La France du roi François Ier compte sans doute 16 millions d’habitants en 1515, et 17 millions lorsque s’achève le règne de celui qui porte (comme aucun de ceux qui l’ont précédé) le titre de Majesté. Elle est le pays le plus peuplé d’Europe. Et malgré les années de guerres, malgré les invasions, malgré les impôts - celui de la taille qui triple entre 1515 et 1559, celui de la gabelle qui taxe le sel et qui ne cesse d’augmenter -, la France est riche. Elle l’est malgré des prix qui croissent, en partie à cause de l’afflux de l’or et de l’argent, rapportés des Amériques par les Espagnols, elle l’est malgré l’écart qui se creuse entre ceux qui s’enrichissent et les humbles, les compagnons et les ouvriers. Leurs salaires ne suivent pas l’augmentation des prix et ces derniers se révoltent à Lyon, en 1529, à cause du prix du blé.
Autour des villages qui se repeuplent, les friches et les landes commencent d’être changées en terre à céréales, les forêts sont défrichées. De nouveaux fruits et de nouveaux légumes, pour la plupart importés d’Italie, apparaissent dans les champs et les vergers. Si le melon et l’artichaut ne sont encore destinés qu’aux seigneurs, le sarrasin, le maïs, les choux-fleurs et les haricots commencent d’être cultivés. D'aucuns, rares, se singularisent en portant tel ou tel de ces légumes à leur bouche avec un instrument qui vient de faire son apparition et qui épargne que l’on mange avec ses doigts : la fourchette...
Certaines sont sans doute forgées dans l’une des 460 forges que compte le royaume. En dépit du manque d’argent, de cuivre ou de plomb qu’il faut importer, l’industrie prospère. L’accroissement de la population dans les villes, l’enrichissement de celles-ci permettent le développement du luxe. Lyon, qui est à la frontière du royaume et qui accueille des foires, devient la capitale de l’imprimerie comme de la banque. Nombreuses sont les sociétés financières qui se créent et dont les filiales vendent des créances, comme elles spéculent sur le change. Elles ne se privent pas de répondre aux emprunts d’Etat. Le premier d’entre eux, en 1522, gagé sur les impôts de l’Hôtel de Ville de Paris, propose 8 % d’intérêt. La soie, produite à Lyon à partir de 1536, par plusieurs milliers de métiers, comme auparavant à Tours, ne suffit pas à satisfaire les exigences de la cour... Angoulême est célèbre pour ses papeteries. A Saint-Etienne, c’est une fabrique de mousquets qui est fondée en 1516.
Mais les routes pour aller de l’une à l’autre de ces villes sont d’être ce qu’elles devraient être. Les ports, en revanche, prennent plus d’ampleur. Le Havre est créé en 1517. Des navires sont armés pour Terre-Neuve à La Rochelle dès 1533. Rouen, grâce à son port, est devenue la deuxième ville de France. Et Marseille ouvre la route vers le Levant. A Dieppe, où l’on dresse et où l’on corrige les cartes de mondes nouveaux que l’on découvre, l’armateur Jean Ango arme des navires qui atteignent Sumatra. C’est de Saint-Malo qu’à trois reprises Jacques Cartier part pour le Canada. L’iroquois, qu’il présente au roi à son retour, change moins la conscience que la France a alors du monde que les lectures et les études, faites par certains, des auteurs de l’Antiquité.
Sur l’ordre du roi, Jacques Amyot traduit Plutarque. En dépit des réticences de la Sorbonne, le roi crée en 1530 le Collège royal qui compte cinq chaires : deux d’hébreu, deux de grec et une de mathématiques. Dès les années qui suivent l’éloquence latine, la médecine, la philosophie sont enseignées dans ce collège que l’on dit « des trois langues ». Et c’est la langue française qui prend un autre essor. En 1539 l’ordonnance de Villers-Cotterêts impose que les actes judiciaires soient désormais écrits en français et non plus en latin. Dix ans plus tard, le titre seul de Défense et illustration de la langue française de Joaquim du Bellay, publié en 1549, suffit à montrer que les écrivains ont désormais foi dans leur langue. Les œuvres des poètes de la Pléiade comme le succès du Pantagruel de Rabelais, publié en 1532, démontrent en quelques années que le français peut être la langue de l’élégance comme celle de la truculence, celle de la grâce et celle de l’invention.
Comme il donne à la langue française un nouveau statut, le roi impose une nouvelle architecture en France. Les châteaux d’Azay-le-Rideau, de Chenonceaux, de Blois, de Chambord, de Fontainebleau... plus tard ceux de Madrid, construit dans le Bois de Boulogne à côté de Paris, de Saint-Germain, d’Anet ou encore le Louvre mettent en évidence la singularité de la Renaissance française. L’équilibre et la symétrie des façades s’allient aux charmes et aux surprises de galeries, couvertes de fresques et de stucs, élaborés par des artistes venus d’Italie. La reconnaissance de la beauté, de l’intelligence, de l’invention, le soutien aux artistes constituent l'ultime argument d’un roi qui, en dépit des défaites et de la captivité, est conscient des changements d'une nouvelle époque et veut affermir son pouvoir.
Mais ce roi, en dépit d’un concordat signé en 1516 avec le pape Léon X, concordat qui lui accorde le droit de désigner les évêques, commence à perdre un pouvoir, jusqu'àlors incontesté, sur la conscience de ses sujets. Dès 1512, le Commentaire sur les épîtres de Saint Paul de Lefèvre d’Etaples assure que la doctrine du Christ est tout entière dans les Saintes Ecritures. Il remet en cause les dogmes et affirme que nos œuvres ne sont rien sans la grâce. Il devient vicaire général de Guillaume Briconnet, évêque de Meaux, qui commence en 1516 d’épurer les mœurs des prêtres de son diocèse, de mettre fin à la concussion. La Sorbonne est exaspérée par les thèses des biblistes de Meaux. Mais les colères de Luther, qui a affiché ses 95 thèses sur les murs de l’église de Wittenberg en 1517, ses diatribes et ses invectives contre l’Eglise romaine sont autrement graves. Dès 1523, un autodafé de ses livres est ordonné. « On commence par brûler les livres, on finit par brûler les personnes ! » Cette certitude d’Erasme de Rotterdam ne tarde pas à devenir une réalité. Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534 une affiche, « Articles véritables sur les horribles, grands et insupportables abus de la messe papale, inventée directement contre la Sainte Cène de Notre-Seigneur », est placardée sur la porte même de la chambre du roi à Amboise. Cette « affaire des placards » détermine le roi, qui jusqu’alors hésitait, à réprimer la réforme qui commence de diviser l’Europe autant que son royaume. Henri VIII, roi d’Angleterre excommunié en 1534 parce que le pape a refusé d’annuler son mariage, fait le choix de la Réforme comme d’autres en Suisse, aux Pays-Bas, comme les princes allemands de la ligue de Smalkalde. A la voix de Luther se joint celle de Jean Calvin qui a fait ses études à Paris, à Bourges et à Orléans. En 1536, à vingt-cinq ans, il publie à Bâle (où il a dû se réfugier) l’Institution chrétienne, qui sera publiée en français en 1541. Un an plus tôt le roi a fait publier une ordonnance dans laquelle il fait le vœu que « en son royaume très chrestien soit toujours continue, gardée, entretenue intégrité et sincérité de la foy catholique, qui est le principal fondement du royaume ». En dépit des bûchers, des massacres, des guerres, la vérité religieuse de la France ne sera plus jamais celle qu’espère le roi.

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Olivier

Professeur en lycée et classe prépa, je vous livre ici quelques conseils utiles à travers mes cours !