ivre d’une ombre qui passe
Porte toujours le châtiment
D’avoir voulu changer de place.
(Les Hiboux - FdM - LXVII)

Quelques tableaux

Eugène Delacroix (1798-1863) : Études de chats

 

Gottfried Mind (1768-1814) : Ce peintre suisse fut surnommé le Raphaël des chats.

 

Jean Siméon Chardin (1699-1779) - La Raie (Musée du Louvre)

Où trouver des cours de francais ?

Quelques textes

Champfleury : Les chats : Parmi les fantasques, on peut citer, en opposition à Moncrif, le poète Baudelaire, un être plein d'électricité, qui, en possession de sa santé, n'était pas sans rapport avec les chats eux-mêmes. Combien de fois, nous promenant ensemble, ne nous sommes-nous pas arrêtés à la porte de la boutique d'une blanchisseuse de fin, sur le linge de laquelle un chat, étendu paresseusement, s'enivrait de la délicate odeur de la toile repassée ! Combien de contemplations devant ces vitres, derrière lesquelles de jeunes et coquettes repasseuses faisaient de jolies mines, croyant avoir affaire à des adorateurs !
Un chat apparaissait-il à la porte d'un corridor où traversait-il la rue, Baudelaire allait à lui, l'attirait par des câlineries, le prenait dans ses bras, et le caressait, - même à rebrousse-poil. Il faut le dire, au risque de donner croyance aux légendes monstrueuses qui ont eu cours quand le poète fut atteint d'une paralysie qui laissait peu d'espoir, il y avait dans les tendresses de l'auteur des Fleurs du Mal/, quelque chose de particulier, d'inquiétant et d'excessif qui en faisait un compagnon excellent pendant deux heures, fatigant ensuite par une tension sans doute trop névralgique, qui était pour tous ceux qui l'ont connu la caractéristique de sa nature.
Les chats, à la louange desquels Baudelaire composa quelques éloquents morceaux de poésie empreints des agitations de son âme, ont servi de base à des accusations d'actes cruels que, malgré mes longues fréquentations avec le poète, je n'ai pu surprendre.
Les chats, objets de tendresses de Baudelaire, servirent longtemps de thème de railleries aux petits journaux. Les natures actives et turbulentes du journalisme sont trop opposées aux natures contemplatives pour admettre les replis sur soi-même, les méditations qui font le poète.
« Après Hoffmann, Edgar Poe et Gautier, il est devenu de mode dans ce petit coin-là (Baudelaire et ses compagnons) d'aimer trop les chats. Celui-ci, qui va pour la première fois et pour affaires dans une maison, est mal à l'aise et inquiet jusqu'à ce qu'il ait vu le chat du logis. Mais il l'a aperçu, il se précipite, le caresse, le baise ; dans son transport il ne répond plus à rien de ce qu'on lui dit, et est à cent lieues avec son chat. On regarde, on s'étonne de l'inconvenance ; mais c'est un homme de lettres, un original, et la maîtresse de maison le regarde désormais avec curiosité. Le tout est fait. Étonnons ! étonnons ! »
Dans ce pastiche facile de La Bruyère, où les amis des chats sont en outre accusés de mépriser le chien, éclate la scission entre les êtres méditatifs et les natures agissantes. L'aboiement du chien a quelque chose d'irritant pour les organes délicats des premiers ; au contraire, ceux qui aiment la domination, le spectacle, la montre, préfèrent l'agitation bruyante des chiens, et médisent de l'animal songeur, qui, sans bruit, fait acte d'indépendance à tout instant, et s'échappe aux mains de celui qui croit le tenir.

Théophile Gautier : Préface à l'édition posthume des Fleurs du Mal (Cette préface était à l'origine un article consacré à Baudelaire et publié en 1863 dans  Les Poètes français. Recueil des chefs-d’oeuvre de la poésie française depuis les origines jusqu’à nos jours. C'est Baudelaire lui-même qui demanda que ce texte serve de préface à une édition du recueil. Puisque nous en sommes à raconter les goûts particuliers et les petites manies du poëte, disons qu’il adorait les chats, comme lui amoureux des parfums, et que l’odeur de la valériane jette dans une sorte d’épilepsie extatique. Il aimait ces charmantes bêtes tranquilles, mystérieuses et douces, aux frissonnements électriques, dont l’attitude favorite est la pose allongée des sphinx qui semblent leur avoir transmis leurs secrets ; elles errent à pas veloutés par la maison, comme le génie du lieu, genius loci, ou viennent s’asseoir sur la table près de l’écrivain, tenant compagnie à sa pensée et le regardant du fond de leurs prunelles sablées d’or avec une intelligente tendresse et une pénétration magique. On dirait que les chats devinent l’idée qui descend du cerveau au bec de la plume, et que, allongeant la patte, ils voudraient la saisir au passage. Ils se plaisent dans le silence, l’ordre et la quiétude, et aucun endroit ne leur convient mieux que le cabinet du littérateur. Ils attendent avec une patience admirable qu’il ait fini sa tâche, tout en filant leur rouet guttural et rhythmique comme une sorte d’accompagnement du travail. Parfois, ils lustrent de leur langue quelque place ébouriffée de leur fourrure ; car ils sont propres, soigneux, coquets, et ne souffrent aucune irrégularité dans leur toilette, mais tout cela d’une façon discrète et calme, comme s’ils avaient peur de distraire ou de gêner. Leurs caresses sont tendres, délicates, silencieuses, féminines, et n’ont rien de commun avec la pétulance bruyante et grossière qu’y apportent les chiens, auxquels pourtant est dévolue toute la sympathie du vulgaire. Tous ces mérites étaient appréciés comme il convient par Baudelaire, qui a plus d’une fois adressé aux chats de belles pièces de vers, — les Fleurs du mal en contiennent trois, — où il célèbre leurs qualités physiques et morales, et bien souvent il les fait errer à travers ses compositions comme accessoire caractéristique. Les chats abondent dans les vers de Baudelaire comme les chiens dans les tableaux de Paul Véronèse et y forment une espèce de signature. Il faut dire aussi qu’il y a chez ces jolies bêtes, si sages le jour, un côté nocturne, mystérieux et cabalistique, qui séduisait beaucoup le poëte. Le chat, avec ses yeux phosphoriques qui lui servent de lanternes et les étincelles jaillissant de son dos, hante sans peur les ténèbres, où il rencontre les fantômes errants, les sorcières, les alchimistes, les nécromanciens, les résurrectionistes, les amants, les filous, les assassins, les patrouilles grises et toutes ces larves obscures qui ne sortent et ne travaillent que la nuit. Il a l’air de savoir la plus récente chronique du sabbat, et il se frotte volontiers à la jambe boiteuse de Méphistophélès. Ses sérénades sous les balcons des chattes, ses amours sur les toits, accompagnées de cris semblables à ceux d’un enfant qu’on égorge, lui donnent un air passablement satanique qui justifie jusqu’à un certain point la répugnance des esprits diurnes et pratiques, pour qui les mystères de l’Érèbe n’ont aucun attrait. Mais un docteur Faust, dans sa cellule encombrée de bouquins et d’instruments d’alchimie, aimera toujours avoir un chat pour compagnon. Baudelaire lui-même était un chat voluptueux, câlin, aux façons veloutées, à l’allure mystérieuse, plein de force dans sa fine souplesse, fixant sur les choses et les hommes un regard d’une lueur inquiétante, libre, volontaire, difficile à retenir, mais sans aucune perfidie et fidèlement attaché à ceux vers qui l’avait une fois porté son indépendante sympathie.

Un tour de force : Nos chats par Georges Pérec (1936-1982). Un lipogramme est un texte dans lequel on s'interdit d'utiliser une lettre de l'alphabet. Dans son roman La disparition (Denoel, 1969) Georges Pérec réussit le tour de force d'écrire un livre de plus de 300 pages sans utiliser une seule fois la lettre "E", la voyelle la plus utilisée de la langue française. Il donne dans le courant de l'ouvrage une savoureuse - et érudite - version du poème de Baudelaire :

NOS CHATS

Amants brûlants d'amour, savants aux pouls glaciaux,
Nous aimons tout autant dans nos saisons du jour
Nos chats puissants, mais doux, honorant nos tripots
Qui sans nous ont trop froid, nonobstant nos amours.

Amis du Gai Savoir, amis du doux plaisir,
Un chat va sans un bruit dans un coin tout obscur.
Ô, Styx, tu l'aurais pris pour ton poulain futur
Si tu avais, Pluton, aux sclavons pu l'offrir.

Il a, tout vacillant, la station d'un hautain
Mais grand Sphinx somnolant au fond du Sahara
Qui paraît s'assoupir dans un Oubli sans fin :

Son dos frôlant produit un influx angora
Ainsi qu'un diamant pur, l'or surgit, scintillant
Dans son voir nictitant divin, puis triomphant.

De la musique

Le compositeur anglais Kaikhosru Shapurji Sorabji (1892-1988) a mis en musique le poème Les Chats

Les Chats - Kaikhosru Shapurji Sorabji

La séance de spiritisme est perturbée, mais ce n'est pas l'esprit qui fait des siennes. Une délicieuse chanson de Robert Marcy chantée par les Frères Jacques : Le petit bout de la queue du chat !

Le petit bout de la queue du chat - Les Frères Jacques

Le chat a, paraît-il neuf vies. Celui de Steve Waring est proprement indestructible !

Le matou revient - Steve Waring

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Agathe

Professeur de langues dans le secondaire, je partage avec vous mes cours de linguistique !