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C'est parti

Texte

Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche, fusillé, taquinait la fusillade. Il avait l'air de s'amuser beaucoup. C'était le moineau becquetant les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par un couplet. On le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les gardes nationaux et les soldats riaient en l'ajustant. Il se couchait, puis se redressait, s'effaçait dans un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de nez, et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son panier. Les insurgés, haletants d'anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait ; lui, il chantait. Ce n'était pas un enfant, ce n'était pas un homme ; c'était un étrange gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. Les balles couraient après lui, il était plus leste qu'elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cachecache avec la mort ; chaque fois que la face camarde du spectre s'approchait, le gamin lui donnait une pichenette. Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l'enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il s'affaissa. Toute la barricade poussa un cri ; mais il y avait de l'Antée dans ce pygmée ; pour le gamin toucher le pavé, c'est comme pour le géant toucher la terre ; Gavroche n'était tombé que pour se redresser ; il resta assis sur son séant, un long filet de sang rayait son visage, il éleva ses deux bras en l'air, regarda du côté d'ou était venu le coup, et se mit à chanter : Je suis tombé par terre, C'est la faute à Voltaire, Le nez dans le ruisseau, C'est la faute à... Il n'acheva point. Une seconde balle du même tireur l'arrêta court. Cette fois il s'abattit la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s'envoler.

Commentaire : Comment on transfigure l’histoire

L’événement relaté par Hugo concerne la première insurrection populaire de la Monarchie de Juillet, les 5 et 6 juin 1832. Les républicains saisissent l’occasion des obsèques du général Lamarque, républicain, député de l’opposition, pour organiser des manifestations contre le pouvoir en place. Ordre est donné de les réprimer, mais la garde nationale à Paris se range du côté du peuple. On fait appel à l’armée et à des gardes de banlieue (d’où dans la chanson de Gavroche « On est laid à Nanterre »… « Et bête à Palaiseau », et la notation : Gavroche « vit que cela venait de la banlieue. ») La répression est sanglante, la plupart des insurgés sont tués (dans le roman, Marius est sauvé par Eponime, puis par Jean Valjean qui l’emporte dans les égouts).

Une page mythique, fondatrice d’un imaginaire révolutionnaire, et créant le personnage inoubliable du « gamin de Paris », incarnation de l’innocence et de la misère injustement réduites au silence. Correspond à la volonté de Hugo de « peindre des choses vraies par des personnages de fiction ».

  1. Poésie de la barricade

C’est par le roman de Hugo, dont le succès populaire fut énorme, que la barricade de la Chanvrerie passe à la postérité, le romancier voyant dans cette forme de résistance, l’emblème de la résistance populaire (amas informe d’objets hétéroclites, tenu par des êtres qui ne savent pas vraiment se battre, mais sont des sortes de héros de l’ombre, avatars sublimes des héros épiques, tels en tout cas apparaissent Enjolras et Marius).

Celle-ci s’est construite en prenant appui sur le cabaret Le Corinthe (avec sa devanture de fer, on a enlevé les pavés de la rue, avec ses cuillères fondues on a fait des balles…), au nom prédestiné, Hugo reprenant la préface du Tiers Livre de Rabelais qui présente Diogène comme créateur de barricades, au moment du siège de Corinthe par Philippe de Macédoine (Gavroche est aussi par son esprit facétieux un « Rabelais petit »). Il y a là, dit Hugo, comme une construction symbolique de la misère : voir quelques pages plus haut, où il dit que construire une barricade, c’est « élever, échafauder et entasser un monceau de misères, de douleurs, d’iniquités, de griefs, de désespoirs, et arracher des bas-fonds des blocs de ténèbres pour s’y créneler et y combattre ».

Dans la scène de la mort de Gavroche, très clairement, les ennemis se font face, les représentants de l’ordre s’amusant à viser cette cible mobile qui se rit de la mort, et chante(« Les gardes nationaux et les soldats riaient en l’ajustant »). En face, la barricade suit avec angoisse l’étrange danse du gamin insouciant, qui est allé récupérer des balles sur les cadavres des ennemis : le passage de « Les insurgés » à « La barricade tremblait », puis « toute la barricade poussa un cri » montre l’union profonde des insurgés, et assigne à la barricade une vie propre, elle est comme un corps vivant, susceptible d’émotion, forme donnée au peuple en révolte (elle en a d’ailleurs, à travers ses formes hétéroclites, les haillons).

  1. L’enfant « feu follet »

Gavroche suit dans Les Misérables un itinéraire inverse à celui de Cosette : aimée par sa mère Fantine, mais mise en pension par nécessité chez les Thénardier qui la maltraitent, Cosette est sauvée par Jean Valjean, et finira par épouser Marius, alors que Gavroche, fils des Thénardier, mais haï par sa mère, est abandonné par ses parents, et devient un gosse des rues, un gamin de Paris, vivant tant bien que mal dans l’éléphant qui à ce moment-là ornait la place de la Bastille (Napoléon voulait en faire une statue de marbre, en remplacement de l’ancienne prison, détruite après 89).

« Moineau becquetant les chasseurs », « gamin fée », « l’enfant feu follet » est la bonté incarnée, preuve vivante, avec sa sœur Eponime, qui vient de mourir en sauvant Marius, que le mal n’est pas héréditaire. Gavroche ne porte pas d’ailleurs le nom de ses parents, mais un surnom qui l’associe à l’anonymat des « misérables » dans le roman (Jean Valjean lui-même est sans doute la simple déformation de V’la Jean, et l’ami de Gavroche, Navet, renvoie lui aussi à ces surnoms donnés à ceux qui n’ont pas de père, pas plus que d’existence sociale). Sa mort paraît d’autant plus injuste au lecteur qu’elle vient frapper un gamin qui semble danser avec elle un long moment, Hugo insiste sur l’agilité de son corps (« il rampait à plat ventre, galopait à quatre pattes »), et met en évidence son humour (voir le moment où, trouvant une « poire à poudre », il prétend la garder « pour la soif »(formé sur l’expression populaire « une poire pour la soif »), ou sa réaction quand une balle qui le vise touche un mort : « Fichtre ! fit Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts. »)

La chanson de Béranger, revue par Hugo, dont les couplets sont savamment distillés par l’enfant pourtant en danger de mort, symbolise la lutte de l’innocence joyeuse contre la force armée, l’enfant, mythifié, devenant pour des générations l’emblème tragique de l’enfance assassinée. Le « Je ne suis pas notaire », « Je suis petit oiseau » consacre cette innocence, d’autant plus touchante qu’elle est liée à une indéfectible gaîté (« Joie est mon caractère », « Misère est mon trousseau »), l’enfant oiseau ne cessant effectivement de chanter qu’au moment de sa mort. La « faute à Voltaire » et à Rousseau renvoie à une moquerie à l’égard du mandement écrit par le clergé le 5 février 1785, qui était censé dissuader les fidèles d’écouter les philosophes des Lumières. La chanson de Béranger accommodée par Hugo devient donc signe de ralliement entre révolutionnaires et gens du peuple. Le courage dont Gavroche fait preuve, en bravant la mort, mais aussi en se relevant blessé, de manière à mourir en regardant ses bourreaux, (« un long filet de sang rayait son visage, il éleva ses deux bras en l’air, regarda du côté d’où était venu le coup, et se mit à chanter »), l’érige en héros révolutionnaire, il partagera d’ailleurs le linceul du père Mabeuf. Mais l’émotion des lecteurs est bien sûr d’autant plus vive qu’il s’agit d’un enfant d’une dizaine d’années, d’où l’oxymore qui clôt le chapitre : « Cette petite grande âme venait de s’envoler ».

La force du texte littéraire, par rapport à la simple mémoire historique des journées de Juin, vient bien sûr de l’incarnation de la misère et de la révolte en des personnages, et en particulier en des personnages pathétiques et émouvants comme Gavroche. Le livre, qui dit Guy Rosa (Les Misérables, Parcours critique, Klincksieck 95) faisait pleurer les typographes qui l’imprimaient (« les ouvriers cotisaient pour l’acheter à plusieurs »), construit autour de cette invention géniale du gamin de Paris, toute une mythologie révolutionnaire, qui circule, comme le dit le philosophe Jacques Rancière, indépendamment des circuits politiques habituels (discours, journaux…) : la littérature est bien (J. Rancière Politique de la littérature) cette « parole qui circule en dehors de toute relation d’adresse déterminée », qui « s’enfonce dans les profondeurs de la société », et parvient à toucher d’abord par sa force d’individualisation, et d’incarnation (passe par la représentation de l’événement).

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Agathe

Professeur de langues dans le secondaire, je partage avec vous mes cours de linguistique !